Affaire Sheikh Alassane Sène : haro sur la justice sénégalaise

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« Ô Mes Serviteurs ! Je Me suis interdit l’injustice et Je vous déclare que Je vous l’interdis.
Ne soyez donc pas injustes les uns envers les autres. » (Hadith Qudsi rapporté par Muslim)

Pendant que l’attention est captée par le débat stérile sur la « sénégalité » et les subterfuges d’un chef d’État qui ne veut pas tenir ses engagements envers son peuple, des citoyens croupissent en prison pour des raisons farfelues. Un des cas les plus frappants est celui de Sheikh Alassane Sène. Selon l’adage, qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage. De nos jours, tout pouvoir qui veut « neutraliser » un musulman, l’accuse de terrorisme. Pas besoin de preuves. Sheikh Alassane Sène est privé de liberté depuis un an. De quoi l’accuse-t-on ? « Actes de terrorisme par intimidation, atteinte à la sûreté de l’État, association de malfaiteurs et actes visant à troubler l’ordre public ». Que s’est-il passé ? Les faits relatés par la presse n’ayant été démentis par aucune autorité, on peut donc s’y fier jusqu’à preuve du contraire.

Le 15 janvier 2015, donc quatre jours après la participation controversée du président Macky Sall à la « Marche républicaine » organisée par le gouvernement français suite à la barbarie perpétrée dans les locaux de Charlie Hebdo, deux Sms pleins de fautes d’orthographe sont envoyés, entre 20h 45 et 21h 56, au ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo et à la Directrice générale de la Police nationale, Anna Sémou Faye : « Salam, les ennemis de l’islam. Vous avez commis des erreurs grave. Sur l’affaire charie, vs ns pousser a agir au nom de l’islam. On est 19 mbres de alkeida a dakar nous vous suivons de près intérieur comme a l’exterieur du pays la menace vs concerne ainsi que vos enfant, toi et ton président ». Avec la coopération de la société de téléphonie Sonatel (géo localisation et autres), les enquêteurs découvrent que le portable dont les Sms ont été émis est en possession d’une vendeuse de poissons domiciliée à Malika, une certaine Diary. Interpellée par les éléments de la police criminelle, celle-ci déclare que le portable lui a été offert par son cousin Salif Hamady Ba alias Johnny.

Johnny est un politicien membre du Pds. Un responsable libéral, dit-on, proche de Me Wade. Interrogé, le 11 février 2015, il a d’abord tout nié d’un bloc avant d’avouer certains faits et de semer la confusion sur d’autres. Dans ses déclarations, les mensonges, c’est le seul mot qui sied, sont nombreux.

  1. Il dit n’avoir jamais vu le téléphone portable dont il est question. Pourtant, lors de leur confrontation, sa cousine répète qu’il le lui a bel et bien offert à la place du matelas qu’elle sollicitait auprès de lui. La domestique de Johnny confirme la cession du portable pour avoir été informée par Diary elle-même. Johnny nie toujours. Mais « la réquisition de la police auprès de l’opérateur de téléphonie a permis de constater que le 15/01/2015 à 20 heures, 21h 23 et 21h 34, les appels de Hamady Ba (Johnny) par le biais de son numéro 77548… ont été relayés par l’antenne BTS de la cité Fadia. A 21h 51, il a reçu un appel du numéro 775388… relayé par celle de l’unité 4 B_2 et à 21h 57, également, un autre appel de 7725548… par l’antenne BTS de Camberene01_3. » Ces informations prouvent que le portable n’était pas à Malika, mais dans la zone d’habitation de Johnny. Il reconnait alors l’avoir offert à sa cousine Diary.
  2. L’officier de police chargé de l’enquête lui dit : « Tout porte à croire que vous avez envoyé ces Sms ou bien vous étiez en compagnie de la personne qui les a envoyés. » Johnny déclare qu’il ne sait ni lire ni écrire et que c’est son ami Abdourahmane Kane qui, souvent, lui lit ses messages et écrit ses Sms. Abdourahmane Kane dément et explique : « Je n’ai jamais lu ou envoyé de message pour le compte du nommé Salif Hamady Bâ (Johnny) avec son téléphone portable parce qu’étant moi-même illettré. »
  3. Concernant les numéros auxquels les Sms ont été envoyés, Johnny avoue connaître celui de la Directrice générale de la Police nationale, mais pas celui du ministre de l’Intérieur. Et il rajoute qu’il arrivait que des parents lui empruntent son téléphone pour appeler le ministre. Là, c’est confus et tiré par les cheveux. Quel ministre ? Est-il si facile de contacter les autorités ? Les enquêteurs n’ont apparemment pas jugé nécessaire d’explorer cette piste.

 

Et Sheikh Alassane Sène dans tout cela ?

 

Il se trouve qu’après deux jours de garde à vue, Johnny a déclaré que c’est Sheikh Alassane Sène qui lui a offert le téléphone à partir duquel les Sms ont été envoyés. Le 13 février 2015, M. Sène est convoqué à la Division des investigations criminelles. Il dit « qu’il n’a jamais envoyé de Sms à ces autorités dont il n’a pas les numéros de téléphone et qu’il n’est pas allé au domicile de Johnny depuis quatre ans au moins. » Après une nuit de garde à vue, ne trouvant rien à lui reprocher, on le laisse rentrer chez lui dans l’après-midi. Mais le lendemain, il est de nouveau convoqué et placé sous mandat de dépôt. Il est ensuite écroué à Rebeuss avant d’être transféré au Cap Manuel et isolé. « Il ne peut pas recevoir de visites de l’extérieur et ses contacts avec les autres détenus sont inexistants. » Pourquoi ?

  1. Johnny dit que c’est Sheikh Alassane Sène (un poète mystique qui s’exprime très bien en français) qui lui a dicté les Sms (à lui, l’illettré) après lui avoir offert le téléphone, le 15 janvier 2015. Mais le plus incongru est que Johnny, qui reconnait donc avoir écrit les Sms, prétend ne pas se souvenir de son emploi du temps, ce soir-là, entre 20h et 22h. Sheikh Alassane Sène, par contre, répond : « Je crois que j’étais à mon domicile. Sinon, j’étais parti chez mes parents aux Hlm. En effet si je sors la nuit, c’est seulement pour aller rendre visite à mes parents. »
  2. Johnny dit que « le cellulaire lui a été offert par Sheikh Alassane Sène le jour même où le forfait a été commis et que le même jour il l’a donné en cadeau à sa cousine Diary. » Mais, Dado Mané, la bonne qui travaille chez lui, dit avoir remarqué ce téléphone portable dans cette maison, bien avant ce jour : « Oui, j’ai déjà vu le téléphone portable de marque Samsung, de couleur rouge, que vous venez de me présenter. En effet, je suis chargée de nettoyer la chambre à coucher du nommé Salif Hamady Ba (Johnny). Et, il m’est arrivé à plusieurs reprises de voir cet appareil sur la coiffeuse de Salif Hamady Ba (Johnny). Je l’ai remarqué audit endroit avant la visite de Diary. »
  3. Concernant la puce retrouvée dans le portable, la bonne révèle que c’est son employeur, Johnny, qui l’a envoyée l’acheter près du marché de l’unité 3 des Parcelles assainies dans le courant du mois de janvier. Elle a formellement reconnu le vendeur lors d’une « identification » dans les locaux de la police, le 16 février à 15h 30 minutes. Le vendeur de la puce a confirmé. N’est-ce pas assez pour prouver l’innocence de Sheikh Alassane Sène dans cette affaire ?

Il est clair que Johnny est le seul coupable, le seul «  terroriste ». Il est normal qu’il soit écroué et il est compréhensible que ses amis du Pds n’aillent pas lui rendre visite de peur d’impliquer leur parti dans cette salle affaire. Mais qui est Sheikh Alassane Sène, le Dreyfus sénégalais ? Cet homme d’une quarantaine d’années, marié et père de deux petites filles, dit que sa préoccupation principale est la vulgarisation de l’Islam. A Ouest-Foire où il habitait (avant le Cap Manuel), il était un «  baay defal Yàlla ». Il ouvrait sa porte aux nécessiteux et s’évertuait à implanter dans les cœurs l’amour de Dieu et du prophète Muhammad (Psl). De son adolescence, retenons ce témoignage de Paco Jackson : « Il n’avait pas investi le créneau des soirées dansantes, ce n’était pas son dada. Il n’avait pas l’habitude de frimer, même s’il aimait s’habiller en costume. Il était à l’époque très posé et très correct. » Par ailleurs, il aimait taquiner le ballon et était un très bon footballeur. Brusquement, il décida de laisser tomber ces « enfantillages », pour se consacrer à l’islam, déclarant : « Il n’y a que le Prophète qui est la vérité. Si aujourd’hui j’ai changé, c’est grâce à lui et mon marabout Serigne Saliou Mbacké. » En Octobre 2009, il met sur pied une fondation « Sallalahou Ala Muhammad » en l’honneur du prophète Nabi Al Mustafa (Psl). Il enseigne à ses disciples, la paix, la tolérance. Et Paco Jackson de conclure : « Il est incapable de faire mal à une mouche, je ne crois même pas à ces accusations. »

Pourquoi donc est-il en prison ? Dans son émission hebdomadaire publiée par le site d’informations en ligne dakaractu.com, le jeune religieux parlait d’islam, mais aussi de la gestion du pays et ne caressait pas toujours le président Macky Sall dans le sens du poil. Son incarcération injustifiée, vu les faits énoncés, indique alors la piste d’un règlement de comptes politiques n’ayant rien à voir avec le terrorisme, une justice instrumentalisée, un abus de pouvoir.

  1. Johnny dit s’être rendu au domicile du jeune « mara » à la demande de Pape Samba Diop, proche collaborateur du président Macky Sall, pour qu’il cesse ses attaques contre le chef de l’État et que c’est ce jour-là que Sheikh Alassane lui a offert le portable, mais a refusé d’arrêter ses critiques envers le régime…

Sheikh Alassane Sène est en prison depuis le 18 février 2015 et ne cesse de clamer son innocence. Il a introduit plusieurs demandes de mise en liberté provisoire toutes refusées. Il aurait même entamé une grève de la faim pour attirer l’attention des Sénégalais sur son cas.

 

Concluons avec ce poème du pasteur et militant pacifiste Martin Niemöller :

 

« Quand ils sont venus chercher les communistes,

Je n’ai rien dit,

Je n’étais pas communiste.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,

Je n’ai rien dit,

Je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus chercher les juifs,

Je n’ai pas protesté,

Je n’étais pas juif.

Quand ils sont venus chercher les catholiques,

Je n’ai pas protesté,

Je n’étais pas catholique.

Puis ils sont venus me chercher,

Et il ne restait personne pour protester. »

 

Et ce hadith :

« Que celui d’entre vous qui voit une chose répréhensible la corrige de sa main. S’il ne le peut pas de sa main, qu’il la corrige avec sa langue. S’il ne le peut avec sa langue que ce soit avec son cœur et c’est là le degré le plus faible de la foi. »

 

Bathie Ngoye Thiam

 

3 Commentaires

  1. Pendant que l’attention est captée par le débat stérile sur la « sénégalité » et les subterfuges d’un chef d’État qui ne veut pas tenir ses engagements envers son peuple, dès que j’ai lu ce passage, je me suis arrêté, parce que si tu crois ce débat est sterile, tu mérites pas d’être lu

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