« Grand-père, tu étais la « colonne de feu » devant le campement. Maintenant, nous sommes abandonnés, nous sommes seuls dans le noir. Il fait si froid et nous sommes tristes. Je sais que les gens parlent d’une catastrophe nationale, mais comment peut-on consoler un peuple entier et lui faire partager sa propre douleur lorsque grand-mère pleure sans arrêt, et nous, muets, ressentons le grand vide créé par ton absence. » Disait Noa Ben Artzi, le 11 juin 1995 à la mort de son grand père Yitzhak Rabin.
Comme elle, nous venons d’être frappés par la perte douloureuse de notre grand-père Aimé Césaire. Le Père de la Négritude a consacré sa vie à la promotion des principes humains qui permettent à l’Homme de vivre heureux sa personnalité. Il a lutté jusqu’à sa mort pour le bonheur de l’humanité. Son œuvre incarne toutes les « Moissons vivantes de la mémoire ».
Le passage de la vie à la mort est souvent douloureux, mystérieux. Celui de cette incarnation du refus qui fut le dernier des mohicans nous laisse sans voix. Aimé Fernand David Césaire vient d’embarquer dans la barque de la lumière divine. Sa traversée de l’océan des cieux sera paisible ; sa destination est le paradis.
Né à Basse pointe, ses études secondaires furent couronnées de succès au Lycée Schoelcher de Fort-de-France. Boursier, il a fréquenté le Lycée Louis le Grand à Paris où il fonda en 1934, avec ses amis étudiants originaires des Antilles, de la Guyane et d’Afrique la revue intitulée l’Etudiant noir. Aimé Césaire, Léon Gontran Damas, Birago Diop et Léopold Sédar Senghor étaient au cœur de l’inéluctable obligation de s’aménager un espace de communication pour l’affirmation de leur identité culturelle.
Chantre de la Négritude, ce mot apparaît pour la première fois dans cette revue
grâce à son célèbre texte « nègrerie ». D’ailleurs, tout son combat littéraire, artistique et politique s’est illuminé aux flammes de ce concept de Négritude. Lui et ses amis Senghor et Damas vont l’utiliser pour affirmer leurs valeurs culturelles, historiques et spirituelles africaines.
Aimé Césaire fréquente l’Ecole Normale Supérieure en 1935 et débute, dès l’année 1936, la rédaction de son œuvre dénommée Cahier d’un retour au pays natal. Après son mariage avec l’étudiante martiniquaise Suzanne Roussi en 1937, il publie ce chef-d’œuvre deux années plus tard à Présence africaine qu’il avait déjà fondée en compagnie du sénégalais Alioune Diop. La même année, il rentre chez lui à la Martinique avec sa femme pour enseigner au Lycée Schoelcher.
Enseignant tous les deux dans le même établissement, ils vont créer en 1941 la revue Tropiques, un autre espace pour faciliter à l’identité de l’Afrique l’affirmation de sa dignité ; 1941 fut aussi l’année de sa rencontre avec André Breton émerveillé par la dimension surréaliste des poèmes de Césaire. D’ailleurs, il rédige en 1944 la préface du recueil de poèmes de Césaire intitulé Les armes Miraculeuses ; un recueil qui consacre l’adhésion de ce dernier au surréalisme issu de la rupture en 1922 avec le mouvement DADA et qui s’oppose aux normes littéraires et artistiques de l’occident.
Il est élu maire de Fort-de-France en 1945, fonction qu’il va occuper jusqu’en 2001, et, en 1946, député de la Martinique à l’Assemblée Nationale où il est le rapporteur de la loi faisant des colonies de la Guyane française, de la Martinique, de La Réunion et de la Guadeloupe des départements français.
Ecrivain à la plume féconde, le poète, dramaturge et essayiste publie à Paris les recueils de poèmes suivants : Soleil Cou Coupé ED. K – 1948, Corps perdu (gravures de Pablo Picasso) Ed. Fragrances – 1950, Ferrements Ed. Seuil – 1960, Cadastre Ed. Seuil – 1961, Les Armes miraculeuses Ed. Gallimard – 1970, Moi Laminaire Ed. Seuil – 1982, La Poésie Ed. Seuil – 1994.
A ces publications s’ajoutent quatre pièces de théâtres (Et les chiens se taisaient Présence Africaine -1958, La tragédie du roi Christophe Présence Africaine – 1963, Une tempête, d’après La tempête de Shakespeare Seuil – 1969, Une Saison au Congo – 1966) et deux essais (Discours sur le colonialisme Présence Africaine – 1955, Toussaint Louverture ; La Révolution française et le problème colonial Présence Africaine – 1961).
Aimé Césaire nous avait chaleureusement reçus dans ses bureaux en juin 2007 lors de la célébration de ses 94 ans. Ce jour là, le grand père, ami du grand poète feu Léopold Sédar Senghor, nous avait bénis et gratifiés de ses conseils. « Confiance,
espérance ! » nous disait-il.
Deux mots essentiels à notre équilibre dans cette mondialisation cannibalisant où les forts écrasent les faibles sans pitié. « Confiance, espérance ! » comme un viatique dans des instants de crise politique et économique mondiale qui hante notre sommeil.
Nous étions partis lui remettre le Trophée 2007 du Gala de Reconnaissance. Il n’aimait pas les honneurs. Ce qu’il aimait, c’est plutôt le combat pour redonner à l’homme, de manière générale, et à l’homme noir, particulièrement, son honneur partout où il a été bafoué. Mais il avait accepté agréablement les nôtres.
La forte délégation sénégalaise, sous la tutelle du Ministère de la Culture et du Patrimoine Historique Classé, qui s’était joint au Gala de reconnaissance, en compagnie de nos frères et sœurs des caraïbes, avait tenu en haleine pendant une semaine la Martinique, grâce à des échanges culturelles fructueuses et fraternelles dont une grande partie fut inspirée par son œuvre littéraire et artistique monumentale.
« La culture, c’est tout ce que l’homme a inventé pour rendre le monde vivable et la mort affrontable ». Disait Césaire.
Aujourd’hui, la culture est en deuil. Tu as raison Birago : « ceux qui sont morts ne sont jamais partis ». Le patriarche est mort mais l’humaniste n’est pas parti ; son enseignement restera toujours parmi nous pour nous aider à maintenir le fil de la transmission de la mémoire du peuple noir au grand bonheur de l’humanité. Aimé Césaire, c’est la Conscience africaine debout.
Nous présentons nos condoléances à son fils Jean Paul Césaire, Mr Serge LETCHIMY député maire de Fort-de-France, Mr Claude LISE Président du Conseil Général de la Martinique, Mr Alfred ALMONT, Mr Raymond Saint louis AUGUSTIN Premier adjoint au maire de Fort-de-France, Son fidèle ami Mr Pierre ALIKER, Mr Georges DEPORTES président de l’Institut des Lettres et des Arts de l’Amérique et de l’Afrique, Mme Gertrude SEININ, Mme Suzy LANDAU Responsable de la MCPRI de Fort-de-France, Annick JUSTIN JOSEPH SERMAC, Mr Bruno MARIETTE, Mr Desnel, Mme Anta KOITA, Mr Abdoulaye DIEDHIOU président de l’Association « Les amis du Sénégal », notre frère Adams KWATEH que Césaire nomma, amicalement en notre présence, son « prisonnier sénégalais » – Chef de Rubrique au quotidien France-Antilles…
Nous présentons nos condoléances à la République du Sénégal qui a fait d’Aimé CESAIRE le parrain du troisième Festival Mondial des Arts Nègres de 2009, à l’équipe du Gala de Reconnaissance,, (…) au Directeur et aux artistes de SORANO, aux artistes, écrivains et intellectuels d’ici et d’ailleurs.
« Fragile mon cœur ne tient plus en geôle/ Il lui faut l’espace et le grand air. »
Dakar le 17 avril 2008 Décès d’Aimé Césaire.
Hommage plubié dans Pèlerinage au temple de l’amour Edition Edilivre Paris février 2016..