Proverbe : « la main qui reçoit est toujours en dessous de la main qui donne »
En 1996, le FMI et la Banque mondiale ont lancé l’initiative en faveur des pays pauvres très
endettés (PPTE) en vue d’alléger la dette de certains pays africains, devenue
insoutenable.En 2005,l’initiative PPTE a été complétée par l’initiative d’allégement de la
dette multilatérale (IADM).Cette mesure a permis l’effacement de la dette de 35 pays envers
trois institutions, le FMI, l’Association internationale de développement (IDA) de la Banque
mondiale et le Fonds africain de développement (FAD). Le montant total de l’allégement de
la dette au titre de l’initiative PPTE est estimé à 44 400 milliards de F CFA.
Depuis le début de la pandémie du Covid-19, les sollicitations d’une nouvelle
annulation de la dette africaine se succèdent, comme un rituel d’adjuration de la pandémie.
Après la demande des ministres africains des Finances et l’Union africaine pour l’allègement
immédiat de la dette, c’est au tour du FMI et la Banque mondiale, du G20et du président
français Emmanuel Macron, d’annoncer un allègement massif de la dette africaine. Mieux, le
pape François a réclamé l’annulation ! Mais à quoi bon ! En ce qui concerne le Sénégal, cela
servirait-il a quelque chose ? quelles sont les causes et conditions de notre endettement ? A
qui va profiter l’annulation de la dette ?
UN SENEGAL EN SURENDETTEMENT CHRONIQUE
En 2005 la dette publique du Sénégal s’élevait à 2465 milliards de F CFA, soit 22.1% du
PIB. La communauté financière internationale, y compris les institutions multilatérales et les
autorités nationales, ont œuvré en vue de ramener à un niveau soutenable la charge de
l’endettement extérieur des pays pauvres les plus lourdement endettés.Le Sénégal a
reconstitué sa dette publique, en dépit des annulations de dette enregistrées dans le cadre
de l’initiative des Pays pauvres et très endettés (PPTE) en 2005. A peine 15 ans après, nous
voici revenus quasiment au point de départ. Aujourd’hui, le stock de la dette du Sénégal a
presque quadruplé pour atteindre 8 076 milliards en 2019, soit 57,7% du PIB.
Parmi les critères de convergence de premier rang de l’UEMOA, nous avons le ratio de
l’encours de la dette intérieure et extérieure rapporté au PIB nominal, qui doit être inférieur
ou égal à 70%. C’est vrai que le Sénégal n’a pas atteint le plafond, mais ilfaut noter que la
capacité d’endettement n’est pas la capacité de remboursement (ratio de
surendettement).
Pour évaluer la viabilité de la dette, les IBW(Institutions de BrettonWoods) comparent les
indicateurs d’endettement aux seuils indicatifs.Dans cette optique, le FMI et la Banque
mondiale ont adopté conjointement le cadre de viabilité de la dette (CVD) en avril 2005, pour
examiner périodiquement le niveau de surendettement. Un indicateur d’endettement qui
dépasse son seuil indicatif signale un risque de surendettement : faible (politique bonne),
moyen (politique moyenne), fort (politique médiocre). Soit les données ci-après en 2019 en
milliards : exportation 2000, service de la dette 863, PIB 13 983, recettes 2 828, dette
publique 8076.
SEUIL D’ENDETTEMENT SELON LE CVD
NIVEAUX
Dette publique en % sur…. Service de la dette en % sur..
Exportations PIB Recettes Exportations Recettes
FAIBLE 100 30 200 15 18
MOYEN 150 40 250 20 20
FORT 200 50 300 25 22
RÉSULTAT : Le Sénégal est en surendettement FORT(à vos machines, prêts, calculez)
Actuellement tous les pays de la zone UEMOA sont endettés. Une situation assez normale
car tous ces pays font partie des pays pauvres très endettés (PPTE). Le problème central se
situe au niveaudu rythme de l’accumulation de ces emprunts. Aujourd’huitous ces États, le
Sénégal y compris, sont dans une situation desurendettement (une norme qui marque la
frontière entre soutenabilité et insoutenabilité de la dette).
CAUSES ET CONDITIONS PROFONDES DE L’ENDETTEMENT
Nous savons tous que l’origine de l’encours de la dette publique, c’est principalement le
cumul des déficitsbudgétaires. Il y a déficit budgétaire quand le volume des charges est
supérieur à celui des ressources. Pour financer le déficit budgétaire, l’État peut recourir à
l’endettement interne en monnaie nationale (bons du Trésor), soit à l’endettement externe,
en monnaiesétrangères, au niveau des autres États ou institutions de BrettonWoods (dettes
bilatérales et multilatérales). La dette publique correspond au montant de la dette d’un État à
un moment donné. Elle est formée d’une composante interne (la dette intérieure) et d’une
composante externe (la dette extérieure). L’impact du processus de l’endettement sur
l’aliénation de la souveraineté économique est connu de tous. Pour mettre l’accent sur le
contenu politique qui colle mieux à la réalité de l’endettement, décortiquonsles élémentsqui
composent le budget de l’État.
Déficit budgétaire = DEPENSES – RECETTES
- RECETTES : impôts et taxes, droits de douanes, recettes d’exportation, dons
- DEPENSES : intérêt de la dette, salaire et fonctionnement, biens et services
Des recettes mal optimisées
La gestion de nos maigres recettes par nos gouvernants montre toutes les failles dans la
bonne gouvernance. Au niveau des recettes fiscales, le Sénégal a un faible taux de pression
de 17% (recettes fiscales/PIB). Dans les pays développés ce taux atteint les 40%. Au
Sénégal, nous pouvons atteindre un taux de 25% pour un supplément de 850 milliards dans
notre budget, en exploitant deux niches. La première concerne la révisiondes exonérations
d’impôts accordées à certaines multinationales, (par exemple TOSYALI), la
rationalisationdes conventions signées surtout avec des paradis fiscaux. A cause du principe
de non double imposition, nous perdons beaucoup d’argent (par exemple Petro TIM Ltd). Le
Sénégal a trop de régimes dérogatoires où on accorde beaucoup d’avantages fiscaux (code
minier, zone franche, code pétrolier, code des investissements). L’Etat doit arrêter les
remises gracieuses accordées aux multinationales. La deuxième niche concerne une bonne
gestion du secteur informel qui contribue au PIB à hauteur de 49.5%., et plus de 80% de
l’emploi total. Mais la contribution du secteur informel représente environ 4,2% des
recouvrements fiscaux.
Au niveau des recettes non fiscales, nous pouvons dire que le Sénégal aune balance
commerciale structurellement déficitaire depuis 1967. En 2019, ses exportations étaient de
l’ordre de 2000 milliards F (exportations privées et publiques) contre 4200 milliards F CFA
pour les importations, soit un déficit commercial de l’ordre de 2200 milliards F CFA. Les
recettes d’exportation du budget sont très faibles au Sénégal, elles tournent autour de 100
milliards, soit 0,05% de l’exportation total de 2019. Si on se réfère au rapport annuel de la
BCEAO de 2018 (Annexe 14, page 120) nous pouvons constater que les seules ressources
susceptibles d’être comptabilisées dans notre budget sont : phosphate de calcium et sel
marin. A ce niveau d’analyse, une seule question me vient à l’esprit : à qui appartient l’or
et le zircon extraits de notre sol ?Un autre facteur (le plus structurel) qui peut expliquer la
faiblesse de nos exportations, c’estla faiblesse de notre tissu industriel. Nous n’arrivons
toujours pas à produire nous-même ce que nous consommons. Les pays de l’UEMOA se
complaisent dans la place qui leur a été assignéepar la France lors de la signature du pacte
colonial : les colonies ont l’interdiction des ’industrialiser, elles doivent juste se contenter
d’approvisionner en matières premières la métropole qui les transforme en produits finis
qu’elle leur vend ensuite ; la métropole a le monopole sur les exportations et les importations
des colonies.
Des dépenses non prioritaires et non efficientes
Quand on regarde les dépenses publiques, la première question qui vient à l’esprit et qui
choque,c’est : est-ce que nos dirigeantsont compris la notion de priorité ? Et pourtant
nous n’avons pas besoin d’étudier la pyramide de Maslow pour comprendre que les besoins
sont hiérarchisés, et il faut toujours commencer par les plus urgents : santé, éducation,
eau, assainissement (niveau 1 de la pyramide de MASLOW). Le Plan Sénégal Émergent
est décomposé en plan appelé PAP (Plan d’ActionsPrioritaires) dans lequel les priorités
sont ailleurs. Sinon, comment comprendre le Ministre Amadou HOTT qui nous dit que :
« nous allons revoir le PAP 2, pour réorienter les dépenses d’investissements… pour penser
à un plan d’urgence quinquennal de modernisation et de transformation de notre système
sanitaire, pour avoir plus d’hôpitaux de niveau 4, pour que l’accès aux services de santé soit
plus équitable.
La majeure partie de notre dette externe est orientée vers les investissements nos
prioritaires (TER, Arena, arène nationale, CICAD, Cité ministériel etc…) et c’est la porte
ouverte pour les malversations : détournements, surfacturations, marchés de gré à gré, rétro
commissions,corruption. Nous pouvons emprunter, maisencore faut-il que la dette contractée
serve à financer nos économies dans l’efficacité et la transparence.
Le déficit du Sénégal est essentiellement lié à une incapacité de mobiliser les ressources
souveraines via la fiscalité et une bonne gestion des ressources minières, combiné à des
dépenses non prioritaires.La seule solution pour nos dirigeants consiste à plonger dans le
cycle vicieux de l’endettement auprès des IBWet des autres États.In fine c’est le peuple qui
va payervia le pouvoir de taxation de l’Etat ou par une mainmise des bailleurs sur nos
ressources naturelles. Tous les Etats s’endettent, mais la dette doit être productive pour
faciliter le remboursement.C’est la raison pour laquelle chaque centime de notre budget doit
être utilisée de manière optimale, là ille faut, avec le maximum d’impact financier et social.La
dette doit servir à améliorer de manière effective les conditions de vie des populations. Le
dernier levier sur lequel nous pouvons nous appuyer pour une bonne gestion de notre déficit
est la monnaie. Malheureusement, nous n’avons pas de souveraineté monétaire.
Babo Amadou BA
Directeur Adjoint Ecole du Parti
PASTEF