spot_img

Adjudant-chef Alioune Sène Seck Le miraculé de Diabir

Date:

Radié de la gendarmerie, Alioune Sène Seck s’est retrouvé en 1985 au cœur de la première confrontation entre gendarmes et rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc). C’était à Diabir. Trois morts et la naissance d’Atika, l’aile militaire des indépendantistes furent les conséquences de cette attaque.

Le garçon sort de la case en balançant au bout de son bras un objet. C’est un engin de mort. Une grenade à fragmentation. Le capitaine de gendarmerie posté à quelques mètres de la grande case d’où le jeune homme est sorti a immédiatement reconnu l’objet. Il hèle le garçon et lui enjoint de venir vers lui. Ce dernier lui fait un bras d’honneur et veut continuer son chemin. Le sang du capitaine ne fait qu’un tour. Il fonce sur lui, l’empoigne, celui-ci résiste. L’altercation est brève. La technique de combat du militaire prend le pas sur les velléités de résistance du jeune homme. La scène n’a duré que quelques secondes. Le jeune homme est traîné et embarqué manu militari dans le véhicule du capitaine. Au passage, il lance un « Gadio, dégagez ». Un ordre en direction de ses hommes postés à quelques mètres de là. Le véhicule du capitaine démarre avec son encombrant colis à bord. L’altercation a eu lieu devant une foule médusée. Des voix s’élèvent pour exiger la relaxe du jeune homme. Ils sont des centaines de personnes surexcitées qui foncent sur le véhicule qui disparaît dans la nature. L’incident a mis le feu aux poudres. La scène se passe à Diabir, village situé dans la périphérie de Ziguinchor. Nous sommes le 25 décembre 1985 aux environs de 15 h. La verdure tempère l’ardeur des rayons du soleil. Mais les cœurs des centaines d’hommes qui ont assisté à la scène s’embrasent. La foule braillarde et colérique s’ébranle. Les troupes de la Gendarmerie aussi. L’un d’eux, Kalidou Diop fonce vers la Land Rover dont il est le chauffeur. Une flèche part et l’atteint entre les deux omoplates. Il s’agrippe au véhicule et meurt sur le coup. Le gendarme Kalidou Diop devient un symbole. Il est la première victime militaire du conflit casamançais. Le lieutenant Gadio, furieux de voir son chauffeur assassiné fonce sur la foule qui l’accueille à coups de gourdins et surtout de coupe-coupe. Le massacre est indescriptible. En essayant de secourir son supérieur, le maréchal de logis en chef, Ignace Djoussé, subit le même sort. C’est la débandade chez les gendarmes. Les sages qui ont entendu les vociférations de la foule sortent de la grande case où ils se concertaient et interpellent la foule qui s’arrête. Personne ne pouvait penser que les choses allaient tourner de cette manière. Les gendarmes avaient été informés d’un rassemblement d’éléments du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) à Diabir dans la périphérie de Ziguinchor. La troupe de gendarmes s’est rendue sur les lieux aux environs de 14h où elle a trouvé une foule impressionnante. Un rendez-vous pour se concerter et savoir quelle conduite tenir après l’arrestation de leur leader, l’Abbé Diamacoune Senghor. Le dirigeant historique des rebelles casamançais a été arrêté quelques semaines auparavant à Ziguinchor. Il a été conduit et emprisonné à Dakar.

L’adjudant chef Alioune Sène Seck vit pleinement son récit. Sa voix forte emplit son salon qui ressemble à un capharnaüm. Ses yeux rougissent et sa tête s’agite violemment. Il est encore au cœur de la tourmente. La flèche assassine qui a frappé son ami Kalidou Diop, le premier mort de la crise casamançaise, il l’a vue partir. Les coups de machette qui ont tailladé son lieutenant, il les ressent encore. Alioune Sène Seck ressasse ses souvenirs dramatiques. Son interrogation le taraude encore, 26 ans après le drame. Démarrer son camion au quart de tour pour s’échapper tient du miracle. Le véhicule était réticent en quittant le camp. Il a fallu que les gros bras s’y mettent pour qu’il démarrât. « Cela tient du miracle », insiste Alioune Sène Seck qui ajoute : « Mon véhicule était bourré d’armes et de munitions. Parmi les indépendantistes, certains le savaient parce qu’étant d’anciens militaires. Ceux là avaient un double objectif : nous massacrer pour qu’il n’y ait aucun témoin vivant et s’emparer des armes comme trophée de guerre. J’avais compris également cela et mon seul souci était de mettre le camion, les armes et les munitions hors de portée des assaillants ». Il poursuit : « quand le véhicule s’est ébranlé, les indépendantistes ont sauté dessus. J’ai reçu un coup près de l’arcade sourcilière, un autre sous le menton. On m’a frappé partout sur le corps. J’ai reçu une flèche à l’avant bras. Mes camarades se sont débrouillés à qui mieux-mieux pour monter dans le camion ». Alioune Sène Seck se dénude pour montrer ses blessures. Des cicatrices visibles qui s’éparpillent sur son torse à forte pilosité. « Mes petits fils me demandent souvent d’où proviennent ces blessures. Je leur raconte alors l’histoire de Diabir », s’en orgueillit-il. Une histoire à laquelle, il n’aurait jamais dû prendre part. car l’adjudant chef Seck ne faisait plus partie de la gendarmerie au moment des incidents sanglants de Diabir. Il avait été radié de la gendarmerie quelques mois auparavant. Une mesure disciplinaire grave pour une affaire qu’il ne veut pas trop commenter. Pour Alioune Sène Seck cependant, il s’agissait d’une injustice. Comme la plupart des Sénégalais, il avait cherché bénédiction auprès d’un marabout qui lui avait prédit sa réintégration.

L’homme de Dieu lui avait dit que cela se passerait à la suite de faits très graves. Que « beaucoup de sang allait couler ». Quand le lieutenant Gora Fall est venu le chercher parce qu’il n’y avait aucun chauffeur pour transporter la troupe à Diabir, l’ex adjudant Chef Alioune Sène Seck avait donc accepté non par devoir mais plutôt par amour pour la patrie et par amitié. « J’avais déjà rendu mon package et c’est Gora Fall qui est allé me chercher une tenue treillis. Nous sommes allés à Diabir dans un véhicule qui n’avait pas de démarreur. Arrivés sur place, les gradés se sont informés de la nature du rassemblement. Ils ont été rassurés. Il s’agissait juste d’une réunion de concertation à la suite de l’arrestation de l’abbé Diamacoune. » Ses frères d’armes rassurés se sont mis à deviser tranquillement sous un arbre touffu en attendant la fin du rassemblement. Philosophe, il indique le destin des hommes est vraiment tracé. Après l’attaque des indépendantistes, arrivé au camp à bord du véhicule qu’il conduisait, il s’est évanoui. Amené à l’hôpital silence de Ziguinchor, il s’est retrouvé ensuite au camp militaire. Les autorités militaires furent surprises de voir Alioune Sène Seck dans un rôle de sauveur alors qu’il avait été radié. Le bruit avait couru qu’il était mort. C’est ainsi que le lendemain, son père et son homonyme venus de Rufisque se présentèrent au camp de Ziguinchor pour récupérer son corps. Divine surprise pour les parents éplorés ! Leur fils était bel et bien vivant. Mieux on le regardait, lui le banni de la gendarmerie, comme un héros. Mais les parents ne purent voir leur fils. Secret défense oblige. La hiérarchie accepta de le « réintégrer à la lecture du rapport qu’elle a reçu ».

Leur forfait accompli, les indépendantistes, se replient en brousse au moment où la rumeur d’une tuerie des militaires enfle dans Ziguinchor. La tension est vive dans la capitale du Sud. Un incident éclate entre le gouverneur de l’époque et un lieutenant désireux de poursuivre les hommes du MFDC. Le gouverneur oppose son veto. Entre le militaire et le gouverneur, les mots volent bas. Les échanges sont aigres-doux. Le lieutenant est renvoyé à Dakar. Le gouvernement a pris l’option de ne pas rendre de coups. Une option dangereuse. Le 12 janvier 1986, Ziguinchor est réveillé par des tirs nourris d’armes lourdes. Des heures durant, les armes tonnent. L’adjudant chef Alioune Sène Seck témoigne : « le sang a coulé à flots. Les indépendantistes ont attaqué la capitale du Sud. Malheureusement pour eux, les services de renseignements de l’armée sont très actifs. La ville a été quadrillée par les militaires qui ont pris toutes leurs dispositions. La réaction des militaires face aux premiers assauts des rebelles a été dissuasive. La confrontation vire à la guérilla. La chasse à l’homme s’installe. Des rigoles de sang abreuvent certaines rues de la ville. Les indépendantistes conduits par Sidy Badji et Chérifo Sané se réfugient dans la forêt pour fonder Atika, la branche armée du MFDC ». Selon l’adjudant chef Alioune Sène Seck, les rebelles voulaient prendre d’assaut la gouvernance et faire descendre le drapeau du Sénégal. Ils avaient réussi leur coup en 1982. Cette fois, leur échec est cuisant. L’adjudant-chef fustige cependant le comportement des autorités qui ont fait preuve de laxisme. « Je suis persuadé que s’il y avait eu des représailles, on aurait tué l’œuf dans la poule, souligne le gendarme. Le conflit en Casamance a pris une nouvelle voie ce 12 janvier 1986. »

Son expérience le guide à proposer des solutions. « Ni les monsieur Casamance, ni l’argent, ni les armes ne pourront régler la crise » souligne-t-il. Avant de poursuivre : « Je suis prêt à en parler avec les autorités mais on me juge trop insignifiant pour être crédible. Je suis le seul survivant militaire de l’incident de Diabir, on peut quand même m’accorder une oreille attentive ». Par devoir de mémoire, Aliou Sène Seck révèle qu’il a un livre en chantier. Entre témoignages et propositions de sortie de crise, cela promet.

Pape Amadou FALL


1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

spot_img

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

Bijou Ngoné célèbre son cinquième mariage

XALIMANEWS- Bijou Ngoné a célébré son mariage avec M....