Affaire François de Rugy : un exemple de transparence dans la gestion des finances publiques dont nous sommes à des années-lumières. (Par Mody Niang)

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Le célèbre site MEDIAPART a jeté un pavé dans la mare, en publiant des photos
prises lors d’un dîner donné par François de Rugy, en sa qualité d’alors de
Président de l’Assemblée nationale française. Au moment où éclatait le
scandale présumé, M. de RUGY était Ministre d’Etat, Ministre de la Transition
écologique et solidaire, deuxième de la liste du Gouvernement. Les photos ont
mis en évidence de gros homards et de grands crus tirés, semble-t-il, des caves
de l’Assemblée nationale. Il n’en fallut pas plus pour que, pratiquement, tous
les médias s’en saisissent. Il en a été ainsi en particulier de France 5, qui
consacrait sa très suivie et très instructive émission ‘’C DANS L’AIR’’ à l ’Affaire,
avec pour titre évocateur :’’De Rugy en pleine tempête’’. L’animatrice,
Caroline Leroux, avait invité : 1) Bruno Jeudy, Rédacteur en chef du service
politique de ‘’Paris-Match’’ ; 2) Frédéric Says, Éditorialiste politique à ‘’France
culture’’, co-auteur de ‘’Dans l’enfer de Bercy’’ ; 3) Soazig Quéméner,
Rédactrice en chef du service politique de ‘’Marianne’’ ; 4) René Dosière,
ancien député, spécialiste de la gestion des finances publiques. Nombre d’autre
médias, notamment France 2, France 24, C News, BFM TV, etc., organisèrent
des débats autour de ladite Affaire.
J’en entends déjà qui s’interrogent : « Que tient-il à prouver vraiment, en nous
citant des médias français qui ont organisé des débats sur la question, sur cette
question qui ne nous regarde pas ? » Je leur réponds sans hésiter que, de mon
humble point de vue, elle ne doit point nous laisser indifférents, au contraire.
Je rassure aussi les uns et les autres : loin de moi l’idée de comparer ces médias
à quelques autres que ce soit. Ce que j’ai apprécié chez eux, c’est la
compétence et la diligence avec lesquelles, des journalistes et autres
spécialistes de haut niveau se sont jetés sur cette l’affaire qui passerait
pratiquement inaperçue chez nous, pour la décortiquer et permettre à leurs
compatriotes de s’en faire chacun, chacune son idée, de savoir en particulier
comment leurs deniers publics sont dépensés.
Pour revenir à cette affaire dite de François de Rugy, les photos publiées par
MEDIAPART ont vite fait de tourner en accusations d’organiser des dîners
privés fastueux. Rappelons que François de Ruge disposait, en tant que
Président de l’Assemblée nationale, de 400000 euros, en guise d’indemnité de
représentation pour frais de mandat (IRFM), soit l’équivalent de 260 à 270
millions de francs CFA par an 1 . C’est avec ces IRFM qu’il organisait certaines

activités, notamment des dîners professionnels liés à l’exercice de sa mission
d’alors. Il s’est beau expliquer, rien n’y fit : journalistes et hommes/femmes
politiques même de son camp l’accablèrent. Malgré la tourmente, le Premier
Ministre et le Président de la République lui renouvelèrent leur confiance, en
attendant que l’enquête ordonnée par l’Hôtel de Matignon (la Primature) et
celle menée par l’Assemblée nationale aboutissent à leur terme. Le Ministre de
RUGY n’attendit pas les résultats des deux enquêtes : il démissionna de sa
prestigieuse fonction de Ministre d’Etat, Ministre de la Transition écologique et
solidaire, tout en se considérant comme innocent jusqu’à preuve du contraire,
et en s’engageant à rembourser, s’il y a lieu, ‘’tous les euros contestés’’. « Je ne
suis pas en mesure, écrira-t-il, la mort dans l’âme, d’assumer sereinement et
efficacement la mission que le Premier Ministre et le Chef de l’Etat m’ont
confiée. » 2
Après sa démission, l’Assemblée nationale remit à qui de droit les résultats de
son enquête sur les dîners supposés privés et fastueux. Le rapport, qui a passé
au peigne fin douze dîners, conclut que « les règles de la commande publique ont
globalement été respectées ». La présidence de l’auguste Assemblée nationale
française précise : « Il apparaît que Monsieur de Rugy n’a enfreint, directement
ou indirectement, aucune règle et n’a commis aucune
irrégularité. » « Toutefois, reconnaîtra l’auguste Assemblée, sur douze dîners,
neuf ne posent pas de difficulté particulière, mais trois appellent des
observations. (…) Ils présentent à la fois un caractère familial ou amical et un
niveau manifestement excessif par rapport à ce qui peut être considéré
comme raisonnable. »
Tous les détails sur ces trois dîners jugés ‘’excessifs’’ sont donnés et le
rapport rappelle que M. de RUGY « (avait) de lui-même évoqué devant la
Déontologue de l’Assemblée nationale la possibilité de rembourser le montant de ses
dépenses qui seraient contestées ». Dès que le rapport a été rendu public, du moins
dès qu’il en a eu écho, il prend acte des conclusions. La présidence de l’Hémicycle
lui enjoint de se rapprocher « des services compétents de l’Assemblée nationale
pour régler dans les meilleurs délais les frais engagés pour les 3 dîners évoqués par
le rapport du Secrétaire général et de la déontologue ». Arrêtons-nous quand même
ici pour rappeler que le budget de l’Assemblée nationale française est régulièrement
contrôlé par l’opposition en la personne du Président de la Commission des
Finances, la déontologue (une députée), et la Cour des Comptes. Il arrive à cette

1 Que représentent vraiment 260 à 270 millions de francs CFA, pour le Président de l’Assemblée nationale d’un
pays qui fait partie des 5 à 7 grandes puissances économiques, financières et militaires du monde ? Et pourtant,
ils font l’objet d’un contrôle régulier et serré.
2 Chez nous, il faut plus que des piques et des pelles pour qu’un ministre démissionne. Chez nous, on les
déshonore, on ne les tue pas, en leur ôtant de la bouche leurs sucettes.

déontologue de prendre au hasard une centaine de députés pour vérifier à la loupe
comment ils ont dépensé les frais de représentation mis à leur disposition.
Comparons avec ce qui se passe chez nous ! Imagine-t-on, un seul instant, notre
‘’auguste’’ assemblée du président-politicien confier la présidence de la Commission
des Finances à un membre de l’opposition ? Qu’une commission composée de
députés enquête sur des dépenses du Président de l’’’auguste’’ assemblée ? Qu’un
ou qu’une déontologue ose fouiner dans la gestion de l’inamovible questeur ? En
matière de transparence dans la gestion de nos finances publiques, nous sommes à
des années-lumière de la France.
N’oublions pas que Matignon avait, de son côté, ordonné une enquête par le
Secrétariat général du Gouvernement. MEDIAPART reprochait aussi à M. de Rugy
d’avoir effectué des travaux de rénovation dans l’appartement qui lui servait de
logement de fonction, logement sis à l’hôtel de Roquelaure, un vieux bâtiment du
XVIII e  siècle, où le Ministre de la transition écologique et solidaire avait ses quartiers.
C’est, du moins, ce qu’a indiqué le rapport de Matignon qui précise que, « depuis
2009 et même depuis 2003, aucune rénovation importante n y a été
effectuée ». MEDIAPART avait révélé que le coût de la rénovation était de 64 523
euros, et laissait peut-être entendre qu’il était surévalué. Le rapport de Matignon
affirme aussi que « les règles de la commande publique ont été globalement
respectées » et que certaines « dépenses d’équipements et d’ameublement (…) ont été
ajustées à la baisse ». Enfin, le rapport indique que « l’inspection n’a relevé aucune
irrégularité imputable au ministre dans le respect des principes d’exemplarité et des
règles de la commande publique » 3 . Imaginons tout le branle-bas que les accusations
de MEDIAPART ont soulevé, accusations qui ont même secoué la République et
fragilisé son président ! Imaginons les moments particulièrement difficiles que le
Ministre François de Rugy et sa famille ont vécus ! Certains analystes politiques n’ont
pas même hésité à affirmer que « cette affaire (risquait) de peser lourd sur la suite
du quinquennat (de Macron) ». Ah ! Cette affaire seulement, qui a tenu la France en
haleine pendant plus d’une semaine ! Chez nous, elle passerait pratiquement
inaperçue et ne ferait l’objet d’aucun commentaire, ou en ferait très peu, le temps
d’une rose.
Ce que j’apprécie encore plus chez nos ‘’ancêtres les gaulois’’ c’est que, lorsqu’une
faille se révèle dans leur dispositif de mettre leurs deniers publics hors de portée des
indélicats – il en existe partout – ils y remédient sans tarder. C’est ainsi que le
Président de l’Assemblée nationale française a pris l’initiative de mettre sur place un
groupe de travail, avec pour objectif de « proposer toutes les mesures qu’il jugera
utiles pour renforcer les règles et procédures budgétaires de la Présidence de
l’Assemblée nationale » ». Matignon n’était pas en reste. Le Premier Ministre Edouard
Philippe, du moins son entourage, a tenu d’abord à rassurer tout le monde : les
résultats de l’enquête ordonnée « n’ont relevé aucune irrégularité imputable au
ministre dans le respect des principes d’exemplarité et des règles de la
commande publique » Et, à ceux et à celles qui doutent de l’impartialité de
cette enquête administrative, Matignon rappelle « que la mission
d’organisation des services du Premier ministre est un corps d’inspection
composé de fonctionnaires rigoureux et placé sous l’autorité de la contrôleuse
3 Enquête administrative menée par Virginie Aubard, ‘’Le Parisien’’.

des armées ». Et Matignon ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Avec force, il
« confirme la pertinence de la circulaire du 26 mai 2017 ». Celle-ci rappelle
à chaque ministre le devoir d’exemplarité et de sobriété auquel il est
soumis, et trace nettement la frontière entre dépenses publiques et
dépenses privées. Compte tenu de l’affaire dite de François de Rugy, les
dispositions prises devraient être renforcées par une nouvelle circulaire qui
« complétera le processus de contrôle des travaux sur les logements de
fonction. »
Si j’ai tenu à évoquer longuement toutes ces affaires qui ont donné lieu à
tant de débats en France et conduit finalement à la démission du ministre
François de Rugy, c’est pour attirer l’attention de mes concitoyens et de
mes concitoyennes sur le fossé abyssal qui nous sépare de ce pays, en
matière de gestion transparente des finances publiques. J’entends déjà les
courtisans du couple présidentiel et de la coalition gouvernementale me
tomber dessus et me rétorquer que ‘’comparaison n’est pas raison’’, que ‘’je
vise très haut, nous ne sommes pas la France’’. D’autres, à l’horizon très
limité, me reprocheront mon ‘’complexe vis-à-vis de la France’’.
Je n’aurai pas besoin de réfléchir longuement pour leur répondre. D’abord,
et personne ne peut m’en démordre, la transparence dans la gestion des
affaires publiques par les meilleurs d’entre nous, est une valeur universelle.
Ensuite, je ne vois vraiment pas pourquoi je serai complexé par rapport à la
France. Je sais ce que je suis, qui je suis et en suis très fier. Je lis
beaucoup de journaux et suis régulièrement des débats organisés par des
médias de ce pays. Je reconnais sans état d’âme le niveau élevé de ces
débats et la haute qualité des textes publiés. Pour autant, je ne vois
vraiment pas pourquoi j’éprouverai un seul grain de complexe vis-à-vis de
ce beau monde. Je le répète : je me prends pour ce que je suis : un
Sénégalais, fier de sa ‘’sénégalité’’. Cependant, cette ‘’sénégalité’ n’obstrue
pas mon objectivité ou ce que je prends pour tel. La France est un grand
pays, une grande démocratie, avec des institutions fortes que l’on ne
manipule pas au gré des intérêts égoïstes des uns et des autres. J’envie à
nos ‘’cousins’’ français leur attachement à la rigueur dans la gestion de
leurs affaires publiques, à l’intégrité morale des hommes et des femmes qui
sont appelés à exercer des responsabilités publiques à des niveaux élevés.
J’ai beaucoup de respect pour cette France-là, cette grande démocratie
que je ne confonds pas avec le peuple français.
Combien de ministres ont-ils démissionné du Gouvernement du Président
Macron, depuis son avènement à la magistrature suprême ? Ils sont sept,
huit ou plus, qui ont fait parfois quelques mois seulement au gouvernement,
avant d’être rattrapés par des affaires, qui ne seraient que broutilles chez
nous. Il y a, autour du Président de la République, au Gouvernement,
comme à la tête de directions générales ou d’agences nationales, des

hommes et des femmes qui seraient rapidement remerciés – pas
seulement d’ailleurs –, si on leur avait appliqué les règles en vigueur en
France. Peut-être même, nombre d’entre eux ne seraient pas membres
d’un cabinet ministériel.
Si nous avions à la tête de notre pays un Président de la République digne
de la fonction ; un gouvernement formé d’hommes et de femmes ayant le
profil de l’emploi en tous points de vue et nommant leurs collaborateurs à
leur image ; une Assemblée nationale non de sa majesté mais bien du
peuple ; une justice vraiment indépendante, avec une sorte de parquet
national financier comme celui de Paris ; une Maison où se retrouveraient,
autonomes, tous les organes de contrôle dotés de moyens substantiels ;
des populations, avec surtout des jeunes tous conscients de leurs
responsabilités citoyennes et se préoccupant en priorité de leur avenir
incertain ; une presse libre, vigilante, jouant activement son rôle de
sentinelle, etc., avec autant d’atouts, 4 notre pays entamerait sûrement sa
marche vigoureuse vers l’émergence, et la continuerait rapidement vers le
développement harmonieux de tout le pays. Avec les importantes
ressources naturelles dont notre GÉNÉREUX SEIGNEUR nous a dotés, ce
serait vite possible dans la mesure où, bien sûr, toutes les conditions que
j’ai évoquées un peu plus haut deviennent réalité.
Mody Niang
Dakar, le 23 juillet 2019

4 Je n’ose pas dire comme

1 COMMENTAIRE

  1. Malheureusement le Sénégal est un pays où le sérieux et la rigueur sont inconnus de la plupart des sénégalais, surtout de nos dirigeants qui depuis 60 ans, se préoccupent plus de leurs privilèges et avantages que du bien être des populations. C’est la raison pour laquelle nous en sommes à ce stade de pauvreté alors que le Maroc et autres pays asiatiques sont en cours d’émergence. Ce qui est grave c’est que ces autorités nous vendent toujours la croissance du pays avec des slogans mensongers tels que l’émergence, le PSE, le « fast track » dont l’objectif est d’endormir les sénégalais plus qu’autre chose. La France, le Maroc, les pays asiatiques etc sont des pays sérieux et travailleurs. Nous au Sénégal non seulement on nous incite à la paresse (avec des modèles douteux: lutte etc..), mais aussi au « ngnoublang » à la tricherie et tutti quanti. Et ce qui est gravissime c’est qu’on a pas de « jomm ».

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