Amnistie, grâce ou libération conditionnelle. Quelle forme va revêtir la libération de Karim Wade ? L’imminence d’une telle éventualité pose autant de problèmes qu’elle n’en résout. Entre l’effacement de sa peine et le processus de récupération de ses biens déjà enclenché, des juristes éclairent les conditions d’un éventuel élargissement.
La libération de Karim Wade, en prison depuis avril 2013, n’est plus un secret, mais une question de temps. Une victoire pour Karim Wade et ses proches. Ou plutôt une manche de gagné, serait-on tenté de dire, si l’on sait que Karim Wade n’a pas perdu que sa liberté, avec cette condamnation devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Mais également ses biens. Dans sa décision confirmée par la Cour suprême, la CREI a condamné l’ancien ministre d’État à six ans d’emprisonnement assortie d’une amende de 138 milliards F CFA et de la confiscation de tous ses biens.
Ceux-ci sont constitués, entre autres, de deux maisons d’une valeur de 524.325.000 CFA au Point E, d’immeuble à la rue 10 estimé à 291.250.000 F CFA, d’un appartement à Paris dans le 16ème(Rue Faisanderie) 245.871.375 CFA. La CREI fait aussi état d’actions dans des sociétés, mais aussi d’une assurance vie d’un montant de 421.461.500 CFA et de 8 montres de luxe, 2 bracelets, 2 paires de boucles d’oreille et 2 bagues. La liste est loin d’être exhaustive, mais avec sa condamnation, ces biens sont devenus un patrimoine de l’État.
Vont-ils passer par pertes et profits, après la libération de Karim Wade ? Selon plusieurs juristes interrogés par EnQuête tout dépend des conditions de libération. « Si Karim Wade est amnistié, il peut recouvrer ses biens. Car l’amnistie efface l’infraction. Donc, on estime que les faits n’ont jamais existé », expliquent des avocats et magistrats interpellés sur la question. A défaut d’une amnistie qui doit être votée par l’Assemblée nationale, Karim Wade peut être gracié. Dans ce cas, les avis divergent. Un des avocats des complices de Karim Wade affirme que tout dépend de l’acte de grâce. Selon ses explications, la grâce peut se limiter à la peine pénale et ne pas concerner les autres dispositifs de la décision, à savoir l’amende et la confiscation des biens.
« Une grâce signifie liberté dans la pauvreté et voire même la mort civile »
Mais, cet argument est battu en brèche par d’autres sources. « En cas de grâce, la peine demeure. C’est pourquoi, la personne condamnée n’a pas un casier vierge », tranche un autre conseil d’un complice de Karim Wade. Très catégorique, notre interlocuteur de soutenir : « Du point de vue juridique, il n’y a aucun rapport entre la libération de Karim et la décision de la CREI qui est frappée par l’autorité de la chose jugée ». Une position confortée par Me Amadou Aly Kane sur sa page Facebook. Dans cette publication, l’avocat explique, qu’avec la grâce, Wade junior va recouvrer la liberté, car sa peine sera supprimée en tout ou partie. « Mais sa condamnation subsistera. Autrement dit, elle figurera sur son casier judiciaire. L’État du Sénégal pourra toujours lui réclamer la somme à laquelle, il a été condamné à lui payer », écrit la robe noire qui avance également qu’il lui sera « quasi-impossible de travailler en tant que financier dans le privé et éventuellement d’être candidat à une fonction élective ». L’avocat de conclure : « Une grâce signifie liberté dans la pauvreté et voire même la mort civile ».
Le même scénario se dessine, en cas de libération conditionnelle. Est-ce la raison pour laquelle Karim Wade a toujours refusé la grâce, d’autant plus, qu’il ne reconnaît pas la légitimité de la CREI ? Une attitude qui se justifie pour quelqu’un qui a des ambitions politiques réelles ou supposées.
La renonciation, l’autre moyen pour Karim de conserver ses biens
Toutefois, si l’on se fie aux éclairages de nos interlocuteurs, outre l’amnistie, il existe, pour le compère de Bibo Bourgi, un autre moyen de conserver ses biens. Il s’agit de la renonciation. Selon un avocat qui a préféré garder l’anonymat, l’État peut, après libération, renoncer à l’exécution de la décision, en ce qui concerne les intérêts civils. Mais, selon Me Baba Diop, un problème se pose à ce niveau, car il faut connaître l’état d’avancement de l’exécution de la décision, pour savoir si les biens n’ont pas déjà été immatriculés au nom de l’État.
A ce propos, il faut rappeler que, lors d’une conférence de presse tenue à Paris, l’Agent judiciaire de l’État, Antoine Félix Diome, avait laissé entendre que l’État a recouvré un montant de 18 milliards FCA sur le patrimoine de Karim Wade. L’ancien substitut à la CREI avait même annoncé que les recouvrements devraient se poursuivre et que 24 comptes bancaires à Monaco, totalisant onze millions d’euros (7 milliards 215 millions 527 mille F CFA), ont été bloqués et d’autres biens immobiliers font l’objet d’une procédure de saisie, notamment deux appartements dans le XVIe arrondissement de Paris.
Seulement Me Baba Diop voit mal l’État renoncer au recouvrement, d’autant que l’annonce d’une grâce soulève des vagues. « On dit certes que le président de la République a le pouvoir et la prérogative de prendre certaines décisions, mais, qu’en est-il de ses engagements envers les populations ? », s’interroge l’avocat. Selon son argumentaire, d’un point de vue légal, il n’y a aucun problème. La question, dit-il, réside dans l’opportunité de la décision qui pourrait décrédibiliser le Chef de l’État, à cause de ses engagements pris en lançant la traque des biens mal acquis.
EnQuête