ASSOCIATION DES ANCIENS PENSIONNAIRES DE L’INSTITUT DES JEUNES AVEUGLES DU SENEGAL (AAPIJAS)
DECLARATION DU 3 DECEMBRE 2010
Nous sommes des étudiants sénégalais établis en France depuis l’obtention du Baccalauréat. En vue d’aider et de soutenir l’institut des jeunes aveugles d’où nous sommes sortis, nous avons créé le 31 décembre 2000 l’Association des Anciens Pensionnaires de l’Institut des Jeunes Aveugles du Sénégal (AAPIJAS). Cette association compte une section basée au Sénégal depuis 2006.
L’AAPIJAS a pour buts de raffermir les liens entre ses membres, de promouvoir la scolarisation et l’insertion socioprofessionnelle des aveugles. L’association cherche en outre à être un organe de conseil aux pouvoirs politiques dans le but d’élaborer des solutions les plus adéquates pour l’amélioration des conditions sociales des personnes handicapées.
A l’instar de la communauté internationale, le Sénégal s’apprête à célébrer ce 3 décembre 2010, la journée internationale des personnes handicapées. Après avoir stigmatisé une bonne partie des personnes handicapées, la République va donc les fêter le temps d’une journée. Nous souhaitons et croyons légitime de saisir cette occasion pour apporter notre contribution à travers cette présente déclaration.
Nous souhaitons saisir la journée du 3 décembre pour en faire un moment de prise de conscience et de réflexion sur la condition des personnes handicapées. Cette journée doit nous permettre de faire le bilan de nos actions, de dégager des perspectives et d’évaluer les politiques sociales mises en œuvres pour améliorer la condition des personnes handicapées. Pour ce faire, cette journée doit se dispenser de tout aspect folklorique qui limitait auparavant l’effort de réflexion et de travail.
Nous estimons que cette journée n’est pas une journée de fête. Elle est celle de prise de conscience et de sensibilisation. Un bref rappel d’actualité suffit à s’en convaincre.
Au prétexte de lutter contre la traite des enfants, le gouvernement avait pris une mesure d’interdiction de la mendicité sur la voie publique. En application de cette mesure d’interdiction, des personnes handicapées ont été pourchassées, arrêtées et jetées en prison par la police pour délit de mendicité.
Constatant le caractère irréfléchi et discriminatoire de la mesure gouvernementale, l’AAPIJAS dénonce avec la dernière énergie la stigmatisation et la discrimination de cette frange de la population sénégalaise et appelle à une plus grande considération des personnes handicapées.
L’AAPIJAS estime qu’il était préférable de tabler sur une discipline consentie plutôt que sur une contrainte imposée. C’est pourquoi elle milite en faveur d’une mutualisation de l’aumône et de la dépénalisation de la mendicité.
Nous considérons que lutter contre la mendicité, c’est élaborer des solutions « pour et avec » les mendiants afin de les sortir de la précarité. Tant que la précarité est, la mendicité sera.
Il s’impose donc à l’évidence que l’Etat ne peut combattre efficacement la mendicité sans s’attaquer à ses causes véritables. Celles-ci ont pour nom : l’accroissement de la pauvreté, le faible taux de scolarisation des personnes handicapées, le chômage des handicapés diplômés…
Aujourd’hui, l’Etat ne garantit que l’éducation d’une centaine de jeunes aveugles. Et pourtant, la Constitution dispose en son article 22 :
« L’Etat a le devoir et la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse par des écoles publiques. Tous les enfants, garçons et filles, en tous lieux du territoire national, ont le droit d’accéder à l’école ».
L’AAPIJAS invite les pouvoirs publics à garantir l’effectivité de ce droit à tous les enfants handicapés. Nous exhortons le Sénégal à assurer l’égalité des chances entre ses citoyens à travers l’effectivité d’une éducation pour tous. Nous estimons que la satisfaction de cette exigence constitutionnelle d’une éducation non discriminatoire est la base de toute politique sociale visant l’amélioration des conditions d’existence des personnes handicapées.
Aujourd’hui, il n’est pas difficile de trouver dans les rues de Dakar des diplômés aveugles s’adonner à la mendicité. Obligés sont-ils de quémander pour survivre.
L’heure est donc celle de l’action. C’est cela notre conviction, c’est cela notre priorité.
Fort de ce constat, l’AAPIJAS s’est toujours évertuée à élaborer des solutions pour sortir les handicapées de la mendicité. Elle a ainsi élaboré un programme dénommé Programme Mendicité Zéro.
Nous invitons les pouvoirs politiques à réfléchir avec nous sur ce programme en vue de sa perfection et de sa mise en œuvre, car il compte quatre orientations majeures que nous pensons susceptibles de les aider à remédier à la mendicité.
La garantie à tous les enfants handicapés du droit à l’éducation et à la formation,
L’élaboration d’une politique d’insertion professionnelle à travers la création d’entreprises adaptées ou de centres d’aide par le travail et l’édiction de mesures incitant les entreprises du secteur public comme privé à recruter des personnes handicapées,
L’élaboration d’une politique sociale fondée sur l’idée d’ « une aide qui aide à se passer de l’aide »,
L’édiction de mesures visant l’autonomie et l’indépendance des personnes handicapées.
Tous les projets de lutte contre la mendicité sont soutenus par des mesures permettant l’autonomie et l’indépendance des personnes handicapées.
L’autonomie et l’indépendance constituent les pivots essentiels de l’insertion sociale, car elles permettent à la personne handicapée de traiter d’égal à égal avec ses pairs valides. A cet effet, il est nécessaire de faciliter l’accessibilité des lieux et des établissements publics comme privés aux personnes handicapées. Nous demandons à l’Etat la prise en considération de ce public dans toute politique d’aménagement et de construction d’infrastructures.
S’engager à réduire la pauvreté, assurer l’éducation et la formation des enfants handicapés, travailler à l’intégration sociale des personnes handicapées et à l’insertion professionnelle des handicapés diplômés. C’est précisément à cela que notre programme mendicité zéro appelle les acteurs sociaux.
Ce programme peut être jugé comme trop ambitieux par qui ignore. Mais nous pensons qu’il est minimaliste car nous n’avons mis l’accent que sur ce qui est indispensable.
Aider la personne handicapée à sortir de la mendicité requiert un certain pragmatisme. C’est pourquoi l’AAPIJAS ne s’est pas contentée d’élaborer le Programme Mendicité Zéro. Elle fait aussi un travail de terrain. Elle envisage d’établir dans la région de Thiès une maison des personnes handicapées contenant entre autres, une salle informatique, une imprimerie Braille et un atelier de fabrication de cannes blanches. Cet atelier va employer en son sein des personnes déficientes visuelles qui travailleront au montage de cannes blanches.
Notre Programme Mendicité Zéro est en parfaite convergence avec la loi d’orientation sociale relative à la protection et à la promotion des droits des personnes handicapées.
Cette loi constitue, sans conteste, un tournant important dans la prise en compte de la question du handicap. Qu’il nous soit permis, d’en remercier et d’en féliciter ici son maître d’œuvre, le Président de la République. Mais voilà, qu’en toute violation de la Constitution, laquelle prévoit la promulgation des lois dans les 15 jours suivant leur adoption définitive, la loi d’orientation sociale tarde à prendre effet. Et pourtant, voilà plusieurs mois que cette loi a été définitivement votée par le Parlement.
Par la voie de son président, l’AAPIJAS exige la promulgation et l’application de cette loi.
Le Président
Cheikh Saad-bouh DIOUF