L’affaire Oumar Sarr continue d’alimenter le débat public sénégalais, surtout si la parole très rare du procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, s’est invitée dans l’espace public. Des agissements médiatiques du magistrat du Parquet qui semble prêcher dans le désert.
Télé. La parole publique des Procureurs est rare au Sénégal, leurs apparitions à la télé fortuites. Alors quand samedi, Serigne Bassirou Guèye a quitté le très sombre Parquet pour s’asseoir sur le Plateau éclairé de feux de la Rts à 13 heures, certains observateurs ont dû se pincer pour le croire. Le procureur de la République, malgré les contraintes de Noël, a fait le déplacement au «Triangle Sud» pour faire un cours de Droit sur l’affaire Oumar Sarr. Costume de rigueur, le Procureur sur son trente-et-un, crâne rasé, œil vif, regard pétillant, Serigne Bassirou Guèye a enfilé sa toge pour s’adonner à un réquisitoire sans s’essouffler, façon de brûler l’immunité parlementaire du député Oumar Sarr, secrétaire général adjoint du Parti démocratique sénégalais (Pds). «Le problème ici est très simple. Nous sommes sur l’article 51, alinéa 2 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Ce règlement intérieur là est une Loi organique et pour l’adopter, on n’a pas besoin d’une majorité simple des députés. Il faut les 2/3 des députés pour que les règles fixées à l’Assemblée soient à la Constitution. Les Sénégalais ne doivent pas se laisser prendre au piège. Comment une personne, même si elle bénéficie d’une protection, peut-elle avoir le droit d’insulter une institution telle que le président de la République ou l’Assemblée nationale. Ce n’est pas parce qu’on est député et qu’on a une immunité qu’on a le droit d’insulter les institutions de ce pays. Je crois que c’est là où devrait se situer le débat. Les Sénégalais ont mis en place des institutions et ce n’est pas parce qu’on se prévaut d’une immunité qu’on doit les insulter», explique-t-il, gestuelle à l’appui, devant les caméras de la Rts. Quid des journalistes du Monde ?
Net. Le public pouvait pourtant se passer de cette question des «agissements médiatiques» du Procureur, puisque l’article 51 alinéa 2 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale tranche de façon claire et nette le débat. Il dit : «Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière correctionnelle ou criminelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale. Mais le député pris en flagrant délit, en fuite après la commission des faits délictueux, peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation de l’Assemblée nationale.» Même si les avocats du responsable libéral ne sont pas convaincus par l’argumentaire. Dans leur salon, beaucoup de Sénégalais se sont interrogés sur l’empressement du procureur de la République à s’expliquer sur un dossier pendant devant la justice. Seydi Gassama, représentant d’Amnesty International, est de ceux-là. «Je crois que dans cette affaire où les avis sont très partagés, il est surprenant que le Procureur se permet de dégager l’immunité parlementaire du député. Mais je voudrais m’arrêter sur la forme pour dire que les conditions de l’arrestation de Oumar Sarr sont inacceptables et tous les députés devraient faire entendre leur voix, car ils peuvent se retrouver de l’autre côté. Ensuite, il faut dire que le président de la République sache qu’il ne gagne rien en emprisonnant les leaders de l’opposition. Il ne peut pas gagner le respect de ses opposants en les menaçant, il faut qu’il prenne de la hauteur», rectifie le représentant d’Amnesty international, joint au téléphone par L’Obs.
Radio. Après s’être montré sur l’écran de la Rts, sans le crever, le Procureur Serigne Bassirou Guèye est allé à la radio Sud Fm pour détailler les raisons de son réquisitoire, en sortant un cours de Droit sur le flagrant délit à l’antenne. «Il y a une distinction entre le flagrant délit et délit flagrant. En Droit, le délit flagrant, c’est une infraction, le flagrant délit est une procédure. Quand le délit est flagrant, comme c’est le cas dans l’affaire Oumar Sarr, le Procureur peut choisir la procédure de flagrant délit qui fait qu’on va le juger le surlendemain ou même la comparution immédiate. Le Procureur peut aussi choisir la citation directe, c’est-à-dire, on le laisse partir et on le cite par voie d’huissier, le Procureur peut choisir d’aller devant le juge d’instruction. Il peut aussi classer l’affaire sans suite. Nous avons choisi la procédure d’instruction et sur ce plan, nous n’avons plus rien à dire», s’enthousiasme le Procureur Serigne Bassirou Guèye. Un argument qui ne fait pas sauter au plafond certains observateurs. Le Procureur semble même prêcher un convaincu. Seydi Gassama, représentant d’Amnesty International, en fait partie. «En cas de flagrant délit, on ne peut pas confier le dossier à un juge d’instruction. Jusqu’à présent, ni le ministre de la Justice ni le Procureur n’ont convaincu personne.» Pourtant le Procureur a tout tenté à l’écran et sur les ondes pour convaincre son monde. Sans succès. Ou peu ou prou.
Le secrétaire général adjoint du Pds, Oumar Sarr, est écroué à la prison du Cap Manuel pour les faits d’infractions suivantes : faux et usage de faux en écritures privées, diffusion de fausses nouvelles…
MOR TALLA GAYE
Lobs