Rendez-vous était pris à la rue Saint-Marc, dans le cossu 2ème arrondissement de Paris. Quartier bourge et quartier de la Bourse, symbole du capitalisme et de Babylone jadis l’ennemi honni des adeptes du Reggae. Alpha Blondy a la réputation d’en être un authentique. Mais avant vérification, une autre rumeur passe entre les mains de dame vérité : le quartier n’est pas connu pour l’entrain de ses riverains à montrer le chemin à ceux qui s’y perdent. Vrai ! Après bien des détours, on y est… enfin.
De l’attente puis les bras grands ouverts comme avec une connaissance de toujours, Alpha Blondy, accompagné de sa fille Sarah, nous reçoit en grand seigneur, en bredouillant quelques mots en wolof… Les temps ont changé ! L’époque des jeans et de l’inclinaison vestimentaire quasi religieuse aux couleurs verte – jaune – rouge paraissent révolue. Le Pape du Reggae africain est en mode Fashion : chemise assortie au pull le tout couvert par une clinquante veste bleue à parure brillante. Le Papy Koro (vieux père) fait plus que de la résistance. Il est même « swag », diront les « Djeun’s ». Seydou Koné, son nom dans le civil, est prêt à n’élucider aucun sujet à commencer par le titre dénommé « Seydou » dans son nouvel album « Mystic Power ».
« Seydou » et le « laax » du frère Youssou
« C’est l’histoire d’un combattant traumatisé. Je parle des conséquences de la guerre telle que l’insécurité. Après avoir formé des soldats, ils sont livrés à eux-mêmes et deviennent des dangers pour la société. Mais ce n’est pas mon histoire. Comme je ne pouvais pas prendre un autre nom pour ne pas créer la confusion, j’ai préféré choisir le mien. C’est un featuring avec ma sœur Coumba Gawlo Seck. Elle doit également distribuer mon album au Sénégal et en Gambie. Je compte venir au Sénégal si on m’y invite. Cela ne devrait pas poser de problème vu que, maintenant, mon frère Youssou Ndour est ministre. Alors je pourrais de nouveau manger le bon « laax » que prépare sa maman ». Alpha serait-il devenu comme le « laax » et sa légendaire légèreté ? L’un chanteur de Reggae le plus connu du continent africain reste un commentateur régulier de l’actualité politique nationale et internationale. L’album « Mystic Power » ne déroge pas à cette ligne. Plusieurs titres reviennent sur les 10 ans de conflits larvés en Côte d’Ivoire avec la guerre civile d’après scrutin présidentiel de décembre 2010. Pour faire table rase de toute cette rancune, il appelle à la « Réconciliation ». Dans ce titre, il entame une vraie démarche d’unir le peuple de Côte d’Ivoire.
« RECONCILIATION »
« Quand on a connu la Côte d’Ivoire d’avant comme ce fut mon cas, on se dit que la réconciliation est indispensable. Il faut reconstruire le tissu social de la Côte d’Ivoire. Faisons tout pour retrouver l’époque où nous étions unis avant que la politique ne nous divise. C’est pour cela que j’ai travaillé avec mon petit frère Tiken Jah Fakoly. Chacun devait apporter un texte pour la chanson. Tiken a fait un texte en dioula et en français. Mais il y a eu d’autres artistes comme Meiway qui l’a fait en apollo, sa langue maternelle. Il en fut de même pour Monique Seka en attié, Ismael Issak en malinké. Je n’oublie pas le message en bété, et les petits frères de Magic System ont intervenu dans la version africaine. Nous avons voulu toucher la corde sensible du peuple ivoirien. Et même envoyer des messages forts aux politiques, l’erreur est humaine. C’est vrai qu’ils se sont plantés, mais si nous étions à leur place, allions-nous faire mieux ? »
L’appel au pardon
Cette recherche, Alpha Blondy l’a déjà menée avec la Caravane de la paix. Elle avait sillonné la Côte d’Ivoire du 20 octobre au 3 novembre 2012. Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly et Magic System ont parcouru, en concert, tout le territoire ivoirien pour sensibiliser et appeler à une paix durable.
« A ma grande surprise, le président Ouattara a saisi l’importance de notre message. En ce qui concerne les pro-Gbagbo non coupables de crimes de sang, un mois ou deux mois après la fin de la caravane, huit prisonniers pro-Gbagbo ont été libérés. Cela veut dire que notre démarche n’a pas été vaine », relate-t-il.
Au-delà de cette réussite, même modeste, Alpha Blondy reste lucide sur les raisons du chaos dans lequel son pays s’est retrouvé pendant une bonne décennie. N’épargnant pas les politiques, il est également exigeant sur lui-même avec la reconnaissance de son impuissance. C’est ainsi qu’il explique le titre « Pardon ». C’est une manière de reconnaître qu’il y a eu une tentative de récupération de son image par la politique à un moment donné, surtout par le camp Gbagbo. L’artiste n’évacue pas la question. « Comme chaque musicien, les politiques ont essayé de récupérer mon image. Les politiques nous mettent dans des cages et refusant qu’on soit à la fois ami d’un tel et d’un tel autre à la fois. On te dit que tu es leader d’opinion et on t’interdit d’avoir une opinion », s’agace-t-il. Pour appeler à la sagesse, il convoque Houphouët-Boigny qui lui a, un jour, dit : « Quand tout le monde t’aime, tu ne t’appartiens plus ». En tant qu’ambassadeur de Paix de l’Onu et de la Cedeao, il avoue avoir pris son « rôle au sérieux ». « J’ai eu à rencontrer Messieurs Ouattara et Gbagbo avant le conflit. Leur dialogue direct a conduit aux accords de Ouagadougou débouchant après sur l’organisation des élections. J’aurais aimé qu’ils fassent des élections à la sénégalaise, c’est-à-dire que le vaincu appelle le vainqueur pour lui dire : « Hey Vilain, là tu as gagné » (il prend l’accent ivoirien prononcé, ndlr). Quand cela a dégénéré, j’avoue que j’ai pris un gros coup, j’étais déçu. C’est un ridicule qui a rejailli sur la Côte d’Ivoire et le continent africain. Je chante « Pardon » parce qu’en tant que ambassadeur de la paix, j’ai échoué ». C’est dans cet ordre d’idées qu’entre le titre « La bataille d’Abidjan ». Il s’explique : « C’était risqué d’aller aux élections avec deux armées face-à-face. Je leur avais dit que ce n’était pas possible mais ils ne m’ont pas écouté. Certains me disaient : « Ton histoire de paix là, pardon. En Côte d’Ivoire, tant qu’on ne se frappe pas, on ne va pas se respecter. On va se frapper et il y aura un vainqueur et un vaincu » (le cliché de l’accent ivoirien encore accentué, ndlr). Quelque part, j’étais impuissant. Je ne suis pas politicien, mais avec le bon sens, on aurait pu éviter les 3.000 morts officiels. Personnellement, j’ai connaissance de certains chiffres du Hcr. A Abidjan seulement, la guerre civile a fait près de 100.000 morts, je ne parle pas des combats qui ont eu lieu de l’Ouest jusqu’à la capitale. Et puis dans toutes les guerres, il y a des prisonniers, mais dans celle-ci, étonnamment, il n’y en a pas eu. Tous les captifs ont été massacrés ». Dans ce cas, la réconciliation qu’il appelle de tous ses vœux reste difficile à réaliser. Si Alpha Blondy reconnaît des efforts d’unité du peuple ivoirien, pour lui, il reste beaucoup à faire « car il y a trop de ressentiment. J’entends dans les deux camps : « Ce n’est pas encore fini ».
Et dans ce cas, pourquoi ne pas s’engager en politique comme Youssou Ndour, celui qu’il appelle « mon frère » ? Et là, les yeux orbités prêts à exploser, le regard qui s’enfonce dans celui de son interlocuteur « Combien on t’a payé pour m’envoyer à l’abattoir ? Au Sénégal, Youssou peut s’engager en politique parce que les Sénégalais ont plus de maturité politique que les Ivoiriens. Chez nous, le débat est ethnique, il est tribal. Au Sénégal, tout le monde parle wolof. Na nga déf – ma gui fi rék. Le jour où tu entendras mon engagement politique, tu peux envoyer des fleurs à ma famille ».
Positions contradictoires sur l’armée française
Comme dans tous ces albums, Alpha Blondy parle de religion et de tolérance. Dans « Mystic Power », il pousse un coup de gueule contre l’utilisation extrémiste de l’Islam des pseudos jihadistes au Mali.
« Certains, à les écouter, on dirait qu’ils veulent convertir Mohammad à l’Islam. Il ne faut pas qu’ils souillent son nom et celui de l’Islam. C’est pour cela que je chante « Faut pas mêler Allah et Mohammad à vos actes criminels parce qu’ils ne sont pas terroristes. Mohammad (Psl), il ne faut pas souiller le saint nom. Le vrai Jihad commence par soi-même ».
Quelle est sa position sur cette actualité d’un Mali attaqué et presque conquis par des mouvements extrémistes avant l’intervention des forces françaises le 11 janvier 2013. On se rappelle qu’il chantait pour le départ de l’armée française du territoire africain. L’histoire lui a-t-il donné tort ? « Armée française, c’est une chanson écrite en 1995 ou 1996 qui est sortie en 1998. La souveraineté d’un pays se mérite. Si l’armée française n’avait pas intervenue en Côte d’Ivoire, il allait y avoir pire que le génocide au Rwanda. C’est cette même armée qui a empêché que le Mali ne tombe entre les mains « islamisantes ». L’Union africaine, au lieu de faire des réunions à ne plus en finir, devait développer une force spéciale d’intervention pour que toute tentative de déstabilisation d’un Etat membre soit stoppée ou tuée dans l’œuf. Je dis bravo à l’armée française. Je voulais une forme de souveraineté absolue. Si c’est pour être souverain entre les mains de couillons comme ça, je dis merci. Certains parlent d’ingérence colonialiste, (même si ce n’est pas bien), je préfère cela. »
Cette présence en Afrique est souvent qualifiée à tort ou à raison d’une résurgence de la Françafrique qu’Alpha Blondy renomme en « France-à-fric » dans ce nouvel album. Il reconnaît la part de responsabilité africaine dans l’exploitation de notre continent.
« Il faut être deux pour danser ce tango. Il faut des voleurs des deux côtés. Cette « France-à-fric » se fait souvent sur le dos des politiques. Elle profite aux courtisans qui sont autour des hommes politiques ».
Rêve américain
Toujours est-il qu’il fouille sur ses souvenirs pour chanter la nostalgie de son rêve américain et les désenchantements dans les années 1970 dans le « My american dream ». « Etudiant, je suis parti aux Etats-Unis après Woodstock (le festival a eu lieu en août 1969, ndlr). Je n’avais pas de bourse, mon visa ne me permettait pas de travailler. J’ai réussi à être engagé comme coursier à New York. J’ai fini par faire une dépression. L’Amérique m’a appris la rigueur dans le travail mais également qu’il ne faut pas compter sur grand monde à part Dieu et soi- même. Ma croyance indéfectible vient de là. Pourquoi suis-je allé un jour là (celui de sa prise de décision d’être Reggaeman) à Central Park voir le concert de Burning Spears ? Certains disent le hasard. J’ai entendu à la télé quelqu’un dire que « le hasard est le nom que prend Dieu quand il veut passer incognito ». Je suis totalement d’accord ». Ses différents voyages à travers le monde lui ont permis de voir qu’il existe une unité culturelle et non politique au sein de la diaspora noire. « On ne peut s’unir, car il y a trop d’intérêts extérieurs que notre unité mettrait en jeu. La relation cheval-cavalier n’aura plus lieu si nous nous entendons. » Sur la tentation d’avoir la stature de héros à l’image de Sankara, Lumbumba, Samory Touré, il évoque naturellement les responsabilités paternelles. « J’ai mes dix ans sur lesquels je dois veiller, je n’ai pas envie de faire mon Jésus Christ. Je n’ai pas le coffre de Mandela pour faire 27 ans de prison ».
Et la révolution ? « Je ne veux que personne meurt. Pour moi, la vraie révolution, c’est celle qu’ont fait les Chinois et les Japonais : les études, former les cerveaux, le savoir ». Comme Koro, le vieux père de la musique africaine, pense-t-il à la retraite ou à la relève ? « Je ne vois pas de relève. Musicien et chanteur, c’est le premier métier démocratique. Si le public te lâche, tu arrêtes. S’il n’y a personne pour acheter tes disques ou venir à tes concerts, t’es à la retraite. Je serais chanteur comme dirait l’autre « jusqu’à ce que le dentier nous en tombe ». Grand éclat de rire…
Par Moussa Diop, Correspondant à Paris