Après quatre interminables mois de dur labeur, le gouvernement de Macky Quatre, tombeur du Père Wade et sa smala, prend enfin une pause. A mon avis, le premier souci de cette sage décision vise sans doute à soulager les finances publiques. Au moins, dans cinq ans, au moment des audits de la troisième alternance, personne ne pourra leur reprocher de malmener le Trésor public à grands coups d’heures supplémentaires ou de travail au noir. C’est déjà ça de gagné. Repos mérité donc, pour tous ces braves serviteurs de l’Etat à l’abnégation inébranlable. Ils lèvent le pied pour mieux écarter les orteils en éventail.
Ah, l’heureux professeur Abdoulaye Bathily, qui part en, heu, vacances, vingt-quatre heures après sa nomination comme ministre d’Etat. Y’a qu’un gagnant de l’Euro-millions qui peut s’estimer plus veinard…
Faut surtout permettre à Amath Dansokho, ci-devant inclassable ministre d’Etat auprès du président de la République, de souffler un peu. Pensez donc : il vient d’épuiser sa p’tite santé douze années pratiquement à faire le siège de la citadelle des Wade, avec force réunions semi-clandestines, déclarations fracassantes sur les errements de la tribu sopiste, projections de films censurés, et last, but not least, Assises nationales… Vu de loin, comme ça, au pif, on croirait qu’il pantoufle. Faut pas croire. Limer les fondements de l’Etat wadien, c’est une carrière en soi. Surtout que les torpilles n’ont jamais cessé de pleuvoir tout ce temps. Vous savez bien, le Père Wade sait y faire : de la basse menace de représailles jusqu’à la proposition indécente pour laquelle il faut puiser dans ses dernières réserves pour dire non…
Ensuite, mettre autour d’une table de conciliations Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse, sans que le sang ne gicle sur les murs, il faut du métier, beaucoup de boulot d’approche et des nerfs sacrément solides. Une fois qu’il a installé en chiens de faïence en 2009 le progressiste énervé et le socialiste crispé, ce qui leur a valu quelques reconquêtes aux locales, ce brave Amath a dû surveiller durant de longs mois les petites phrases mesquines, les froncements de sourcils, les soupirs de dépit, les raclements de gorge et les éternuements un peu forcés.
Et ça n’a pas suffi à calmer les esprits qui connaissent un début de surchauffe, surtout lorsque Macky Sall, fraîchement défenestré de la Wade dynastie, se met à faire le pied de grue devant le siège des mécontents du régime. Ce garçon qui leur semble alors trop joufflu pour être honnête n’est pas le bienvenu. Ben quoi ? Deux ans auparavant, son zèle débordant écrase tout sur son passage et il fait réélire le père Wade dès le premier tour. Et puis, il y a aussi Idrissa Seck, dont les allers-retours entre le Palais et l’opposition sentent le soufre. Pour éteindre tous ces incendies simultanés, il a bien fallu qu’un vieux pompier s’y colle. Et je ne vous parle pas des sautes d’humeur par intermittence d’Abdoulaye Bathily qui a la bouderie aisée… Ce bon monsieur Dansokho va pouvoir flâner : Moustapha Niasse est au Perchoir, pisté par Cissé Lô, Tanor a un surcroît de tâches avec les affaires relancées par Hollande et l’internationale socialiste.
Idrissa Seck patientera jusqu’aux sénatoriales et Dias père ne bougera pas un cil tant que le Conseil économique et social ne sera pas donné à quelqu’un d’autre. Si l’on y ajoute la série d’emprisonnements qu’annoncent ceux de Baïla Wane et Condetto Niang, avec Karim Wade dans le viseur du procureur spécial, effectivement, y’a de quoi voir venir et glander entre août et septembre. C’est un sacré boulot qu’il finit d’abattre, le grand-père Amath.
Et dire qu’avant ça, que des galères : depuis l’interminable traversée du désert du Pit lorsque le bloc soviétique s’effondre à la fin des années quatre-vingts, le compagnonnage avec le libéral Wade agrémenté de séjours dans les geôles dioufiennes (avec l’onction d’Ousmane Tanor Dieng ?) tout autant que de brefs passages dans les «gouvernements de majorité présidentielle élargie». Furtive éclaircie en mars 2000, juste le temps de se faire virer de l’attelage du sopiste à calvitie, qui préfère s’acoquiner avec les ennemis d’hier. Il aura fallu tout recommencer à zéro, ou presque. L’infatigable pourfendeur des gouvernements sénégalais depuis Mamadou Dia en 1960, jusqu’à Souleymane Ndéné Ndiaye en 2012 n’aura donc pas beaucoup soufflé depuis un demi siècle.
Là, depuis le 25 mars 2012, le voilà contraint de trimer pour redresser un pays au fond de l’abîme, forcé (un pistolet sur la tempe ?) d’accepter le boulot de forçat qu’être ministre d’Etat, et qui l’oblige à se traîner jusqu’au bureau presque présidentiel, dût-il s’aider de sa canne. Macky Sall est sans pitié…
IBOU FALL
sud quotidien