Indépendance, c’est dans l’air du temps. Une course aux souvenirs. Quelques foulées seulement et moi, frêle athlète essoufflé à l’entame de la quatrième borne de l’année, je vous touche un mot des dépendances mentales. Je n’ai pas la science de ces orateurs qui visitent les secrets du départ des colons et les coulisses de l’affirmation de leaders africains. Y a pas photo ! Ils analysent, avec talent et audace, emphase et solennité, les enjeux. Le ciseau de Berlin, l’équerre des conquérants, les marchandages comme dans un marché à pacotille sauvage, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé. D’ailleurs, je n’en prends le matin que pour souffrir de reflux gastriques. Je n’en prends donc pas ! Le café non plus, en guise de solidarité à ces cousins aux râles monstrueux dans les cales des négriers. Pas snob pour un sou, j’adore mon quinquéliba, seulement quand je peux tordre la main à mes bourgeoises de banlieue. Gare à l’hypotension artérielle ! Gare aussi au délire passéiste qui fait oublier qu’il y a, d’hier à aujourd’hui, un avenir à inventer. Une autre vie, celle-là qui est possible malgré les dégâts des chaînes et des lanières sur les armoires à glace appelés « pièce d’Inde » et vendus comme la poudre à canon, le miroir, l’alcool, la soie, le tabac… Je ne m’épancherai non plus sur les concepts d’indépendance culturelle. La mer qui arrose Guédiawaye donne la même teneur en sel aux plages de New York ou Rio de Janeiro. Seulement, l’imagination des uns et des autres est un art qui met du piquant au poisson braisé de la vie quotidienne. La frontière est loin d’une plate poussée idéologique ; elle est dans la manière d’être et de faire. Elle est dans l’action quotidienne pour faire de la culture un facteur de croissance à travers la mystique du travail non simplement dans le rapport romantique au legs. Pour le reste, le satellite a la même vertu que les vagues : irrésistible ! Sauf dans un centralisme démocratique qui récuse le modèle occidental et assume la censure d’un moteur de recherche comme « Google »… Autrement, Vaidehi, aujourd’hui, est dans le même rôle, toutes proportions gardées, que Marimar des années 90, Sandokan et d’Artagnan des années 80 ou le « Thriller » de Michael Jackson. Nos télés ressemblent à nos pays : sans production locale, la diffusion a le même goût que le café « expresso », à Dakar comme à Buenos Aires. Lorsque je dis « nos », mettez-y Yaoundé, Cotonou, Lomé, etc. « La beauté du diable » était regardé aussi bien sur nos télés que sur une chaîne camerounaise. D’autres telenovelas ont émerveillé les publics de la Rts et d’Africable en même temps. Bien sûr, le Burkina et le Nigeria s’illustrent à travers des efforts de créer cette rupture. Ça ne va pas ? Upgradez vos guignols de service pour faire réfléchir en plus de faire rire comme dans un distributeur automatique de bouffonneries. Je comprends le refrain nationaliste, moi qui vibre aussi pour le xalam de mes pérégrinations culturelles profanes. Je me garde de verser dans le nombrilisme. Les économies dominantes imposent souvent leur culture. Y compris des sous-cultures ayant pris racine dans la rue comme le hip-hop. Un véritable patchwork de sonorités, d’emprunts divers aux classiques et de mix prêt-à-chanter de studio. La conquête, c’est un comportement. Un esprit. Les Antilles nous font rêver, mais voyez comme nos plages sont habitées par le fantôme de Mbeubeuss ! Voyez comme le sable naturellement fin et blanc est souillé tel un W.C en plein air ! Le Cap-Vert, à une heure de vol, devient un paradis en matière de qualité de vie et d’air… Pour forger la matière première, il faut bien plus que les proclamations d’une fierté poids plume face à la monstrueuse pieuvre-monde avec des bourses de valeur à la place du cœur et à la calculette à la place des émotions. Travailler, sans en faire un slogan. Un de mes tontons, boute-en-train devant l’Eternel, a sa formule : « mettez les fainéants au paradis, ils finiront tous par taper à la porte de l’enfer que les bosseurs auront entièrement climatisé ». Je me garde de blasphémer : le paradis, c’est déjà le travail bien fait, dans la loyauté et la discipline, en religion comme en droit du travail. La voie de l’indépendance économique ? Une chose est sûre : les apôtres de l’indépendance économique sont piégés par le Syndicat africain des Théoriciens (peu sincères) de l’Intégration. La révolution tant annoncée est un leurre sémantique. La rhétorique est une pommade que nous passent les hommes d’Etat abonnés aux tables rondes, carrées ou ovales aux palabres stériles. Ce refrain n’inspire que des chanteurs en mal de génie, accrochés au sempiternel couplet sur « Cheikh Anta Diop, Kwame Nkrumah, Gamal Abdel Nasser, wakhonenako » (ils l’avaient prédit), etc. Mais qui va la réaliser, cette union ? L’un d’entre eux soutenait, en version originale et studio, que le problème de la liberté d’expression était à l’origine de la crise rwandaise. C’est plus profond que c’est plus profond qu’un simple malaise démocratique. La crise de cultures pourtant bâties sur le socle d’une même langue. La légende des élus de Dieu et des osu-citoyens. Un autre, magnifiant le devoir de mémoire face à la traite, interrompt une belle complainte pour demander, à sa bienfaitrice, Sénégalaise bon teint (cela veut dire quoi au juste ?), de lui « offrir des esclaves ». Je l’ai repris, littéralement. En plus précis, cette dame est de la noblesse dakaroise ! Et les négriers qui ont décrété l’âme roturière des captifs, ils sont de quelle noblesse ? Voilà une autre indépendance : libérer nos porte-voix du complexe de « Monsieur Connait Tout » et de « Monsieur Fait Tout ». Ils sont musiciens, paroliers, interprètes, chanteurs, arrangeurs, comme d’autres sont ingénieurs, politiciens professionnels, architectes, faiseurs de destins, etc. Trop ? Dites… La culture, ce n’est pas que chanter et danser, interrompre des discours pour inventer des qualités d’ange à un affreux démon. Ce n’est pas que caser, avec vue sur la mer, des écrivains et cinéastes en conflit avec le militantisme de l’art. Ce n’est pas… Bon, silence ! Parlons donc des autres indépendances, entre le soin de mes angoisses tiers-mondistes et le spectacle sons et ombres de la comédie humaine, je vous entretiens de ce post retrouvé sur le Net : « Lors de mes vacances au Sénégal en 2006, je crois, je me suis rendu compte que les Sénégalais portaient tout le temps des habits déchirés, parlaient en crachant et sautaient sur les passants. J’espère qu’ils ont fait des progrès depuis lors. Ha, ha (sic) ». L’internaute en rigole, moi, non. Ne nous livrons pas à une sorte d’exégèse du langage. Il faut avoir un niveau de terrasse pour comprendre que derrière ce post, il y a la terrible réalité d’une généralisation. Entre un « les » et « des » Sénégalais, tout un monde est dépeint comme un peuple de lamas qui passe son temps à cracher. Une légende comme celle du dragon mythique qui, lui, crache du sang ? Le sujet est sensible. Dégueulasse même pour un réveil matinal qui doit être goût miel, chocolat, café ou confiture. Illusion ! La photographie élaborée par ce compatriote de l’extérieur a l’amère saveur d’un peuple en haillons. Pourquoi ? Il n’en pipe mot. Mais quelle force de suggestion ! Il faut se libérer des pesanteurs de la crise qui érode le pouvoir d’achat au point de faire du bout d’étoffe un trésor rare. D’autre part, les traumatismes de journées et soirées sans relief créent des « monologueurs » enfermés dans la caverne aux terreurs d’un père de famille : la marmite, le loyer, la scolarité des enfants, l’électricité, l’eau et, quelquefois, le téléphone. « Des Sénégalais sautent sur des passants » ainsi que le décrit l’internaute ? Ils sont, peut-être, préoccupés parce que tenus en laisse par Dame Crise. Ils sont pressés de ramasser, au hasard des impôts sociaux collectés au gré des parentés magnifiées, quelques Cfa, cette autre « Armée française » qui a de beaux jours dans le cœur des naufragés économiques et sociaux. Peut-être aussi, nos compatriotes, qui sautillent de manière inconsidérée, sont les forçats incorrigibles d’une société souffrant d’une anémie morale et civique aigue. Au temps des célébrations des cinquante années d’indépendance, il serait utile de se départir de nos petites coquetteries et dérives fort handicapantes. Il urge aussi d’oublier que plus de dix millions de Sénégalais attendent le meilleur d’un carré de messies dont le discours ne dépasse pas deux ou trois bornes : la conservation du pouvoir, le partage du pouvoir, la reconquête du pouvoir. Restons aussi ouverts aux vents bénis du globe. Je ne crois pas en l’esclavage mental mais nous avons à apprendre du monde. Tenez, il y a quelques semaines, le TGV Paris-Rennes a oublié de s’arrêter en gare. « Une première », s’est exclamée une dame. « Un fait extrêmement rare ! », a tout de même atténué une journaliste de « Figaro » présente dans le train. « C’est une faute grave de l’agent de conduite. Nous nous excusons, le train ne s’est pas arrêté au Mans. Toutes les mesures seront prises en gare de Laval », s’est excusée la Société nationale des Chemins de fer français. Quel branle-bas pour un train arrivé à l’heure mais ivre ! Tous les voyageurs ont été immédiatement pris en charge. Pas de complexe ! Ici, les bus indiens nous fournissent des images d’une queue ordonnée. Pour combien de temps encore ? C’est à prendre quand même, comme symbole d’un ordre et du devoir de rendre compte. Pour prendre, à l’orée des cinquante ans, le train du progrès multiforme et des indépendances mentales sur le sommeil des volontés individuelles et collectives. La célèbre chanson du Congolais Grand Kalle, qui a fait danser nos aînés, disait : « Indépendance cha cha ». Je me contente de dire : « Dépendances mentales, ciao, ciao ! »
lesoleil.sn
Tragiquement brillant 🙂
» Voyez comme le sable naturellement fin et blanc est souillé tel un W.C en plein air ! Le Cap-Vert, à une heure de vol, devient un paradis en matière de qualité de vie et d’air… Pour forger la matière première, il faut bien plus que les proclamations d’une fierté poids plume face à la monstrueuse pieuvre-monde avec des bourses de valeur à la place du cœur et à la calculette à la place des émotions. Travailler, sans en faire un slogan. Un de mes tontons, boute-en-train devant l’Eternel, a sa formule : « mettez les fainéants au paradis, ils finiront tous par taper à la porte de l’enfer que les bosseurs auront entièrement climatisé » »
Il urge aussi d’oublier que plus de dix millions de Sénégalais attendent le meilleur d’un carré de messies dont le discours ne dépasse pas deux ou trois bornes : la conservation du pouvoir, le partage du pouvoir, la reconquête du pouvoir. Restons aussi ouverts aux vents bénis du globe