Invité de la rédaction du Soleil, le ministre de l’Energie et des Mines, Aly Ngouille Ndiaye, aborde dans cet entretien, entre autres sujets, la situation de la Sénélec, de la Sar et les questions minières. Reçu par le directeur général, Cheikh Thiam, et le rédacteur en chef central Modou Mamoune Faye, il a annoncé de grands investissements qui, d’ici à 2016, permettront de doubler la production d’électricité du Sénégal.
Pendant l’hivernage, les consommateurs font face à des délestages. Quelles en sont les causes et quelles solutions comptez-vous apporter ?
«C’est vrai qu’avec les coupures répétées depuis 2010, le mot « délestage » est entré dans le vocabulaire des Sénégalais. Mais, nous n’appelons pas cela délestage. On parle de délestage lorsqu’il n’y a pas suffisamment de production et que nous sommes obligés de soustraire du réseau une partie de la clientèle. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, on ne doit pas parler de délestage. Aujourd’hui, nous avons suffisamment de production qui fait que nous ne parlons plus de délestages. Tous les jours, j’ai les états de puissances disponibles le matin et le soir et les marges que nous avons. Le matin, parfois, nous avons une marge de 39 mégawatts (MW) et une marge de 25 MW le soir. Il nous est même arrivé d’avoir des marges de 70 voire 100 MW. Malgré tout, il peut arriver, par moment, qu’il y ait différentes perturbations dues à un problème de réseau de distribution ou de transport».
Dans ce cas, quelle est la capacité réelle de production du Sénégal ?
«Nous disposons, par exemple, ce matin (l’entretien a eu lieu mardi dernier) d’une puissance de 459 MW contre une prévision de consommation qu’on estime à 420 MW. Et le soir, nous avons une puissance disponible de 480 MW et une prévision de consommation de 455 MW».
Pourquoi alors toutes ces coupures d’électricité ?
«Il y a plusieurs raisons. Nous avons un réseau aérien, quand il y a beaucoup de vent, il peut y avoir des perturbations. Il suffit que deux ou trois poteaux tombent pour qu’il y ait des risques de perturbation du réseau. C’est cela qui nous est arrivé à Kaffrine récemment. C’est récurrent dans cette région où nous avons un problème sur la qualité du réseau. Pour Dakar, le problème est différent. Dans la capitale, nous avons un vieux réseau qui, dans certains endroits, a plus de 40 ans. Si Dakar a beaucoup changé et que le réseau n’a pas changé alors que la consommation a augmenté, cela pose forcément des perturbations. La demande est devenue beaucoup plus grande alors que le réseau électrique est dimensionné en fonction de la taille de la population d’une localité et celle des prévisions de consommations.
Cette égalité qui doit exister entre ces deux réalités est aujourd’hui largement dépassée, parce que totalement déséquilibrée. Nous avons des problèmes d’urbanisation qui se répercutent sur tous les réseaux. Le réseau de Dakar est saturé et il n’est pas secouru. C’est-à-dire qu’il n’y a pas la possibilité de basculer sur un autre réseau le temps de réparer les câbles défectueux quand il y a interruption de service».
Quelle est la solution ?
«Pendant longtemps, à la Senelec, on n’a investi ni sur la production ni sur le transport encore moins sur la distribution alors que ce sont les trois éléments-clé du service électricité. Lorsqu’il y a eu, en 2010, les fortes perturbations, le gouvernement avait mis en place le « Plan Takkal » avec des montants costauds pour investir dans ce volet en faisant aussi de la location. Dans le domaine de la distribution et du transport, malheureusement, les investissements n’ont pas suivi. Aujourd’hui, il faut régler ces trois problèmes pour résoudre définitivement le problème de l’électricité. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons adopté un nouveau plan de production qui doit consacrer un recul de l’Etat et de la Senelec sur les investissements de production. Nous voulons que la production soit une affaire du privé. Ce qui permettra à la Senelec, en dehors de ce qu’elle fait déjà dans la production, de se concentrer sur la distribution et le transport.
Et pour ce faire, nous sommes en train de faire des investissements dans ces deux volets. Rien que pour cette année, nous avons fini de ficeler un programme d’investissement global de 20 milliards de FCfa. Peut-être que nous allons démarrer les marchés d’ici à la fin de l’année puisqu’il y a déjà cinq milliards de FCfa dans le Bci (Budget consolidé d’investissement) de 2013 et le reste proviendra des fonds qui étaient destinés à la production avant l’adoption du plan en mars dernier. Et cela fait longtemps qu’il n’y avait plus ce genre d’investissement. Aujourd’hui, quand vous allez en banlieue, notamment à Yeumbeul, les gens se connectent au réseau sans aucun abonnement, sans aucune sécurité. J’ai été dans la zone de recasement n°3 de Keur Massar, il y a une semaine, et c’est le même constat. Le fait que l’on n’ait pas investi dans la distribution est à l’origine de tous les problèmes que nous avons, sans parler aussi du fait qu’on ait perverti le réseau. Il faut tout changer.
Dans la production, nous avons déjà trouvé la solution. Dans le transport, nous sommes en train de chercher des investissements, et dans la distribution, nous avons moins de soucis, car elle est beaucoup plus simple à contrôler. Dans le cadre du budget de 2013, nous avons déjà des investissements et nous en aurons d’autres les années à venir».
Que répondez-vous à ceux qui disent que la Senelec doit être divisée en trois entités distinctes : société de production, société de transport et société de distribution, les unes et les autres liées par des contrats à l’image de la Sones et de la Sde ?
«Notre schéma, c’est de diviser la Senelec en deux entités : une structure qui s’occupera de la production et une autre du transport et de la distribution. C’est le schéma institutionnel que nous voulons faire. Tout ce qui concerne la production additionnelle sera une responsabilité transférée à des privés qui auront un contrat d’achat d’énergie avec la Senelec».
Vous voulez laisser la production aux mains des privés, mais nous avons connu l’expérience malheureuse de Gti. Avez-vous évalué cette expérience avant de vous lancer dans cette nouvelle opération ?
«Nous n’allons pas abandonner 100 % de la production aux mains des privés. Quand nous scinderons la Senelec en deux entités, nous limiterons seulement le niveau de production par rapport à sa situation actuelle. Nous aurons une autre entité qui fera de la production et elle sera renforcée par d’autres entités privées. L’avantage, c’est que quand ces privés investissent, le Sénégal n’est pas obligé d’emprunter. Nous venons de négocier, de parapher des contrats d’achat d’énergie qui nous permettront de réaliser d’ici à la fin 2016, 595 MW, soit plus que la capacité actuelle de production. Ce qui veut dire qu’en moins de trois ans, nous allons doubler la production d’électricité au Sénégal.
Dans la première quinzaine du mois d’août, nous aurons fini de négocier avec le privé qui veut construire le terminal et la centrale au gaz pour 300 MW. Ces privés envisagent d’investir au moins 650 milliards de FCfa pour faire ces centrales. Ces privés vendront à la Sénélec à un prix qui est actuellement inférieur à son coût de production. Bientôt, la production d’électricité sera un très grand pourvoyeur d’emploi, ce qui constituera une forte réponse, à coup sûr, au chômage pour les filières d’électricien et d’électro-mécaniciens. Pour le transport qui permettra l’interconnexion avec le sud et l’est notamment la zone minière, nous sommes en contact avec de grandes entreprises qui nous proposent la réalisation clefs en main de ces lignes».
La solution envisagée par l’Etat pour régler le problème de l’électricité, c’est le mix énergétique. Est-ce que vous n’accusez pas du retard déjà dans ce domaine si l’on sait que le Sénégal a assez de soleil ? Qu’est-ce que le gouvernement est en train de faire concrètement à ce propos ?
«En avril 2012, lorsque je suis arrivé à la tête du ministère, j’ai organisé un atelier pour évaluer le « Plan Takkal » et les techniciens s’étaient prononcés. Le constat était que pratiquement 87 % de la production d’électricité était faite à base de diésel oil et de fuel oil. Avec ce mode de production, nous ne pouvions pas tenir parce que nous ne sommes pas encore producteur de pétrole. Nous avons décidé de ne plus être dépendant de ce produit que nous ne maîtrisons pas et qui est cher. C’est ainsi que le président de la République nous a instruit, lors du conseil des ministres qui s’est tenu a Diourbel, d’aller vers un mix énergétique qui consistera à combiner plusieurs modes de production pour nous éviter cette dépendance mais également pour privilégier d’autres formes de production qui seraient moins chères. C’est la raison pour laquelle, dans le mix de production qui a été projeté, nous envisageons d’avoir une production avec au moins 35 % au gaz naturel. Nous n’en produisons pas assez mais nous voulons mettre en place un terminal de gaz naturel liquéfié qu’on va importer. Nous allons également avoir une masse importante de production au charbon, nous avons déjà ficelé trois contrats et nous allons également introduire les énergies renouvelables. Tout le monde parle d’énergies renouvelables, mais cela demande des niveaux d’investissements élevés. Certes le soleil et les plaques solaires sont là, mais cela coûte cher. Nous avons décidé de mettre dans la lettre de politique de développement du secteur de l’énergie 20 % à l’horizon 2017. Mieux, nous sommes en train de prendre des dispositions pour promouvoir l’autoproduction, pour les citoyens individuels qui le peuvent. C’est-à-dire que chacun peut, librement, chercher des kits solaires pour produire de l’électricité, ce qui n’était pas possible il y a quelques années. Quand nous sommes venus, l’une des premières actions que nous avons faites, c’est de négocier, avec une banque de la place, une ligne de crédit pour que ses clients qui le veulent puissent investir dans le solaire à des coûts acceptables sur une durée longue. Actuellement, nous utilisons 39 % de diésel oil, mais dans le mix que nous voulons faire, nous allons tendre vers 0 % en 2017. En mettant le gaz, l’éolienne et le charbon, nous ne serons plus exposés aux produits pétroliers».
Le fait de ne pas développer l’énergie solaire ne s’explique-t-il pas par un manque de volonté politique des autorités ?
«Ce n’est pas un problème de volonté politique. Dans la lettre de politique de développement du secteur de l’énergie, nous avons été assez clairs pour fixer un taux d’énergie renouvelable de 20%. Nous avons déjà mis en œuvre un comité d’agrément qui a sélectionné près de 70 projets qui nous ont été spontanément proposés par des promoteurs privés venant pratiquement de tous les pays. Sur la base de ces projets et de ces éléments choisis, c’est la Senelec qui a pour objet de négocier l’achat d’énergie. Dans ce sens, elle est en train de mener des négociations avec certaines sociétés afin d’obtenir des coûts d’électricité moins chers».
Avec tous ces programmes, est-ce qu’on peut s’attendre à ce que le prix de l’électricité baisse pour les ménages ?
«Nous voulons faire dépérir la subvention qui sera réduite, cette année, passant de 120 à 80 milliards. Nous voulons, à terme, qu’on n’ait plus de subvention. Et pendant ce temps, nous ne voulons pas d’augmentation du prix de l’électricité. Mais la réponse est dans la gestion et la maîtrise des coûts de production. Avec les unités que nous allons faire, les coûts de production vont baisser pour nous permettre de gérer ce dépérissement de la subvention. Mieux, dans les projections que nous sommes en train de faire, normalement, s’il n’y a pas de retard, nous prévoyons que la Senelec puisse commencer à être bénéficiaire en 2015. Et dans nos modèles financiers également, nous avons même envisagé une réduction du coût de l’électricité en 2018».
A combien s’élève cette subvention ?
«Théoriquement, l’année dernière, elle était de 120 milliards de FCfa, mais en réalité, elle dépassait les 150 milliards si l’on considère les taxes que la Senelec aurait dû payer. Cette année, il est prévu une subvention de 80 milliards de Fcfa».
Des institutions financières comme le Fonds monétaire international sont souvent opposées à ces subventions. Quelles explications en donnez-vous ?
«Il faut souligner et reconnaître que ces institutions nous assistent beaucoup, que ce soit la Banque mondiale, l’Agence française développement (Afd), le Fmi, bref les partenaires au développement. Le fait que ces institutions nous appuient signifie qu’elles ont aussi un droit de regard sur ce que nous faisons. Elles agissent surtout sur le plan macroéconomique. Ces institutions ne nous disent pas que nous n’avons pas le droit d’investir dans le secteur de l’énergie».
Où en êtes-vous avec le projet d’électrification rurale ?
«En avril 2012, le taux d’électrification rurale était de 24 %. Nous avons pris le pari de le porter à 50 % à l’horizon 2017. Cela demande des investissements importants. Aujourd’hui, nous avons cinq concessions d’électrification rurale qui sont en cours et nous signerons, dans les prochains jours, une autre concession. Le pays est divisé en dix concessions d’électrification rurale avec un opérateur par concession. En plus de cela, nous avons, parfois, des programmes spéciaux que nous pouvons dérouler dans le monde rural. Le mode d’habitat au Sénégal fait qu’il est rare de trouver de très grands villages. Il y a des villages qui sont parfois très éloignés, ce qui fait qu’il est difficile de les électrifier tous. Dans notre lettre de politique que nous avons adoptée en octobre 2012, notre objectif, c’est d’avoir un taux d’électrification rurale de 50 %. Nous avons lancé suffisamment de programmes qui peuvent nous permettre d’atteindre ce taux. D’ailleurs, nous sommes en train de finaliser un programme qui devrait nous permettre d’avoir un investissement de 20 milliards de FCfa dont 10 milliards pour le monde rural. Nous avons fini de sélectionner les villages et nous allons bientôt lancer la procédure d’appel d’offres. Déjà, nous avons commencé la convention 20 qui concerne l’électrification en deux phases de 373 villages chacun. Tout le matériel est sur place. Dernièrement, en Conseil des ministres, le président de la République a porté ce taux à 60 % à l’horizon 2016, c’est encore un plus grand challenge pour nous».
On a beaucoup épilogué sur le « Plan Takkal ». Certains disent que ce fut une réussite, d’autres soutiennent le contraire. Est-ce que vous pouvez nous éclairer davantage sur ce plan ?
«Nous n’avons pas repris le « Plan Takkal », nous l’avons arrêté. Parce que dans ce plan, il y avait un aspect pour la rénovation et la réhabilitation, et des crédits avaient été dégagés. Mais on avait loué 150 MW, et avec les rénovations, on a abandonné les 2/3 à la production. Mais nous avons abandonné l’idée de réendetter le Sénégal pour faire des centrales. Dans le « Plan Takkal », nous avions trois centrales de 70 MW qui étaient prévues. L’Etat du Sénégal devait s’endetter pour construire ces 210 MW, c’est à peu près 200 milliards de FCfa. On a donc abandonné cette idée et on a confié cela aux privés. Sur les volets transport et distribution, il n’y avait pas beaucoup d’investissements acquis par le « Plan Takkal ». A notre niveau, nous avons défini un plan dans la durée et c’est ce que nous sommes en train de dérouler».
La Société africaine de raffinage (Sar) est confrontée à des problèmes de trésorerie et réclame de l’argent à l’Etat et à la Senelec. Quel sera le remède pour soigner la Sar ?
«Si l’on parle du gaz, oui l’Etat doit de l’argent à la Sar. L’Etat a déjà pris les dispositions pour le remboursement de cette dette, nous nous accorderons avec la Sar pour les modalités de paiement. Cette dette est due à des pertes commerciales que la Sar réclame à l’Etat entre 2007 et 2011. C’est une ardoise que nous avons trouvée ici, il fallait l’examiner et voir ce que nous pouvions faire. Depuis que nous sommes là, nous n’avons pas de dettes que nous traînons avec la Sar. Le dernier état qu’elle nous a fait concernant le gaz n’est pas encore payé. Pour le reste, c’est un contrat entre la Senelec et la Sar. Par moment, il peut y avoir des problèmes de trésorerie, des retards dans le paiement mais reconnaissez, avec moi, que quand on a un contrat de 270 milliards de FCfa, il peut arriver que des retards de paiement surviennent».
Mais il y a controverse concernant cette dette de la Senelec…
«Ce qu’il faut comprendre, c’est que la dette de la Senelec est dynamique et non statique. Si vous prenez un contrat de 270 milliards de FCfa, vous rapportez par 12 (mois), cela vous donne à peu près la consommation mensuelle, c’est-à-dire 25 milliards de FCfa. Quand la Sar dit donc que la Senelec lui doit 25 milliards, c’est pour une consommation d’un mois».
La Senelec s’est défendue en soutenant qu’elle a versé les 55 milliards de FCfa au compte du Fonds de soutien à l’énergie (Fse)…
«Le Fonds de soutien à l’énergie a été créé pour, d’abord, sécuriser le paiement des combustibles. Ce qui fait que lorsqu’on créait ce fonds, l’Etat avait interdit à la Senelec d’acheter du combustible ailleurs qu’à la Sar. Raison pour laquelle, quand il y a des factures, la Sar les envoie à la Senelec qui les transfère au Fse. Ce dernier capte les subventions de l’Etat et la participation de Senelec pour le paiement de ce combustible et la facture. La société nationale d’électricité et l’Etat contribuent, de manière régulière, à ce paiement. Cependant, il peut y avoir des retards sur le paiement. En novembre et décembre derniers, la Sar faisait la pression pour que la Senelec signe le contrat, parce que c’est 50 ou 60 % du chiffre d’affaires de la raffinerie».
Quel est le nouveau schéma adopté ?
«La Sar a ses propres difficultés qui sont également dues à la vétusté de l’unité de raffinage qui a démarré ses activités en 1963. C’est pourquoi, elle a beaucoup de contraintes dans la production. C’est ainsi qu’après son arrêt, il y a de cela quelques années, l’Etat avait amené un repreneur qui se devait d’y investir (le groupe Saudi Bin Laden, ndlr). A l’arrivée, nous n’avons pas trouvé d’investissement. Lors de la dernière assemblée générale de la Sar, nous avons donné mandat à son conseil d’administration de réfléchir sur l’avenir industriel de la raffinerie. Vous avez entendu récemment ses cadres produire un document, nous allons le prendre ainsi que la contribution des différents actionnaires avec objectivité, au plus tard en décembre 2013, pour voir un plan cohérent relatif à l’avenir industriel de la Sar».
Pourquoi ces pénuries récurrentes de gaz ?
«Sous peu, nous ne parlerons plus de problème de pénurie de gaz. C’était des problèmes structurels qu’il fallait régler. Parmi ceux-ci, figure la dette. La Sar doit, dans le cadre de la mission que lui a confiée l’Etat du Sénégal, approvisionner le pays en gaz butane. Un contrat avec Itoc a été signé en 2012 mais qui, malheureusement, a une tare profonde. Parce qu’au moment où ce contrat entrait en vigueur, la Sar devait six milliards de FCfa dans ses anciens contrats. Le privé qui fournit demande qu’on lui paie ces arriérés. Ce qui fait que cette dette s’est répercutée sur la consommation au Sénégal jusqu’à ce que cela nous amène à des ruptures. Avec la décision prise de prendre en charge cette dette et de restructurer les prix, les problèmes de rupture devront être résolus. Il faut préciser que mes prédécesseurs avaient libéralisé l’importation de gaz, mais malgré cela, les privés ne s’étaient pas montrés intéressés par ce marché».
Peut-on être rassuré quant au règlement des pénuries de gaz ?
«Oui, après les concertations que nous avions menées avec tous les acteurs, nous allons revoir la structure des prix, payer la dette de la Sar et impliquer davantage les autres privés dans l’importation».
Quel est l’avenir de la raffinerie ?
«Nous avons instruit la Sar, notamment le conseil d’administration, de nous proposer, au plus tard, le 31 décembre 2013, un projet sur son avenir industriel. En ce moment, nous verrons si l’Etat va chercher d’autres partenaires ou pas. Car il y a beaucoup d’investisseurs qui frappent à la porte pour investir dans ce secteur. La réalité est que, commercialement, la Sar ne devait même plus exister, car elle a perdu l’essentiel de ses fonds propres. Déjà, le conseil a commencé à travailler sur l’avenir de la Sar, les termes de références ont été définis, et nous allons choisir un cabinet afin d’avoir ses propositions».
Il y avait un projet Senstock qui a connu beaucoup de péripéties. Où en êtes-vous ?
«Le gouvernement précédent avait un projet de stockage national, qui nous semblait cohérent. A mi-parcours, sur la base des informations qui nous ont été rapportées par les différents acteurs, ce stockage national a été dévoyé. Il y a certains acteurs majeurs qui se sont retrouvés dans le stockage. Lorsque les informations étaient portées à notre niveau, nous avons cherché à savoir ce qui a justifié qu’on ait écarté certaines entreprises. Parce qu’aujourd’hui dans le capital de Senstock, Diprom et Total partagent 80% sans la présence des autres acteurs. Nous avions lancé le processus d’audit de ce stockage. A l’arrivée, les dépôts qui ont été fermés, notamment Dakar océan terminal (Dot) de Libya-Oil et Bad (Shell) ont été rouverts. Cette ouverture ne signifie pas abandon du projet initial de stockage national. Au moment où je vous parle, les concertations sont en cours entre tous les acteurs. Le gouvernement veut maintenir ce projet avec un schéma directeur clair. Le stockage, ce n’est pas de mettre tout le stock de combustible à Dakar. Il est également envisagé d’avoir des capacités de stockage dans les autres régions comme Thiès, Diourbel ou Kaolack».
Vous parlez peu du projet Jatropha qui était très cher à l’ancien régime. Où en êtes-vous avec ce projet ?
«Concernant ce projet, on a mis la charrue avant les bœufs. On avait même une unité à Gossas, mais il n’y avait pas de producteurs. Ce qui fait qu’à la limite, le promoteur est très découragé. Il est en train de voir de nouvelles dispositions à prendre pour remettre son unité sur les rails et nous l’accompagnerons. D’autres promoteurs sont également présents et ont même commencé des récoltes en attendant la mise en place de leur unité de trituration. Il faut d’abord qu’il y ait des débouchés. Avant de se lancer dans une telle initiative, il fallait une étude de conception. Le « tabanani » est un projet qui prend du temps, c’est-à-dire quatre ans avant la production. Pendant toute cette durée, qu’est-ce que ces gens vont faire ? Il y a tout cet accompagnement auquel il faudra tenir compte. Nous y sommes et c’est seulement après cela et avec des débouchés clairs que les sénégalais pourront s’y lancer».
Qu’en est-il du projet Kepco ?
«Pour Kepco, nous avions fini de parapher le contrat, normalement il était prévu de le signer au plus tard le 30 juin 2013. Il se trouve, malheureusement, que le président du conseil d’administration de Kepco, qui était venu le jour où l’on paraphait, a été remplacé. Nous avions donc reçu une correspondance qui nous demandait de lui accorder trois mois, le temps d’installer un nouveau président de conseil d’administration. Le projet est toujours là. Il est prévu d’arriver en fin 2016 ou début 2017. Nous avons déjà fini de négocier avec une deuxième centrale de charbon, qui nous offre le meilleur prix. Nous allons signer le contrat en août 2013. C’est une centrale d’une capacité de 300 MW installée à Mboro, elle sera mise en place par des propriétaires des Industries chimiques du Sénégal (Ics). Nous considérons vraiment que le défi à relever actuellement, ce n’est plus la question de la production».
Est-ce que vous pouvez nous faire l’état des lieux de la signature de certaines conventions faites avec des structures américaines lors de votre voyage avec le chef de l’Etat Macky Sall aux Etats-Unis ?
«A l’occasion de ce séjour, nous avions signé une convention, mais qui concernait l’exploitation de l’or avec Teranga. Cette convention devrait permettre à l’investisseur canadien d’augmenter sa production et également à l’Etat du Sénégal d’avoir plus de revenus sur sa production d’or. De 2009 à 2011, c’est environ six milliards de FCfa que nous avons encaissé globalement. L’accord de principe a été signé en mars dernier, et la convention a été finalisée en mai. Entre mai et juin, nous avons collecté auprès de Teranga un montant de huit milliards de FCfa. Cela montre déjà que nous profitons beaucoup plus de ces richesses que dans le passé.
Ce voyage aux Etats-Unis a été aussi une opportunité pour discuter avec la structure « Green energy » dont les discussions sont très avancées, mais nous n’avons pas encore effectué la signature. C’est un projet qui concerne l’énergie solaire. L’ancien régime avait décidé que les collectivités locales ne paieraient pas l’électricité. Malheureusement, au moment où cette décision était prise, ce montant n’avait pas été encore budgétisé. Et les collectivités locales considéraient que c’était des acquis. C’est une facture moyenne de près d’un milliard de FCfa par mois. L’Etat a fait un geste important en juillet 2012 en faisant des subventions importantes pour la Senelec. Les fonds qu’elle prenait des consommateurs quand ils s’abonnaient, devaient aller à la Caisse de dépôt et consignation. Ils seront transformés sous forme de participation de la Cdc au capital de la Senelec.
L’Etat du Sénégal a abandonné, l’année dernière, près de 12 milliards de FCfa de dette pour la Senelec, non sans oublier une restructuration de dette d’environ 50 milliards et une subvention d’investissements de plus de 130 milliards. Toutes ces initiatives visaient à embellir le bilan de la Senelec. Cette dernière, qui avait des fonds propres de 91 milliards de FCfa en 2011, se retrouve avec des fonds propres de près de 300 milliards de FCfa actuellement. Ce qui permet à la société nationale d’électricité d’avoir un visage différent quand elle se présentera devant les banques. Le problème n’est pas seulement l’éclairage public, il y a aussi les universités et les hôpitaux qui consomment et qui ne paient pas. Et pourtant, ils ne sont pas coupés.
Ce qui fait qu’à un moment donné, le meilleur payeur, c’est l’administration et non les ménages car elle paie d’avance. C’est partant de là qu’on s’est dit qu’il faut trouver une solution. C’est ce qui a fait que nous avions négocié avec des partenaires pour mettre en place un éclairage public au solaire généralisé. Ainsi on a installé une centrale de 4 MW à l’université de Dakar, une centrale au Palais de la République et une autre à l’hôpital Fann. L’objectif étant, si cette expérience est concluante, de l’élargir à toutes les universités et à tous les hôpitaux».
Quelle est la nouvelle dynamique envisagée en ce qui concerne les négociations des contrats d’exploitation minière ?
«Nous avons eu un Code minier en 2003 pour attirer les investisseurs, en leur donnant beaucoup d’avantages. En 2012, nous avons constaté que nous ne bénéficions pas de nos ressources comme nous l’aurions dû. Raison pour laquelle nous avons démarré par une évaluation en mettant en place un comité pour évaluer ce que nous avons perdu. A l’arrivée, après examen de ces conventions minières, nous avons constaté près de 400 milliards de FCfa sous forme de manque à gagner pour l’Etat. Il s’agit des recettes fiscales ou des recettes douanières que nous abandonnons quand des gens veulent investir. Dix ans après avoir fait le bilan, ce sont 40 milliards qui ont été reçus. Il faut aussi souligner que ces contrats sont signés par des entreprises qui ont des budgets importants. Elles s’entourent des meilleurs experts et avocats. Lors de la dernière négociation que je faisais avec Teranga, j’avais en face de moi l’ancien Premier ministre du Canada accompagné d’une batterie d’experts alors que j’étais avec le directeur des Mines seulement. Nous avons d’abord évalué et retenu certaines dispositions relatives à la révision du Code minier. Nous avons lancé le processus depuis le 26 avril dernier à travers un atelier. Un comité a été mis en place et nous sommes en train de faire des rencontres avec tous les acteurs pour la révision du Code minier. En attendant, nous négocions avec les entreprises comme ce fut le cas des ciments du Sahel, de Teranga et autres pour les amener à contribuer d’avantage au financement de l’économie. Ces sociétés ne sont pas n’importe qui, ce sont des structures bien assistées avec des contrats béton sur lesquels quand vous n’êtes pas d’accord, il faut aller à l’arbitrage. Et ce dernier n’est généralement pas favorable aux États, c’est une affaire d’entreprises. C’est pourquoi nous ne pouvons pas venir souverainement et dire que nous faisons quelque chose d’autorité. Nous sommes obligés de négocier. Dans le fameux conflit qui nous oppose a certaines entreprises du secteur et relatif au paiement de la contribution spéciale, certaines d’entre elles ont dit : « si vous persistez on va en arbitrage ». Mais dans ce cas, ce qu’on peut faire, c’est bloquer un compte. Et si vous bloquez des comptes par le billet d’un avis a tiers détenteur de quelqu’un qui a des milliards, il provisionne le montant, ne vous le paie pas, continue ses activités en attendant un arbitrage».
Dans le cadre de son minerai de fer, le Sénégal avait signé une convention avec la société minière sud-africaine Kumba. Mais par la suite, ce contrat a été rompu par le gouvernement du Sénégal. Où en est ce dossier ?
«Ce dossier date de 2006, à la veille des élections de 2007. L’ancien régime a pratiquement déchiré ce contrat sans y mettre les formes et a donné la concession à Arcelor Mittal. C’est même une triple concession parce qu’il s’agit de l’exploitation de fer, ferroviaire et portuaire. Kumba, s’estimant lésé, est parti au tribunal. Non seulement nous avons payé des frais d’avocat assez chers mais nous avons été aussi lourdement sanctionnés à hauteur de 120 millions de dollars. Nous avons transigé jusqu’à un accord de 75 millions de dollars à payer sur cinq ans. Malgré cela, Mittal, qui avait promis à l’ancien pouvoir monts et merveilles parce que sachant pertinemment que nous allions être condamné, n’a pas répondu à l’appel et ne nous a pas assisté pour payer cette amende. Les honoraires payés par Miferso ont mis à genou cette entreprise qui ne peut pas payer ses salaires, loyers et factures diverses. Avant notre arrivée au pouvoir, l’ancien régime avait saisi le tribunal arbitral et nous attendons toujours le verdict. C’est pourquoi, nous ne parlons pas beaucoup de fer ».
Et qu’en est-il du dossier d’adhésion du Sénégal à l’Initiative de la transparence dans les industries extractives (Itie) ?
«Nous ne sommes pas loin de la fin du processus. Nous avions récemment nommé Ismaïla Madior Fall comme haut fonctionnaire. Nous devons déposer notre dossier au plus tard en fin juillet tout en espérant qu’ils seront examinés par le conseil d’administration de l’Itie pour la session du 3 octobre».
Qu’est-ce que votre ministère fait pour inciter les entreprises à préserver l’environnement ?
«C’est un problème très sérieux. A notre niveau, nous devons prendre toutes les dispositions. Le lundi passé, j’étais en séance de travail avec mon collègue de l’Environnement parce qu’il y a toujours un conflit entre minier et environnement. Il est prévu, dans le cadre de l’exploitation minière, un fonds de réhabilitation des sites miniers. Le processus était en cours mais il n’est pas encore achevé. Le ministre de l’Environnement doit, préalablement à l’exploitation de toute mine, approuver le plan de réhabilitation. Les fonds qui doivent servir à cette réhabilitation, sur les premières années, seront déposés à la Caisse de dépôt et de consignation. Ce qui fait que l’administration pourra se saisir et mettre en œuvre ses fonds si le minier ne réhabilite pas. C’est ce processus que nous devons finaliser».
Il y a le cas des populations de Diogo qui avaient crié à l’expropriation de leurs terres. Qu’est-ce que le gouvernement fait pour éviter, à l’avenir, de telles situations ?
«Il y a eu négociation entre le gouvernement et ces populations. Ce qui est important dans ce genre de projet, c’est d’essayer d’installer les populations dans le processus de négociation dès le départ. Cela peut les aider à accepter le projet et à se l’approprier. Pour ce projet, il n’y a pas de problème légal d’indemnisation laquelle est réglementée au Sénégal. Avec Diogo, l’entreprise a donné cinq fois plus que le montant qu’il devait légalement donner. Malgré cela, les populations pensent que c’est faible parce qu’elles le comparent à ce que cela peut apporter à l’avenir à l’investisseur. Je pense qu’à l’avenir, les modes et montants d’indemnisations doivent être revus pour limiter les contestations».
Si l’on prévoyait tous ces paramètres dans les cahiers de charge de l’entreprise, est-ce qu’on n’aurait pas pu se passer de ce type de conflit ?
«On ne peut pas nier la présence de problèmes politiques. Vous avez entendu le projet de Senhuile / Sen Ethanol qu’on voulait implanter à Fanaye mais pour des raisons politiques, les gens ont refusé et on l’a déplacé. Aujourd’hui, il y a certains qui se plaignent mais bientôt on verra les résultats. Il fera partie des projets qui vont contribuer à nous donner des semences certifiées pour l’année prochaine. Il faut installer les populations dans le processus pour qu’elles se sentent propriétaires. Les miniers doivent aussi éviter de considérer que les ressortissants de ces villages ne peuvent être que des ouvriers. Il n’y a pas quelqu’un qui puisse entreprendre un projet de cette envergure sans le planifier sur cinq ans ou six ans, il y a ainsi suffisamment de temps pour former des techniciens et ingénieurs issus des zones d’accueil».
Comment évolue le projet d’extraction de zircon à Mboro ?
«Avec le zircon, les investissements se passent maintenant correctement. J’avoue qu’il y a eu beaucoup de bruit mais sur plus de 130 bénéficiaires de chèques, il n’y a que 14 qui n’avaient pas pris les leurs. Nous ne minimisons pas les problèmes, mais privilégions les négociations. Je pense que cela va évoluer. La production est prévue au premier trimestre de l’année prochaine».
Quelles sont les dispositions que le gouvernement a prises pour éviter, à l’avenir, les tristes évènements qui s’étaient passés à Kédougou entre ressortissants maliens et burkinabé ?
«Par rapport à ce qui s’est passé à Kédougou, il faut comprendre que nous avons un afflux massif de ressortissants de pays voisins. En effet, chez nous, malheureusement, les orpailleurs n’étaient pas explicitement pris en compte par le Code minier. Dans certains pays, il y a des couloirs d’orpaillage. Ce qui n’a pas été le cas pour Diabougou, Tamba et d’autres zones. Nous avons pris la décision de réglementer l’orpaillage. Sur ce point, nous faisons un suivi très particulier avec les forces de sécurité. D’ailleurs, nous comptons y installer un camp de gendarmerie. Nous avons défini l’orpaillage pour savoir qui est orpailleur et qui ne l’est pas avec des critères, des cartes et tout. Avec tout cela et avec l’aide de la sécurité, le calme pourra régner. Avec la révision du Code minier, on pourrait mettre en place des couloirs d’orpaillage pour permettre à ces Sénégalais qui exercent cette activité de le faire librement. Mais il faut reconnaître que ce que les gens font là-bas, ce n’est pas de l’orpaillage. Ils font de l’exploitation semi-industrielle avec des explosifs, des puits qui sont très profonds».
En matière d’exploitation est-ce que les Sénégalais peuvent nourrir de grands espoirs ?
«Pour le moment, nous avons pratiquement tous nos blocs qui sont attribués, cela veut dire donc que les prospections sont en cours. Nous pensons naturellement avoir du pétrole et du gaz. On en a non loin de la Mauritanie. Nous avons du gaz à Sébikotane, nous en exploitons à Gadiaga et nous pensons aussi en avoir sur un bloc actuellement en compétition et que nous allons bientôt attribuer sur le on shore. Aussi, nous avons du pétrole lourd qui a été découvert au sud du pays, mais qui est pour le moment assez cher en exploitation. Nous espérons, avec les programmes qui sont en cours, trouver du pétrole avant la fin du premier mandat du président de la République».
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