Une propagation idéologique de la menace jihadiste est bien possible au Sénégal. Du moins si l’on se fie au Rapport sur la paix et la sécurité dans l’espace Cedeao. Cette étude avertit que face à cette menace, les chefs religieux et les confréries constituaient le bouclier, qui «ne peut plus convaincre». Ce qui découle du fait de la contestation dont sont l’objet les confréries en leur sein même, «de la fragmentation de l’autorité des califes», mais aussi «de l’existence de groupes situés à leurs périphéries, composés d’éléments quasiment embrigadés sous l’égide de chefs charismatiques (…)».
Il faudra continuer, au Sénégal, de composer avec la menace jihadiste. Les conclusions du Rapport sur la paix et la sécurité dans l’espace Cedeao inclinent le pays à adopter cette posture. Ce document dont l’Aps a obtenu copie ne dit ni plus ni moins : «Le Sénégal n’est pas totalement à l’abri d’une telle propagation, ne serait-ce qu’idéologiquement.»
Ce rapport est destiné à «fournir aux décideurs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) des analyses sur les questions de l’heure en matière de sécurité humaine dans la région». Il est «le résultat d’un partenariat entre l’Institut d’études de sécurité (Iss, en anglais) et la Commission de la Cedeao (Division sécurité régionale)».
Le Quotidien avait écrit à plusieurs reprises pour faire état de l’existence de réseaux dormants terroristes au Sénégal. Des articles publiés durant les années 2006, 2007, 2008, etc. qui avaient même mis en exergue les noms des personnes suspectées de terrorisme dont celui du jihadiste français, Gilles Le Guen, arrêté il y a quelques semaines au nord Mali par l’Armée française. Ce dernier avait été remis aux autorités maliennes qui procéderont par la suite à son transfèrement vers Paris où il a subi un interrogatoire auquel l’ont soumis les agents de la Direction centrale du renseignement intérieur français (Dcri).
Les marabouts et les confréries, «un rempart (qui) ne peut plus convaincre»
A propos du Sénégal, le Rapport sur la paix et la sécurité dans l’espace Cedeao relève que «le rempart que constitueraient les marabouts et les confréries ne peut plus convaincre en raison de la contestation dont (celles-ci) font l’objet en leur sein même et du fait de la fragmentation de l’autorité des califes, de l’existence de groupes situés à leurs périphéries, composés d’éléments quasiment embrigadés sous l’égide de chefs charismatiques (…)».
Les rédacteurs du Rapport parlent aussi d’«emprise limitée» du Sénégal «sur l’évolution de la situation». Un état de fait qui est illustré, selon eux, par «les choix du Sénégal en matière de politique étrangère combinés aux limites des services de renseignements, notamment en matière de coopération régionale».
«La dualité du système éducatif sénégalais dans sa forme actuelle» est aussi mise à l’index. En ce sens qu’elle «pourrait générer dans les prochaines décennies, si ce n’est déjà le cas, de grandes frustrations récupérables par les mouvances islamistes». Ceci pourrait avoir comme conséquence : «Une profonde fracture sociale par une socialisation différenciée des futurs citoyens d’une même Nation en devenir.» D’où la nécessité pour les auteurs du Rapport sur la paix et la sécurité dans l’espace Cedeao «de rétablir l’équilibre nécessaire et surtout d’affirmer une présence et une maîtrise de l’Etat sur des questions aussi sensibles que le contrôle des moyens de transmission du savoir et de socialisation».
Autre constat fait par le document : «Le caractère transnational des acteurs, la porosité des frontières ainsi que la réduction de l’espace par les moyens de communication modernes semblent favoriser l’expansion du phénomène jihadiste dans la sous-région ouest-africaine.»
L’enquête est présentée comme une étude préliminaire reposant sur une veille médiatique, sur des entrevues semi-structurées avec les acteurs et sur une enquête d’opinion publique reposant sur 400 questionnaires, menée en février et mars 2013 à Dakar et dans sa banlieue, dans la ville et le département de Saint-Louis ainsi qu’à Thiès et à Mbour. «Etant donné la difficulté de mesurer un phénomène comme le radicalisme, l’approche retenue a été celle d’une analyse qualitative des discours recueillis dans le cadre des entretiens et des questionnaires», précisent les auteurs.
L’enquête rappelle qu’en juin 2007, les assassins présumés d’un groupe de Français recherchés par la police mauritanienne ont, via le Sénégal et la Gambie, gagné Bissau pour y être arrêtés par les services de sécurité bissau-guinéens.
Le 29 mai 2010, trois présumés jihadistes ont été interpellés à l’Aéroport international Léopold Sédar Senghor de Dakar par la Division des investigations criminelles (Dic). En février 2011, deux membres présumés d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en fuite sont arrêtés dans la banlieue dakaroise.
En juillet 2012, l’arrestation à Dagana, au Nord du Sénégal, de dix personnes suspectées d’appartenir à un réseau terroriste avait fait réagir le Président sénégalais, Macky Sall.
Une série de recommandations proposée
Le rapport préconise une série de recommandations. Parmi celles-ci, on note la mise sur pied «d’une plateforme pluridisciplinaire de veille stratégique sur la radicalisation religieuse pour faire le point régulièrement sur l’évolution de la situation et développer une prospective en étroite coordination avec les services concernés de l’Etat sénégalais». Une structure à laquelle doit se greffer la création «d’un cadre national de dialogue sur l’avenir du système éducatif sénégalais afin de résorber les frustrations potentielles des laissés pour compte du système francophone».
Les auteurs de l’étude de suggérer encore : «Au regard de sa position au sein de l’Organisation de la conférence islamique (Oci), le Sénégal pourrait se concerter avec ses pairs arabes pour mieux encadrer le dispositif de financement de l’éducation pour une coopération harmonieuse prenant mieux en compte ses préoccupations notamment sécuritaires à moyen et à long terme.»
Ils invitent aussi à l’implication «de la manière la plus optimale des chefs religieux, traditionnels et coutumiers du Sénégal en tant que régulateurs». Une invite dont le but est «de limiter les influences des discours radicaux importés par des relais aux motivations diverses».