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Abdoulaye Ndao de la médecine traditionnelle sur le Covid-19 : «Nous exclure du processus ne répond pas au Document de politique nationale de santé communautaire»

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Abdoulaye Ndao, président d’honneur de la Fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle, se réjouit de l’initiative prise par l’Organisation mondiale de la Santé (Oms) pour lancer le Comité consultatif d’experts chargé de fournir un soutien et des conseils scientifiques indépendants aux pays sur la sécurité, l’efficacité et la qualité des thérapies de médecine traditionnelle, face au Covid-19. Mais celui qui est par ailleurs le président de l’Association des médico-droguistes, phytothérapeutes herboristes et opothérapeutes traditionnels du Sénégal invite l’Oms à étendre la recherche aux savoirs traditionnels détenus par les tradipraticiens et aborde d’autres aspects liés à la médecine traditionnelle.
Hier l’Oms avait mon­tré une réticence manifeste sur le Covid organic mais aujourd’hui, l’Organi­sa­tion mondiale de la santé fait recours à la médecine traditionnelle en mettant en place une commission composée d’éminents experts pour réfléchir sur une stratégie afin de venir à bout de la pandémie du Covid-19. Qu’en pensez-vous ?
Comme je l’avais dit dans une station radio de la place, l’Oms ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Dans sa stratégie pour la médecine traditionnelle 2013-2024, l’Oms se donne pour objectifs d’aider les Etats membres à mettre à profit la contribution potentielle de la médecine traditionnelle à la santé, au bien-être et aux soins de santé axés sur la personne, favoriser un recours sûr et efficace aux produits et aux pratiques des praticiens de la médecine traditionnelle ; par leur réglementation, leur évaluation et leur intégration dans les systèmes de santé, s’il y a lieu. Sur ce registre je tiens à rappeler que l’Organi­sation ouest-africaine de la santé (Ooas), institution spécialisée de la Cedeao, qui, dans sa mission d’appui aux pays de la sous-région en matière de prestation de soins de santé, a élaboré deux pharmacopées des plantes médicinales de l’Afrique de l’Ouest. L’une résume la base scientifique de 54 plantes communes validée et adoptée par l’Oms Afro.
La deuxième pharmacopée concerne le traitement des nouvelles maladies émergentes et l’inventaire des plantes médicinales à efficacité prouvée. Il s’y ajoute l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi), sous la commande de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et de l’Oms, a produit deux documents : un référentiel d’harmonisation des procédures d’homologation des médicaments traditionnels améliorés et un référentiel d’harmonisation des procédures d’identification des praticiens de la médecine traditionnelle dont j’étais le président de la commission. Ces documents ont été validés par les ministres de la Santé et les ministres de l’Industrie et des mines des 17 pays de l’Oapi à Bamako.
Au regard de tout cela, la décision d’aujourd’hui de l’Oms est justement en phase avec sa mission. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette initiative. Mais nous demandons à l’Oms et ses chercheurs de ne pas se limiter seulement sur la recherche scientifique des plantes mais de faire en sorte que les savoirs traditionnels détenus par les tradipraticiens fassent, aussi, l’objet de recherche, si on veut vraiment parler de médecine traditionnelle, sinon la médecine traditionnelle n’est pas concernée. Le Sénégal compte d’authentiques praticiens de la médecine traditionnelle qui détiennent des recettes et des connaissances qui auraient pu servir la recherche dans les milieux académiques.
Peut-on dire que la médecine traditionnelle est aujour­d’hui à la croisée des chemins avec surtout le débat autour de l’Artémisia ?
Elle est venue en force au-devant de la scène, aujourd’hui, les peuples veulent un retour aux sources ; enracinement et ouverture pour paraphraser le Président poète Léopold Sédar Senghor. Mais, en même temps, elle tarde à avoir, de la part des autorités sénégalaises, une reconnaissance formelle et officielle qui lui permettrait d’avoir un statut social assigné. Elle jouit déjà auprès des populations d’une légitimité sociale.
Donc, vous inclure dans la stratégie de riposte communautaire contre certaines pandémies serait une plus-value ?
Parfaitement. Nous exclure du processus ne répond pas au Document de politique nationale de santé communautaire, outil de référence des interventions communautaires au Sénégal, qui instruit qu’aucun acteur communautaire ne doit être laissé en marge. Et, nous sommes, en tant que tradipraticiens, des acteurs communautaires. C’est d’ailleurs ce que l’Agence nationale de la recherche scientifique appliquée, que dirige le professeur Cheikh Moustapha Mbacké Lô, a compris. En collaboration avec le ministère de la Santé, la Fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle et Enda Santé, l’Agence déroule actuellement un programme d’orientation et de surveillance communautaire dans toutes les régions.
Etes-vous en train de dire que le devoir d’encadrement et de structuration de la médecine traditionnelle par l’Etat est aujourd’hui une nécessité voire même une urgence ?
La médecine traditionnelle a besoin davantage d’être structurée. C’est une urgence. Il y va de la sécurité de la population surtout dans un contexte marqué par la forte présence de charlatans dans notre corporation. L’évolution de la science et de la technologie a de plus en plus marginalisé notre métier sans jamais réussir à le faire disparaître, même dans les sociétés les plus évoluées du monde.
Nous constatons partout un certain regain de vitalité des médecines dites parallèles. Cela nous impose un devoir de responsabilité et une exigence de rigueur pour mériter la confiance de ces milliers de personnes qui viennent vers nous comme vers une bouée de sauvetage. Chaque praticien traditionnel est héritier d’un savoir qui appartient à sa famille et dont la survie dépend du secret dans lequel on le confine. C’est dire que le partage n’est pas souvent le fort de notre corporation. Malgré cet état de fait, nous avons montré, à tout moment, notre disponibilité à contribuer à une amélioration de la santé publique, aux soins de santé et au bien-être des populations.
A vous entendre parler, on a l’impression que vous faites allusion à la loi sur la médecine traditionnelle qui tarde à être votée par l’Assemblée nationale ?
La promulgation de la loi sur la médecine traditionnelle, représente un dispositif juridique de valorisation des connaissances médicales traditionnelles et de promotion des médicaments, voire des phytomédicaments. Cela signifie d’abord la reconnaissance d’une activité qui n’est ni clandestine ni dangereuse, bien au contraire. En effet, notre objectif s’annonce clairement ; puisque les populations font appel à notre savoir, que l’Etat crée les conditions d’un exercice amélioré de notre profession et nous pourront, ainsi, jeter, ensemble, les bases d’une collaboration franche et équitable avec les techniciens de la médecine moderne pour une meilleure prévention et une meilleure prise en charge des patients souffrant souvent de pathologies qui résistent à la médecine moderne comme c’est le cas du Covid-19.
On parle de remède avec la chloroquine ou l’artémisia, ce sont des plantes qui sont à la base d’un tel remède. Aujourd’hui par défaut d’avoir favorisé depuis très longtemps une recherche sérieuse qui intègre, dans son processus, tous les acteurs intervenants dans la santé publique, le Sénégal est presque en marge de ce débat. Toutefois, en l’absence d’une réglementation du secteur de la médecine traditionnelle, comment pourrait-on appliquer, dans ce vide juridique, les normes qui régissent les bonnes pratiques de fabrication des produits médicaux issus de la pharmacopée traditionnelle ?
Vous parliez, tantôt, de collaboration entre les deux médecines. Qu’en est-il concrètement au Sénégal ?
La collaboration entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne a été toujours une préoccupation. C’est un besoin qui reste à être réalisé. Si nous l’abordons sous plusieurs angles, on trouve des limites à cette collaboration du fait que la médecine traditionnelle s’exerce dans un cadre illégal tandis que l’autre a une base légale. C’est pourquoi dans plusieurs domaines, la collaboration reste impossible.
La fabrication de nouveaux médicaments provenant des savoirs traditionnels demande aussi une collaboration franche entre les tradipraticiens et des botanistes, des chimistes, des phytochimistes, des toxicologues, etc.
Parlez-nous de la Fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle ?
La Fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle (Fspmt), dont je suis le président d’honneur, se définit comme une interlocutrice auto responsable, avec toutes les parties prenantes concernées par la promotion de la médecine traditionnelle. En effet, notre représentativité organisationnelle territoriale nous confère la légitimité à servir d’interlocutrice à l’Etat et aux chercheurs.
Les praticiens de la médecine traditionnelle ont relevé le défi en se fondant dans un cadre unitaire. Il nous revient, à présent, le devoir de nous adapter au cadre réglementaire harmonisé au niveau de la Cedeao. Ce cadre réglementaire harmonisé organise, par des mesures, les conditions d’ouverture et d’exploitation des officines de médecine traditionnelle, les bonnes pratiques de fabrication des remèdes à base de plantes, les procédures d’homologation des remèdes à base de plantes et la conduite des essais cliniques sur l’efficacité des plantes médicinales.
Peut-on s’attendre à ce que le Sénégal produise ses propres médicaments, à l’image de Madagascar qui a produit l’artémisia pour faire face au Covid-19 ?
Le Sénégal peut faire autant que Madagascar en termes de découvertes médicinales. Plusieurs grands chercheurs sont passés au Sénégal où ils ont été formés. Le Sénégal a tardé à entreprendre les essais cliniques sur les 17 plantes médicinales identifiées en 2001 et validées par l’autorité sanitaire nationale pour leur homologation et leur production sous forme galénique ainsi que l’enregistrement des médicaments traditionnels normalisés sur la liste nationale essentielle des médicaments, la production de médicaments traditionnels améliorés par les tradipraticiens et la facilitation des procédures d’obtention d’Autorisation de mise sur le marché (Amm).
Le Sénégal, dans sa politique de médecine traditionnelle et de phytothérapie, peut exploiter plusieurs plantes de notre pharmacopée pour la mise au point des médicaments utilisables dans le traitement des maladies qui minent la société. Une ébauche de qualité existe toutefois, il faut continuer le travail dans le sens de la création d’un répertoire dynamique.
Suivant votre expérience, qu’est-ce qu’il vous faut pour permettre à la médecine traditionnelle de jouer véritablement son rôle dans les politiques publiques de santé ?
Ce qu’il faut d’abord, c’est l’implication des tradipraticiens dans toutes les phases de la planification (conception, élaboration, exécution, suivi et évaluation) des politiques et programme de santé. Organisés, formés, motivés et impliqués, les tradipraticiens peuvent constituer de potentiels et efficients collaborateurs, des prestataires de services cliniques essentiels.
Nous n’avons aucun problème avec les médecins et les professeurs chercheurs des universités. Nous partageons une préoccupation commune : la santé des populations. Il revient à l’Etat de poser les jalons pouvant nous rapprocher davantage dans la prise en charge mutualisée de cette préoccupation. Nous sommes souvent invités en Chine, en Corée du Sud, au Ghana, en Afrique du Sud, etc., dans le cadre de cette préoccupation universelle, alors pourquoi pas chez-nous.

Le Quotidien

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