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ALIMENTATION à la découverte du «fataya» modernisé : Du chinois made in Sénégal

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Il n’y a pas de sot métier dit l’adage. Quand on y ajoute de l’imagination la recette peut faire des adeptes. C’est ce qu’a compris Ibrahima Sory Sow qui vante sa nouvelle trouvaille, fort appréciée par certains consommateurs. C’est du «pain chinois» proposé en vente ambulante. Source de curiosité, ce pain qui s’installe dans le quotidien des Dakarois est fait à base de farine, de viande hachée et d’épices asiatiques. Installé dans le quartier Niarry Tally, l’«entreprise» de M. Sow fait travailler une dizaine de personnes qui parcourent les artères de certains quartiers de Dakar, à la recherche de clients. Une entreprise qui commence déjà à faire des émules avec d’anciens «apprentis» qui se sont émancipés pour voler de leurs propres ailes. 11 heures à Niary Tally. Dans ce quartier populeux de Dakar, la journée semble bien démarrée. Le bruit des voitures se mêle à celui des passants, créant une ambiance cacophonique. De loin, les chants d’un Baye fall déchire l’air et tympanise les oreilles des piétons. A quelques mètres du rond-point jet d’eau, une cantine se détache des autres. D’une couleur rouge sur laquelle on peut lire «Pain chinois», la cantine fait office de lieu de fabrication de ce pain dit chinois. A l’intérieur, un imposant réfrigérateur, deux bonbonnes de gaz, des bidons d’huile, des ustensiles et des bancs forment le décor. Dans un petit coin de la cantine, une cuisinière bien aménagée est à peine visible. Une très bonne odeur s’y dégage, embaume l’air, au grand bonheur des passants.

Vêtu d’un traditionnel boubou blanc, Ibrahima Sory Sow explique l’origine de son produit. «Le pain chinois est ma propre création. C’est juste la fataya, mais celle modernisée, car certains ingrédients entrent en phase. C’est une manière de se démarquer des autres», argumente-t-il. En fait, qu’est-ce que le pain chinois ? Nombreux sont ceux qui se posent cette question, à l’évocation de ce produit. M. Sow explique que son produit n’a rien de chinois. «C’est juste un mélange de farine et des œufs. Et à côté, nous avons de la viande hachée, à laquelle nous ajoutons des épices d’Asie», explique-t-il.
Installé dans ce quartier depuis bientôt deux ans, le chef d’entreprise fait travailler une dizaine de personnes, tous des membres de sa famille. C’est dans cette perspective qu’il a des installations dans certains quartiers comme Yoff ou Mermoz. Mais Niarry Tally reste son fief. Tous les jours, les vendeurs à la sauvette viennent faire le plein, avant d’arpenter les rues et ruelles sablonneuses de Dakar, pour écouler leur charge. Très apprécié par certaines personnes rencontrées au hasard, le pain chinois se négocie à 125 francs l’unité. «Je trouve le pain chinois très bon et j’en achète à chaque fois que l’occasion se présente», lance Mariétou, la vingtaine dépassée.

Selon M. Sow, ses employés sont payés en fonction de leurs performances, c’est-à-dire de la recette journalière du vendeur. «Certains descendent avec 25 mille francs, d’autres moins. Donc, leurs revenus ne peuvent pas être les mêmes», précise-t-il.  Dans tous les cas, le métier semble bien nourrir son homme. De l’avis de notre interlocuteur, il se retrouve parfois avec une somme qui avoisine les deux cents mille francs Cfa par jour.

L’ELECTRICITE ET LA CONCURRENCE
Très convoité par les dames qui constituent, selon M. Sow, la principale clientèle, le pain chinois se prépare entre quinze et vingt minutes.  Si sa préparation demeure une chose facile, sa conservation est plus que difficile. Pour ce maître-cuisinier qui a roulé sa bosse dans plusieurs pays africains, et ayant côtoyé beaucoup d’Asiatiques, le pain chinois se consomme chaud. Après cuisson, sa durée est limitée, d’où l’impossibilité de le garder pendant longtemps.

Très attaché à l’hygiène et à la propreté, Ibrahima a engagé des femmes chargées d’assurer la salubrité des locaux. Malgré l’étroitesse des lieux, il dit s’acquitter de façon régulière des taxes, estimées à six mille francs le mois.

Si l’on en croit M. Sow, il lui a fallu beaucoup d’imagination pour y parvenir. Après avoir mûri le plan, il s’est attelé à trouver les moyens pour écouler son produit. «Il me fallait un moyen de transport pour acheminer la production dans les quartiers de Dakar. C’est ainsi que l’idée des charriots m’est venue à  l’esprit. J’ai soumis le modèle et on m’en a fabriqués quelques uns», renseigne-t-il.

Si sa «marque déposée» gagne de plus en plus de notoriété au sein des  populations, Ibrahima Sory Sow fait aujourd’hui face à deux défis, notamment les coupures intempestives d’électricité, mais aussi la concurrence de plus en plus forte. Le pain chinois se consomme chaud, mais se conserve au frais. En cas de coupure, le stock dans le réfrigérateur se gâte. «Il nous arrive de met­tre à la poubelle une bonne partie de la production, du fait de l’absence d’électricité. Ce qui est une perte énorme», déplore Ibrahima.

A cela, s’ajoute la concurrence. De l’avis de notre interlocuteur, nombreux sont ceux qui essayent aujourd’hui de copier sur lui. «J’ai constaté que beaucoup de jeunes tentent de faire la même chose mais, ils ne le réussiront jamais comme je le fais», ironise-t-il. Ce qui est plus cocasse dans cette affaire est que, parmi ces jeunes, la majorité est passée par l’école de Ibrahima. «Je connais certains d’entre eux qui étaient mes apprentis ou qui travaillaient avec moi. Ils sont pressés en ce qui concerne leur avenir, allant même jusqu’à vouloir voler de leurs pro­pres ailes, alors qu’ils ne maîtrisent pas les rudiments de base», croit-il.

LA REVOLTE DES APPRENTIS
Jugés souvent pressés en ce qui concerne leur avenir, ces derniers ne se laissent pas faire. De teint clair, taille moyenne, un jeune homme sous le couvert de l’anonymat don­ne sa version des faits. Pour lui, c’est une vraie exploitation que de travailler pour autrui. «J’ai travaillé durant des mois avec quelqu’un dont je ne dirais pas le nom, mais je vous assure que c’était difficile de joindre les deux bouts. Non seulement le boulot est pénible, mais en plus on ne gagne pratiquement rien, ce qui est une vraie exploitation», affirme-t-il. Comme ce jeune hom­me, ils sont nombreux à tenter leur aventure afin de subvenir à leurs besoins. «Je connais beaucoup de jeunes qui sont dans la même situation que moi. Ils sont eux aussi victimes de cette exploitation et décident de prendre leur voie», confesse notre interlocuteur.

Trouvé juste en face du Lycée Maurice Delafosse, cet originaire de Labé, en République de Guinée se dit heureux de son choix de quitter son mentor. «Je ne regrette pas de l’avoir quitté. Au­jourd’hui, je gagne honnêtement ma vie et avec le même travail. C’est seulement en travaillant pour soi-même qu’on arrive à épargner», se réjouit-il.

En tout cas poursuit-il, depuis qu’il travaille pour lui-même, sa situation a un peu changé. Avec des amis, ils louent une chambre à Fass, et chaque jour, il parcourt les rues des quartiers environnants, afin d’écouler son produit. «Je n’ai pas de place fixe», précise-t-il. Selon son expérience, il dit avoir une clientèle à majorité jeune. Un coup d’œil sur son environnement permet de s’en convaincre, avec ces jeunes élèves et étudiants massés autour de lui. «A chaque fois que je quitte la Fac pour rentrer, je passe par là et j’en profite pour en acheter. Au départ cela me faisait rire d’entendre le nom pain chinois, mais je le trouve très bon», commente Khoudia Diop, une étudiante en deuxième année au département d’Anglais de l’Ucad. Un avis partagé par Abdou ce mécanicien qui dit : «Je croyais qu’on le prépare en Chine, seulement après achat, j’ai constaté qu’il n’y a rien de chinois. Mais je le trouve quand même très succulent.»

DES AMBITIONS HORS DE DAKAR
Par rapport  à la concurrence, il dit ne rien envier aux autres, car connaissant bien ce qu’il fait. «Je maîtrise parfaitement le métier et ceux qui achètent mon produit ne vous diront pas le contraire», se glorifie-t-il. Toutefois, il souhaiterait plus de moyens financiers pour une plus grande production.
Pour débuter son commerce, ce jeune Guinéen a dû puiser dans ses économies pour se procurer un charriot et le matériel nécessaire, composé essentiellement d’une bonbonne de gaz, des ustensiles de cuisine et d’autres accessoires. Aujourd’hui, il se fait aider par un cousin et gagne sa vie tant bien que mal. «Vous savez, les prix sont partout les mêmes et malgré tout, il m’arrive parfois de finir la journée avec une somme de 10 000 francs ou plus en poche. Ce qui est une très bonne affaire pour un jeune comme moi», s’enflamme-t-il.

Aujourd’hui, avec son commerce, il n’est plus question de travailler sous pression six jours dans la semaine. «Je débute ma journée à 9 heures et l’heure de descente dépend de la journée. Si j’arrive à écouler facilement, je peux rentrer avant 16 heures, me reposer un peu, avant d’attaquer la soirée», explique-t-il. A bientôt 25 ans, ce jeune Guinéen nourrit beaucoup d’ambitions. «Dans l’avenir, si Dieu me donne les moyens, je vais ouvrir un grand restaurant. Je ferais appel à mes frères et cousins pour la gestion et enfin investir dans mon pays natal», rêve-t-il.

Quant à Ibrahima Sory Sow, lui, il envisage dans un proche avenir d’étendre ses activités un peu partout dans Dakar et même dans les régions.

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