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Abdoulaye Wade: « S’il y a une bonne pluviométrie, l’année prochaine ou l’année d’après, on va avoir une autosuffisance en riz »

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« S’il y a une bonne pluviométrie, l’année prochaine ou l’année d’après, on va avoir une autosuffisance en riz »
par Demba NDIAYE

Inédit ! Pour la première fois durant son second mandat, le Président de la République a accordé une interview à des organes de presse nationaux. La Sentinelle, Océan FM et Canal Info ont eu le privilège. Au cours de cet entretien Me Abdoulaye Wade est revenu sur les remous au sein du secteur éducatif en dépit des fortes sommes investies, et sa nouvelle initiative dénommée « bac moins », le Plan REVA et la GOANA, le dialogue politique, le monument de la Renaissance africaine entre autres sujets. La Sentinelle vous livre un premier jet de cette interview et vous donne rendez-vous demain pour la suite.

Monsieur le Président de la République, vous voilà depuis bientôt 10 ans, à la tête de l’Etat du Sénégal, si vous deviez faire votre propre bilan, que diriez-vous de l’éducation et de la santé par exemple ?

Pour répondre à votre question, je vais m’adresser aux Sénégalais car eux ils savent. Si c’était des étrangers, j’aurais répondu autrement, mais eux, ils savent. Je ne peux pas dire quelque chose qu’ils ignorent. Donc je vais résumer la réponse. Ce que j’ai réalisé, on peut l’appeler «  »Grand projet », c’est-à-dire des projets qui nécessitent de gros investissements. Il y a aussi des projets de moindres dimensions mais avec une grande portée. C’est le cas du projet de la Case –des- Tout- petits. Si je devais aujourd’hui en conserver un seul, ce sera celui de la Case- des -Tout -petits. C’est un projet qui introduit des innovations dans l’éducation et la formation des enfants, pour les préparer dans leur future vie d’adultes. Ils seront vraiment bien préparés. Et puis les grands parents doivent passer chaque jour pour faire des contes, ce qui leur permettra d’être enracinés. Ils connaîtront aussi le ciment de la culture sénégalaise. Ma préoccupation, c’est qu’ils soient enracinés dans leur culture.

Le second point, au-delà de l’éducation, c’est la construction de routes de nouvelle génération qui n’existent nulle part en Afrique. Je prenais en exemple certains pays mais leurs Chefs m’ont fait comprendre que ce dont je parle, n’existe pas chez eux. Une bonne route, c’est celle qu’on ne doit pas reprendre chaque année. Nous avions des routes qui ne duraient que deux ans et qui cédaient sous l’effet de la pluie. J’ai vu que rien que l’entretien revenait en cinq ans à faire de bonnes routes. Nous avons des routes qui n’ont rein à envier à celles de la France, de l’Allemagne ou des Etats-Unis et qui peuvent durer, 30, 40 voire 50 ans. J’ai l’ambition de laisser en héritage des routes de qualité pour qu’on puisse penser à autre chose. C’est comme quelqu’un qui construit un bâtiment, il doit faire une fondation assez solide qui puisse supporter, deux à trois étages, pour être tranquille. C’est comme ça que marche un pays. Voilà deux choses sur lesquelles, je peux insister. Mais je vous dis que je pourrais vous parler de bien d’autres choses car tout est en bonne voie.

Néanmoins ces deux secteurs sont très remuants, surtout au niveau syndical

Vous savez, le monde évolue. Mais, dans l’éducation, il faut distinguer trois étapes. Il y a les bâtiments qui accueillent les apprenants. Dans mon entendement, il doit exister au moins une salle de classe dans chaque localité du Sénégal. Et ça, je l’ai réussi. Il n’y a pas une seule collectivité rurale, où il n’existe pas de salle de classe dès lors l’année suivante, il faut une salle de plus. Ce qui augmente les charges et ainsi de suite. Ce sont des dépenses sur lesquelles, on ne peut pas revenir. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’e mettre les 40 % du budget dans l’éducation. J’entends par éducation le cursus qui va de la Case -des –Tout- petits jusqu’à l’université. Le Sénégal est le seul pays au monde où tout étudiant qui demande une bourse que ce soit pour l’étranger ou le pays, l’obtient automatiquement. Je l’ai inscrit dans le programme de développement à long terme pour permettre au pays de pouvoir disposer des ressources qu’il voudra à tout moment. Les diplômés sont insérés dans le circuit, mais il peut arriver un moment où on n’aurait pas à disposition certaines compétences requises. C’est pour cela que j’ai fait cette option. Je prends l’exemple d’un avion qui doit rallier Dakar à New York ou San Francisco, il y a une possibilité de changer l’équipage sinon, il sera obligé de se reposer à New York pendant 48 heures. A ce jour, tout le monde est en phase avec ma vision sur l’éducation. J’ai même reçu un courrier qui me dit que ce que j’avais théorisé sur l’éducation en 1965 est aujourd’hui, d’actualité. Car le facteur non spécifié est le facteur formation – enseignement. Donc disons que c’est quelque chose de très intéressant pour le Sénégal. Nous sommes en train de former des enseignants. J’ai reçu hier la liste des professeurs agrégés, ils sont très nombreux. J’ai été étonné par leur nombre. Il y a aussi les enseignants dans les petites classes. Ils n’ont pas besoin d’un riche parcours universitaire, d’ailleurs j’en ai recruté un grand nombre. Le nombre d’enseignants a augmenté proportionnellement aux investissements qui sont réalisés dans l’enseignement. J’ai donc cru qu’ils doivent être bien rétribués. J’ai alors augmenté leur salaire de manière discriminatoire par rapport aux autres corps. Je l’ai fait plusieurs fois. J’ai même une fois débloqué sept milliards qui n’étaient pas une augmentation de salaire, mais c’était pour leur octroyer certaines indemnités. L’enseignement est un secteur très remuant. Vous savez que le travailleur doit faire des revendications. Je n’ai rien contre parce que qui ne revendique pas ne sera pas servi. Mais il y a revendication et revendication. Il y en a qui dont la matérialisation peut être immédiate, mais il y en a qui doivent s’inscrire dans la durée. Nous sommes dans un pays dépourvu de ressources minières et naturelles. Il faut de l’ingéniosité pour faire bouger les choses au Sénégal. Compte tenu de tout cela j’avais cru que je serai plus calme avec le secteur de l’enseignement. Moi-même, j’ai été enseignant. J’ai fait tout le cursus de la classe préparatoire à l’université. Je pensais qu’ils allaient me comprendre, mais malheureusement… Vous savez quand vous posez une revendication, soyez sûr que cela peut être résolue puisque les moyens sont là. Mais si vous posez des doléances dont vous savez pertinemment qu’elles ne peuvent pas être résolues, ce n’est plus de la revendication syndicale. C’est autre chose. Il y a immixtion de la politique. Si les enfants sont bien formés, c’est pour l’intérêt du Sénégal. Lorsque j’étais enseignant à l’école primaire, il n’y avait pas de syndicat d’enseignants. Pourtant ça marchait. Lorsque j’étais enseignant à l’université et qu’on a voulu créer un syndicat, je m’en suis démarqué et je leur ai fait comprendre que personne ne pouvait me pousser à aller en grève. Je ne ferai jamais de la rétention de mes enseignements. Ce syndicat, il existe jusqu’à aujourd’hui, mais je n’y ai jamais adhéré. Adhérer à un syndicat n’est pas une obligation. Je dis toujours aux ministres concernés, au Premier Ministre et au Ministre des Finances qu’à chaque fois qu’il y a des revendications, faites votre possible pour les satisfaire. S’il était de mon pouvoir, tous les Sénégalais seraient millionnaires. J’en serai très heureux. Mais vraiment, il faut du réalisme dans les doléances. Les grèves récurrentes pénalisent. Une grève qui mène à une année blanche n’est pas réfléchie On sacrifie des générations. Il peut y avoir des tiraillements entre le gouvernement et les syndicats, on ne doit pas mettre en péril l’avenir des enfants. Il y a d’autres formes de négociations surtout avec un gouvernement, qui ambitionne de satisfaire vos revendications. Certains ministres même quand ils en ont assez, signent tout ce que veulent les syndicalistes. Mais moi, je leur dis toujours ne signez jamais si vous êtes sûr de ne pas tenir parole. Même le Bon Dieu ne demande pas aux gens des choses impossibles. C’est ce qui est à l’origine de beaucoup de choses. A y regarder de prés, le gouvernement fait beaucoup de choses dans ce domaine. Certains syndicalistes m’ont dit qu’ils veulent signer avec l’Etat une trêve de trois ans. Pour les autres, il faut les sensibiliser pour qu’ils ne sacrifient pas les enfants quand ils vont en grève.

Monsieur le Président, vous venez de lancer l’initiative bac moins. Pouvez-vous nous en expliquer les tenants et les aboutissants ?

Vous savez je suis parti d’un constat. Un élève qui va jusqu’au bac, qui échoue et qui se retrouve au ban de la société, je trouve que c’est anormal. Si j’ai pris cette décision, c’est que j’ai été le premier et seul économiste africain en 1960, 61 62. J’ai pris part à des conférences mondiales organisées par l’association mondiale des économistes. J’y ai été en tant que chargé de cours, à l’époque, je n’étais même pas professeur, mais ils m’ont intégré. Il n’y avait qu’un seul noir c’est le professeur Arthur William, un économiste jamaïcain. J’ai vu qu’ils élaboraient des théories ahurissantes. Ils évaluaient les dépenses effectuées sur un enfant jusqu’au bac et ils voulaient procéder à une réduction de ces dépenses. Tous ceux qui n’ont pas le bac passent dans la rubrique pertes. Ils parlaient du coût du bachelier, du coup de l’éduqué, du coup du licencié. Je leur ai dit que cela était erroné. Un élève qui a été recalé au bac n’est pas déméritant, au lieu de les rejeter, on les appelle d’ailleurs la déperdition, j’ai dit qu’il faut les former pour d’autres secteurs correspondant à leurs capacités intellectuelles. On les connaît. Je propose qu’on leur fasse une formation en technologies de l’information et de la communication, dans les centres agricoles ou même les recycler pour en faire des répétiteurs dans les écoles pour assister les enseignants.

Monsieur le Président, en ce qui concerne l’agriculture, il y a le plan REVA et la GOANA, êtes vous satisfaits de ces deux projets ?

Cela fait trois ans maintenant. Le Secrétariat des Nations unies avait tiré la sonnette d’alarme pour dire qu’il faut qu’on se tourne vers l’agriculture pour faire face à la menace de faim qui sévit dans le monde mais en précisant que l’Afrique ne peut gagner en autosuffisance alimentaire avec l’agriculture. Moi, je leur ai dit que je vais le réussir. C’était au mois d’avril. Au mois de mai, j’ai lancé la GOANA qui repose sur la culture de l’arachide, du mil, du manioc… et sur l’autre colonne, je mets les intrants dont j’ai besoin (engrais, semences, machines…) Lorsque je l’ai évalué, ça portait sur la somme de 800 millions de dollars soit 400 milliards de francs CFA que je devais injecter dans l’agriculture pour atteindre mes objectifs. Mais cela ne pouvait pas porter sur une seule année. Et nous espérions avec ça une autosuffisance en riz. Nous importions 600 mille tonnes par an. Toutes les recettes tirées de l’arachide étaient réinvesties dans l’importation du riz. Il ne s’agit pas d’être un économiste pour comprendre que si tu consommes tout ce que tu produis, tu n’économiseras jamais. C’est pour cela que pour impulser le développement, j’ai décidé de cultiver au Sénégal tout ce que nous achetions à l’extérieur.

Depuis que je suis arrivé à la tête de l’Etat, personne n’a jamais entendu un appel émanant du gouvernement pour une assistance alimentaire. C’est dès le premier jour que j’ai dit au gouvernement, jamais d’appel à une assistance alimentaire. Ce dont on a besoin, on va cultiver ici. J’ai lancé la GOANA et la première année, Dieu a fait que nous avons récolté 350 mille tonnes de riz. On a donc la moitié de nos besoins. Cette année, on a eu 500 mille sur les 600 mille tonnes nécessaires. Ce qui a poussé le Premier Ministre de l’Inde à nous aider en nous offrant du matériel agricole. Je lui ai fait comprendre que s’il m’assistait au bout de 6 ans, j’atteindrais l’autosiffusance alimentaire et je ne vais plus devoir quoi ce soit à qui que ce soit. Si tu fais des propositions concrètes, les gens te suivent et il m’a donné 50 000 machines agricoles que j’ai données aux agriculteurs. J’avais même dit qu’on leur donne les machines gratuitement, mais on m’a dit qu’il faut leur donner à crédit mais à des conditions douces. Les Indiens ont envoyé des techniciens pour qu’ils nous assistent et Dieu a fait comme je vous l’ai dit plus haut, que dès la première année, nous avons eu plus de la moitié de nos besoins. S’il y a une bonne pluviométrie, l’année prochaine ou l’année d’après, on va avoir une autosiffusance en riz. Mieux, j’ai dit au ministre que la pluviométrie dépend de Dieu, mais il nous a doté de raison, ce qui fait que la moitié du riz est cultivé aux abords immédiats du fleuve pour parer aux mauvaises pluviométries.

Mais on ne s’est pas limité au riz. On a aussi cultivé du sésame, qui est adoré par le Japon et la Chine. Je pense aux céréales qui peuvent apporter des ressources financières aux paysans. Je suis satisfait du déroulement du plan. Mais je veux organiser les paysans. Après la récolte, des gens mal intentionnés peuvent venir leur payer leur récolte à 100 francs le kilogramme, alors que le prix officiel est de 140 francs. C’est pour cela que je veux créer des magasins de stockage qui permettent aux producteurs de garder leur récolte et de ne vendre que lorsque le prix est intéressant. Je veux les organiser suivant le modèle québécois où il existe un syndicat national qui est l’interlocuteur du gouvernement. C’est l’association JAPPANDO que j’ai créé au Sénégal et qui va jouer dans le monde rural le même rôle. On l’a installée partout. Mais ce n’est pas suffisant. Il va y avoir des innovations dans le mode de financement car ils font mieux le recouvrement parce que l’Etat a des limites. Ce qui n’est pas le cas de l’élu local ou du syndicaliste agricole. Leur taux de remboursement sera plus important que celui du gouvernement. Je vais les appuyer aussi dans la création d’une banque qui sera ouverte à tous mais en priorité aux agriculteurs. C’est elle qui va s’occuper du financement, du crédit… C’est juste une question d’organisation. De ce que j’ai vu dans le monde, c’est le modèle québécois qui m’a séduit. Il peut arriver un moment où les paysans seront totalement autonomes vis-à-vis du gouvernement.

LA TRIBUNE (Courani DIARRA, Ousseynou NDIAYE, Demba NDIAYE)

africanglobalnews.com

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