« Le Sénégal est davantage une affaire de cœur que de raison », lâche, dépité, Boubacar Sagna, jeune entrepreneur dakarois de 34 ans. Diplômé en relations internationales à Sciences-Po Toulouse, Boubacar Sagna fait partie des « B2G » (prononcer en anglais), ces Sénégalais diplômés à l’étranger, majoritairement en France, qui ont choisi de rentrer dans leur pour y travailler.
De 2010 à 2014, « après plusieurs petits boulots malgré (ses) diplômes », Boubacar Sagna est employé par la mairie de Toulouse comme chargé de projet dans le cadre de la coopération avec les villes du Sud. L’idée d’un retour au pays prend forme à la suite d’une mission effectuée dans la ville de Saint-Louis pour aider des femmes à développer une coopérative de transformation de poissons.
La solution de l’auto-entrepreunariat
Bousso Dieng, quant à elle, 31 ans, grandit entre le Sénégal, où elle est née, et la France, où elle obtient un diplôme d’ingénieur électronique informatique. Après six ans de vie professionnelle, elle décide de partir de Paris pour Dakar « à cause d’un climat social marqué par l’islamophobie et des mauvaises expériences comme un manque de reconnaissance dans son travail ». A l’été 2013, elle réussit à intégrer le ministère de la jeunesse et de l’emploi, où elle commence « sans contrat ni salaire » en tant que coordinatrice adjointe d’un dispositif en faveur de l’emploi de proximité au Sénégal. Elle est aujourd’hui responsable du pôle d’orientation de l’Agence nationale pour l’emploi des jeunes. « Il faut savoir montrer ses compétences dès que l’occasion se présente », estime-t-elle pour signifier l’importance de se créer « un bon réseau ».
Mais ce retour au bercail des jeunes diplômés sénégalais ne se passe pas en fait sans heurts. « J’ai été au chômage pendant deux ans après mon retour », avoue Cheikh M. Diop, diplômé en management à Rouen. Il dénonce « des processus de recrutement qui se font par complaisance ». Cheikh Diop regrette qu’il n’existe presque pas de recrutement par Internet, ce qui occasionne la perte de dossiers de candidature mais aussi une grille des salaires illisible. « Nous sommes loin de la culture du mérite », s’énerve-t-il.
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C’est d’ailleurs ce qui a poussé Boubacar Sagna à se mettre en auto-entrepreneur. Il a créé « Yenni » (« se décharger d’un poids », en wolof). « C’est une assurance santé comparable à la sécurité sociale en France. Au Sénégal, 80 % de la population n’ont pas de couverture médicale », explique le jeune homme. Pour autant créer sa propre entreprise au Sénégal est difficile à cause des lourdeurs administratives.
« Pour l’instant, j’arrive tout juste à payer mes quatre employés. Je n’ai pas encore de salaire », souligne Boubacar Sagna qui vit grâce aux revenus de ses deux véhicules qui font la navette entre Dakar et Saint-Louis. Grâce au réseau des B2G (une page sur Facebook et un site en construction), son portefeuille de clients s’épaissit. « Je suis devenu l’assureur des start-up des Sénégalais diplômés à l’étranger qui ont choisi de rentrer. »
L’emploi formel ne représente que 10 %
L’auto-entrepreneuriat est également la solution trouvée par Cheikh Mouhamed Diop. Ce jeune homme de 29 ans est revenu à Dakar en 2012 après avoir intégré cinq ans plus tôt la NEOMA Business School (ex-ESC Rouen). Il a créé une société spécialisée en système d’informations financières et d’investissements. « Je connais des hauts et des bas, mais je me bats », confesse-t-il.
Après un an de recherche infructueuse de travail, Rama Diop, 27 ans, pourrait, elle aussi, se mettre à l’auto-entrepreneuriat. En France, où elle était arrivée en 2006, elle avait déjà monté une affaire dans la commercialisation de sacs en cuir en provenance du Burkina Faso, après son diplôme d’économie sociale obtenu à Lyon. L’auto-entreprise est une solution pour les B2G.
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Selon les chiffres du ministère sénégalais de l’emploi, il y a 100 000 demandeurs qui arrivent chaque année sur le marché. Parmi eux 78 % sont des jeunes dont 42 % sont sans qualification. Les diplômés venus de France peinent à se faire une place au soleil dans un pays où l’emploi formel ne représente que 10 %.
« C’est un combat de tous les instants car aucun cadeau n’est fait, déplore Rama Diop tout en maniant l’autodérision. Pour une spécialiste du risque (elle est titulaire d’un master en finances et gestion du risque), on ne peut pas dire que je l’ai bien mesuré en venant au Sénégal. »
Moussa Diop
Contributeur Le Monde Afrique
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