A l’image de certains médicaments qui rendent dépendants, se rendre chez un marabout constitue parfois une drogue pour beaucoup.
Que vais-je devenir demain ? Aurais-je un emploi ? Aurais-je des enfants ? Suis-je envouté par quelqu’un ? Que dois-je faire pour être heureux ? Comment détruire mon ennemi ? Face à ces questions, naissent alors des marabouts arnaqueurs appelés charlatans qui usent de pratiques sur fond de chantage et d’arnaque.
Voulant rompre le lien conjugal avec son époux et récupérer ses enfants des mains de son ex-époux, Oumou s’est innocemment pliée à l’injonction de Gurro Kebbeh, un marabout d’origine guinéenne. Juillet 2016, elle a été conduite à la forêt classée de Mbao où Gurro lui a fait croire que les djinns désiraient s’adresser à elle. Une fois sur les lieux, elle entend des voix qui lui parlent et qu’elle n’est pas parvenue à localiser. A l’issue de cet entretien avec les djinns, elle devait s’acquitter de la somme de 350 000 F Cfa après avoir auparavant donné un million à Gurro, pour un autre sacrifice, avant de fixer un autre rendez-vous au même endroit.
Sentant l’arnaque derrière cette histoire, la dame se résout à ne plus collaborer avec le marabout véreux. «J’ai remis au total 9 000 000 F à Gurro et j’ignorais sérieusement les raisons pour lesquelles je me comportais ainsi. J’étais hypnotisée et ne comprenais rien de ce qui se passait. Je me suis rendue une seconde fois à la forêt de Mbao et j’ai trouvé Gurro avec trois sacs remplis de billets de banque. Il m’a fait savoir que l’argent (17 000 000) m’appartenait, mais avant de pouvoir en disposer, je devais d’abord lui verser 7 000 000». Et bonjour le chantage : «J’ai refusé et il a menacé de mort ma fille. De peur qu’il ne mette ses menaces à exécution, j’ai finalement cédé».
Sentant l’étau se resserrer autour de lui, Gurro qui dispose d’une nationalité gambienne se réfugie à Ziguinchor, avant de prendre la poudre d’escampette pour Banjul. Néanmoins, il n’a pas rompu ses communications téléphoniques avec la victime. Pis, il a continué de lui faire miroiter un divorce prochain, à condition d’un énième versement. C’est ainsi que, le 10 août dernier, il lui a fixé un rendez-vous dans une auberge sise à Mbao. La gendarmerie, informée par la victime de cette rencontre, avait dépêché une équipe au lieu du rendez-vous fatal au Gambien. Ce qui a permis son arrestation suivie de son jugement.
«J’ai été hypnotisée…»
En vérité, Gurro n’est personne d’autre qu’un charlatan qui se fait passer pour un maitre coranique dans son quartier. Mais, son mystère sera percé car Oumou finira par porter plainte contre son maître-chanteur. Résultats des courses : son bourreau sera condamné à six mois pour «charlatanisme, escroquerie et menaces de mort». Tel a été pris qui croyait avoir mystiquement sa victime sous son contrôle, sans se soucier d’être démasqué dans ses manœuvres frauduleuses.
Etudiante âgée de 27 ans, Ndèye Coumba a failli tomber dans le piège d’un charlatan. «Quand on devait faire l’examen du baccalauréat, ma copine et moi, on nous a envoyées vers un marabout pour recueillir des prières. Grande a été notre surprise d’apprendre que cet homme est bien connu par ma copine. Et d’après elle, ce dernier avait perdu son travail dans une usine et quelques temps après, il est devenu gardien dans un entrepôt. Au bout de quelque temps, il a quitté le quartier pour aller s’installer ailleurs, pour pouvoir exercer en toute liberté ses activités de charlatanisme». Et la suite se passe de commentaire : «Devant le soi-disant marabout, elle n’a voulu rien dire de peur qu’on nous fasse du mal. Parce que, après tout, on est des filles et on était peut-être en danger. Mais, Dieu merci. Ce type n’est qu’un pur charlatan, un vrai escroc».
Coumba et sa mésaventure
En réalité, cet homme du nom de M. Faye est gardien dans une mosquée en construction, là où il reçoit ses clients. Ses faits et pratiques sont connus de tous, mais personne n’ose le dénoncer. Au cours de cette fameuse visite chez le marabout autoproclamé, Ndèye Coumba a commis l’erreur de boire une potion magique. Sa copine, qui a fait preuve de prudence s’est abstenue de le faire. Le marabout leur a ensuite demandé de revenir un autre jour. Mais, elle n’y est jamais retournée, sur recommandation de sa copine. Ainsi a-t-elle échappé au subterfuge du marabout qui allait l’entrainer dans son piège, comme il l’a déjà fait à d’autres personnes, selon plusieurs témoignages recueillis auprès de ces dernières. Pourtant, elles ont bien réussi au bac. Pour Ndèye Coumba, «notre réussite à l’examen a été le fruit du travail accompli en classe, accompagné de prières de nos parents et de l’aide de Dieu». Contrairement à ces jeunes filles, d’autres proies tombent facilement dans le piège des charlatans. Ils sont parfois difficiles à démasquer. Maman Kiné, 63 ans, consulte souvent des marabouts, mais pas n’importe lesquels. «Les marabouts que je fréquente, je les connais très bien car ils sont de vielles connaissances et habitent pour la plupart avec leurs familles. Et presque tout le monde les connait. Leurs pratiques sont couronnées de succès». Mais elle reconnait tout de même l’existence de faux marabouts malintentionnés. Voilà pourquoi elle accuse les médias et met en garde les jeunes. «Il faut que les jeunes arrêtent de consulter seuls les marabouts, parce que certains d’entre eux ne les connaissent pas et sont mis en rapport avec des amis ou des publicités à travers la radio, la télévision ou des affiches».
Ils viennent de Gambie, du Mali, de la Guinée
Venus d’horizons différents, ces charlatans ont plus d’un tour dans leurs sacs. Ils ne font pas bon usage de leurs connaissances, pour la plupart. De leurs pratiques malsaines sur fond de viol ou de chantage résultent, parfois, des grossesses. Ils sont Sénégalais pour la plupart, mais les étrangers s’y mettent de nos jours. La superstition des Sénégalais et leur propension à consulter les marabouts les conduisent à investir le pays de la Teranga. Ils sont originaires des pays limitrophes tels que le Mali, la République de Guinée, la Guinée Bissau, la Gambie etc. Les gens font recours à leurs pratiques pour amour, pouvoir. Ce que Laye Fall, vendeur de portables rencontré à Colobane, considère comme «un signe de faiblesse». Leurs clients, ce sont surtout les hommes, les femmes et même les jeunes. Curieusement, comme un retournement des habitudes, les hommes excellent dans l’art de consulter les devins. C’est le constat fait au domicile d’un marabout guinéen à Wakhinane, dans la banlieue dakaroise. Cette forme de charlatanisme n’a rien à envier à celle utilisée sur certaines victimes rencontrées dans les rues qui, au contact de la main, perdent connaissance avant d’être dépouillées de tous leurs biens. Mais ce qu’ils ignorent, en retour, c’est qu’il existe une loi qui punit le charlatanisme.
Le droit et la jurisprudence
Prévues et punies par les articles 379 et suivants du Code pénal, les pratiques liées à l’escroquerie et au charlatanisme sont passibles d’une condamnation allant d’un an à 5 ans d’emprisonnement au plus. Et d’une amende de 100 000 à 1 000 000 FCFA. Les coupables pourront être, en outre, frappés pour dix ans au plus de l’interdiction des droits mentionnés en l’article 34 du code pénal, c’est-à-dire la perte des droits civiques. Ils pourront aussi être frappés de l’interdiction de séjour pendant le même nombre d’années.
En septembre 2017, plusieurs cas ont été portés à la connaissance de la Justice. Jamais des faits de charlatanisme n’ont autant occupé une bonne place au menu des affaires jugées au tribunal, durant cette période. C’est ainsi que l’imam O. Thioub de Diamaguène (70 ans) a été condamné à 2 ans d’emprisonnement, pour des pratiques de charlatanisme accompagnées de viol suivi de grossesse sur une fille de 19 ans du nom de M. K. S. Diop. Durant la même période, A. Thiam a été condamné à 3 mois ferme, pour des faits similaires. Il en est de même pour ce commerçant, H. Cissé, déclaré coupable d’escroquerie et de charlatanisme à hauteur de 7 millions Fcfa qu’il avait grugés de ses victimes. Un autre prévenu répondant au nom de G. Mbow a récolté 6 mois d’emprisonnement pour charlatanisme et escroquerie au préjudice de la dame K. M. Ndiaye.
Adja Mariétou NDAO (Stagiaire)
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