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Afrique-Sida: des dangers méconnus d’une contraception

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Une étude menée dans sept pays d’Afrique subsaharienne vient brutalement compliquer la lutte contre cette épidémie. Elle soulève aussi de graves questions éthiques

Photo Une éthiopienne dans un hopital d’Addis-Abéba. REUTERS/Eliana Aponte. 

Une grande majorité des seize millions de femmes aujourd’hui infectées par le virus du sida à travers le monde vivent en Afrique subsaharienne. Et dans cette même région continentale une forte proportion des femmes en âge de procréer a recours à une contraception hormonale dite «retard» conférée par des injections intramusculaires (à la fois profondes et trimestrielles) d’acétate de médroxyprogestérone (ou Depo-Provera).

Rien, jusqu’à présent, ne justifiait de rapprocher ces deux données. Tel n’est plus le cas aujourd’hui avec la publication des résultats d’une étude concluant que cette contraception hormonale féminine est de nature à augmenter fortement le risque de transmission du VIH. C’est là une mauvaise nouvelle qui vient compliquer un peu plus les campagnes de prévention du sida (en Afrique plus encore que dans le reste du monde) et qui soulève de nouvelles questions éthiques.

Menée sous la direction de Renée Heffron et Jared M Baeten (département d’épidémiologie de l’Université Washington, Seattle) cette étude prospective a été –comme très souvent sur un tel sujet en Afrique – cofinancée par le gouvernement américain et la Fondation Melinda et Bill Gates. Elle vient d’être publiée sur le site de The Lancet Infectious Diseases. Ce travail prospectif visait à répondre de la manière la plus rigoureuse qui soit (par voie prospective et analyse statistique) à une question soulevée depuis précisément vingt ans. Il s’agissait alors des premières observations faites chez des prostituées africaines de Nairobi (capitale du Kenya) lors d’une étude devenue célèbre; une enquête réalisée par une équipe dans laquelle figurait le Pr Peter Piot (futur directeur exécutif d’Onusida) et qui s’intéressait aux différents cofacteurs (dont la contraception hormonale et les autres infections sexuellement transmissibles) pouvant jouer un rôle facilitateur dans la transmission du virus du sida.

Un résultat sans appel

Cette méthode contraceptive est-elle de nature, comme on le redoutait, à augmenter le risque de contamination virale par voie sexuelle? Oui, répondent en substance vingt ans plus tard les auteurs d’un travail mené dans sept pays d’Afrique subsaharienne (Botswana, Kenya, Rwanda, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda et Zimbabwe). Et cette augmentation n’est en rien un risque mineur. L’étude a été conduite auprès de 3.790 couples hétérosexuels «discordants» vis-à-vis de la souche la plus répandue du VIH. Autrement dit, l’un des deux membres du couple était séropositif au début de l’étude. Dans environ deux-tiers des cas c’est la femme qui, au départ, était séropositive. Ces couples ont été suivis pendant dix-huit mois en moyenne, période durant laquelle 167 personnes ont été infectées, dont 73 femmes.

Après analyses statistiques dans les 1.314 couples où la femme était séronégative, le taux de contamination s’est révélé presque deux fois supérieur chez celles qui utilisaient une contraception hormonale «retard» (6,61%) que chez celles qui n’y avaient  pas recours (3,78%). Et dans les 2.476 couples où l’homme était séronégatif, la transmission du VIH par les femmes sous contraception hormonale a été de 2,61%, contre 1,51% par les autres. L’élévation du risque de transmission concerne donc autant les hommes que les femmes. Le rôle pouvant être joué par une contraception non pas injectable mais orale a aussi été étudié sans que des conclusions statistiquement significatives aient pu être tirées, du fait notamment du faible nombre de femmes concernées.

Des modifications immunologiques

Ces résultats confirment ceux d’études précédentes et d’expériences menées chez le macaque. Pour rigoureux qu’il soit, ce travail n’est toutefois pas sans présenter quelques biais méthodologiques: qu’en a-t-il été précisément, par exemple, du recours aux préservatifs masculins? Ce travail ne permet pas non plus d’expliquer les raisons d’un tel phénomène. Les spécialistes évoquent ici différentes possibilités comme des modifications de l’épithélium vaginal, des modifications immunologiques ou virologiques induites par le recours à une contraception hormonale. Il faut aussi tenir compte des différents effets indésirables de ce type de contraception: prise de poids, disparition du cycle menstruel parfois remplacé par des épisodes de saignements utérins (ménométrorragies) qui peuvent être parfois importants et qui sont dus à des troubles de l’endomètre, troubles digestifs, réactions allergiques, cas d’ostéoporose.

Au vu de l’ampleur de la question de santé publique qui est ici soulevée, plusieurs membres de la communauté médicale et scientifique spécialisée plaident aujourd’hui en faveur du lancement d’une étude de grande ampleur qui permettrait de trancher de manière définitive; une étude qui s’intéresserait notamment à l’impact des différentes méthodes contraceptives: pilules avec différents dosages ou injections «retard», stérilet, préservatifs masculins et féminins etc. Rien toutefois n’est simple dans un tel domaine. L’un des premiers obstacles réside dans la méthodologie qui devrait être adoptée pour bâtir une telle étude débarrassée des principaux biais habituellement rencontrés. Peut-on, d’un point de vue éthique, prendre aujourd’hui le risque d’exposer délibérément des hommes et des femmes à un risque potentiel accru de transmission par le VIH? Faut-il au contraire tenir pour acquis que ce risque existe et en tirer les conséquences pragmatiques?

Dilemme

Il faut d’autre part ajouter que cette problématique doit tenir compte des bénéfices sanitaires, désormais bien établis, apportés par la contraception féminine «retard» dans une large fraction de la population africaine: réduction de la mortalité maternelle, amélioration du poids à la naissance et du suivi médical pédiatrique, augmentation du niveau socio-économique, féminin notamment etc…

Le dilemme éthique est ainsi clair: faut-il ou non continuer, au nom de la santé publique, à faire la promotion de la contraception hormonale dans les populations africaines particulièrement exposées au risque de contamination par le VIH? L’heure est-elle au contraire venue de passer à d’autres méthodes contraceptives? Faut-il d’ores et déjà soutenir que  le recours au préservatif masculin devrait désormais être la seule méthode assurant prévention et contraception?

Continuer à user du latex

Ce type de problématique n’est pas sans rappeler les iLa conquête spatiale africaine garde les pieds sur terrempasses auxquelles peuvent conduire certaines interventions à visée préventives dans les pays les plus touchés par l’épidémie de sida. C’est par exemple le cas avec la démonstration de la relative efficacité de la pratique de la circoncision dans les pays d’Afrique subsaharienne; pratique qui ne peut pourtant pas totalement se substituer au recours systématique au préservatif dans les situations potentiellement à risque de contamination. Comment dès lors expliquer aux personnes directement concernées que la circoncision est certes efficace, voire nécessaire, mais que les hommes circoncis doivent néanmoins continuer à user du latex?

Incidemment les conséquences pratiques de l’étude publiée dans The Lancet Infectious Diseases dépassent les frontières des sept pays d’Afrique subsaharienne où elle a été menée. Dans unavis daté de 2008, la Commission de transparence de la Haute Autorité de Santé rappelait qu’en France, la contraception progestative injectable (soit la Depo-Provera des laboratoires Pfizer) remboursée par la Sécurité sociale «n’était à considérer qu’en cas de difficultés d’observance ou dans des contextes socioculturels particuliers». Les femmes concernées, qu’elles soient ou non d’origine africaine subsaharienne, sont-elles déjà averties des risques supérieurs à la moyenne de contamination et de transmission virales auxquels elles sont exposées?

Jean-Yves Nau

slateafrique.com

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