Le président Senghor explique son choix porté sur Pierre Lechantre, aux dépens de Bruno Metsu, pour succéder à Amara Traoré au poste de sélectionneur des Lions du football. L’avocat Augustin fait sa plaidoirie pour éclairer sur ses relations avec le nouveau ministre des Sports, El Hadji Malick Gakou. L’un dans l’autre, c’est sans concession !
Vendredi dernier, Pierre Lechantre a été désigné pour la succession d’Amara Traoré au poste de sélectionneur des Lions. Quels sont les arguments qui ont plaidé en sa faveur ?
C’était un poste d’entraîneur très prisé. Et jusqu’au jour du choix, nous avons reçu de nouvelles demandes. A partir du moment où nous avons essayé de définir la démarche la plus cohérente pour aboutir au meilleur choix possible, le moins irréprochable, nous nous sommes tenus à cela. Pierre Lechantre a été choisi sur la base de critères objectifs tels que définis au préalable. Très tôt, nous avons annoncé que sur les cinq derniers choix, Metsu et Lechantre se dégageaient naturellement. En termes d’expérience, de compétence, de palmarès, de vécu africain et de charisme, ils remplissaient les critères. A la limite, ils étaient d’égale valeur. Ce qui a fait la différence lors de la réunion du Comité d’urgence, c’est le fait qu’il fallait adapter le choix aux exigences de la politique fédérale en cours. Depuis deux ans, nous sommes dans une démarche de rupture avec un certain nombre de principes auxquels nous tenons. Choisir un homme neuf, qui vient vide par rapport aux influences et dans l’approche, qui a un regard neuf sur notre football peut être un plus. Plutôt qu’un choix dicté par un aspect lié à des éléments subjectifs : la connaissance de l’individu, son passé avec l’Equipe nationale. Et la balance a penché pour Lechantre.
Avez-vous tenu compte aussi du passif de Lechantre. Un entraîneur qui ne dure pas sur un banc. Son record remonte à son séjour au Cameroun (1998-2001) ?
Trois ans au Cameroun, c’est quand même trop long pour un entraîneur. Ce n’est pas un élément objectif sur lequel nous pouvons nous baser. Nous nous basons sur un Cv, les réalisations, le palmarès. En termes de palmarès, sur le plan africain, c’est lui qui a un palmarès. D’autres ont des performances. Etre finaliste d’une Coupe d’Afrique, c’est une bonne performance, mais pas un palmarès. Etre quart de finaliste d’une Coupe du monde, c’est le cas aussi. Vainqueur de la Coupe d’Afrique (2000) et médaille d’Or aux Jeux olympiques (de Sydney en 2000), c’est un vrai palmarès. Si nous devons nous référer qu’à ces aspects, ça devait faire la différence. Qu’il n’ait pas duré sur un banc, je ne pense pas, pour nous, que ça puisse être un critère éliminatoire. Les entraîneurs restent plus ou moins sur les bancs selon les intérêts des parties en cause. Ce n’est pas seulement l’échec qui fait partir les entraîneurs. Très souvent aussi, la réussite peut en être la cause. C’était le cas de Metsu quand il est parti, parce que simplement il venait de faire une bonne Coupe du monde avec le Sénégal avant de répondre à l’appel des puissances financières qui le voulaient comme entraîneur.
«Si Lechantre n’atteint pas ses objectifs, le contrat sera rompu sans indemnité»
Quelle sera la nature du contrat qui sera proposé à Pierre Lechantre ? Vous allez vous inscrire dans le long ou le moyen terme ?
Nous avons retenu avec lui qu’il aura un contrat de deux ans basé sur des objectifs à la Can et à la Coupe du Monde. Notre vœu est de goûter, au moins une fois, aux délices d’une Coupe d’Afrique, remportée par le Sénégal. Il est normal que nous ayons des attentes par rapport à cela. Et à ces attentes que nous ferons porter à l’entraîneur, que nous puissions y arrimer des motivations en termes de primes d’objectif. La conséquence, c’est quand la personne n’atteint pas ses objectifs que les parties puissent se délier de leur contrat sans indemnité de part et d’autre. Pour la Coupe du monde, l’objectif sera la qualification. Les mêmes mécanismes seront en place avec une prime de motivation et, en cas d’échec, un départ. Nous avons retenu les leçons du passé et nous serons très vigilants sur les clauses du contrat. Nous ne pouvons pas payer beaucoup d’argent à un entraîneur sans lui fixer des objectifs clairs et précis en termes de résultats.
Le Sénégal débute les éliminatoires de la Coupe du monde le 2 juin contre le Liberia. L’entraîneur choisi est sous contrat. Quand pourra-t-il être disponible pour les Lions ?
Nous avons pris en compte cette situation en lui demandant de nous faire un engagement qu’il pouvait se libérer une fois qu’il aura conclu son contrat. Il l’a fait. Nous devons lui soumettre un précontrat qui sera examiné par ses conseils. Une fois que tout sera O.K, on va signer et il aura l’obligation de se rendre disponible pour le Sénégal immédiatement. En même temps, nous sommes en train de finaliser avec le Directeur technique national (Dtn Amsatou Fall, Ndlr) le dossier de son adjoint, en concertation avec lui (Pierre Lechantre). Nous pensons être édifiés cette semaine, normalement dans les trois ou quatre jours à venir. Il lui reste un match à jouer en championnat et il nous avait confirmé qu’il sera libéré par son club dès que le contrat aura été signé. Le travail a commencé. Ce matin (lundi), l’entraîneur m’a demandé qu’on lui prépare toutes les cassettes de l’Equipe nationale A et celles des Olympiques.
«Pour le match amical, Lechantre aura le choix entre la Côte d’Ivoire, l’Egypte et la Rdc»
Lechantre aura-t-il la possibilité de jouer un match amical avant de débuter les éliminatoires du Mondial ? On avait parlé de la Côte d’Ivoire…
Il n’appartient pas à des administratifs de fixer un match amical. Il y a des objectifs techniques et tactiques recherchés dans une rencontre amicale. Nous n’avions pas voulu nous prononcer sur les matches amicaux, parce que nous n’avions pas d’entraîneur. Heureusement, Pierre Lechantre est entré en contact avec nous pour voir les propositions et il va nous revenir pour confirmer. Apparemment, cela l’intéresse de jouer un match amical les 25 ou 26 mai. Pour l’adversaire et le lieu, c’est lui qui a voix au chapitre. S’il valide, nous confirmerons et créerons les conditions pour que ce match de préparation puisse se jouer. Nous avons eu des propositions de la Côte d’Ivoire, la semaine dernière, l’agent nous a relancés. Il y a aussi l’Egypte qui nous a contactés par l’entremise de Gaël Mahé pour jouer un match à Marrakech (Maroc). Gaël Mahé nous a parlé aussi d’un match contre la Rdc. Mais les choix de l’adversaire, du terrain et même la date relèvent de la compétence de l’entraîneur.
Qui va l’accompagner dans cette mission ? Lechantre va-t-il venir avec ses adjoints ou va-t-il s’appuyer sur l’expertise locale ?
A ce propos, je voudrais apporter des clarifications parce que beaucoup de choses ont été dites. Pour mener sereinement ce travail, il nous fallait verrouiller l’information. Les gens s’en sont plaints. Même au sein de l’instance fédérale, nous avons vu des sorties qui ne matérialisaient que le malaise de ne pas être suffisamment informé. Nous constatons pour le déplorer qu’à chaque fois que nous sommes sur un dossier important, les problèmes se posent parce qu’il n’y a pas cette discrétion qui devait être de mise au sein de nos instances. Tout est sur la place publique. Nous avons veillé à cela. En dehors de la cellule, j’ai eu à travailler sur tous les dossiers et nous avons, à la veille de notre réunion, tous les accords avec les deux entraîneurs. Je leur ai dit : «Si vous êtes choisis, voilà comment ça va se passer ! Je voudrais que vous me confirmez que vous êtes d’accord sur toutes les conditions.» Tous les points posés dans les débats sont déjà réglés en amont. Il reste juste à finaliser. Une fois qu’il (Pierre Lechantre) aura validé le précontrat, nous pourrons passer à la phase de signature.
Par rapport aux adjoints, le principe de base a été de dire aux entraîneurs qu’au Sénégal, la culture est que nous ne travaillons jamais avec un entraîneur étranger qui vient avec tout son staff. Nous tenons à cela parce que c’est une marque de reconnaissance par rapport à notre expertise. Ça nous permet aussi de mieux asseoir l’adaptation de l’entraîneur et de mieux contrôler la gestion de l’équipe par rapport à nos réalités sportives et sociologiques. Bruno Metsu et Pierre Lechantre avaient accepté ce principe. De Paris, quand je revenais de Zurich, j’avais eu à les contacter pour régler tous les détails financiers et les détails techniques liés à l’attelage. Après le choix de Lechantre, le lendemain, nous avons échangé sur ces grandes lignes. Aujourd’hui, il y a deux ou trois entraîneurs sénégalais qui peuvent être choisis, mais nous ne pouvons pas communiquer tant que ces personnes n’ont pas été choisies. Ses adjoints et tout l’attelage de l’équipe seront des Sénégalais. C’est acquis, il n’aura qu’un seul adjoint, un préparateur physique et un préparateur des gardiens.
C’est la fédération qui va lui proposer des hommes, ou vous allez lui laisser le choix ?
Il faut éviter les greffes qui font des rejets. Si les collaborateurs ont l’avantage d’être connus par Pierre Lechantre, ça va faciliter l’adaptation et la collaboration. L’objet de ma discussion, samedi, avec lui était de savoir si, au Sénégal, il connaissait des entraîneurs qui pourraient l’approcher. Lui donner aussi des propositions de noms que nous avons déjà. Avant-hier (samedi), j’ai discuté avec le Directeur technique national sur cette question et nous nous concertons pour la décision finale.
«La discipline, nous y tenons»
Par rapport à la gestion des hommes, Lechantre sera-t-il soumis à des obligations ?
Nous lui soumettrons un contrat où tous ces points seront pris en compte. Nous fonctionnons sur la base d’un règlement intérieur qui est toujours valable. Quand nous lui soumettrons le précontrat, s’il a un avis contraire par rapport à la gestion de la discipline, il nous fera ses suggestions. Ce qui importe, c’est toujours de créer un environnement propice à la performance. Et l’aspect de discipline est fondamental. Nous y tenons. En tant qu’entraîneur, c’est le point nodal. Je verrai mal qu’une discipline au sein d’un groupe soit instaurée en dehors de l’entraîneur en chef. Sinon, ça poserait un problème de référent par rapport aux joueurs. S’ils doivent s’adresser au président, ça risque de saper l’autorité de l’entraîneur. Ça pose problème. Donc, il sera forcément impliqué.
«Toute personne qui voudra m’opposer au ministre des Sports (Malick Gakou) est mon ennemi»
La candidature de Bruno Metsu a aussi soulevé des vagues. On a parlé de lobbyings et de pressions. Qu’en est-il exactement ?
(Le ton ferme) Je veux rétablir certaines vérités. Beaucoup de choses ont été dites en sa faveur ou pas. Je le déplore. Au Sénégal, on ne connaît pas la neutralité. Soit on est pour, soit on est contre. Très souvent, quand on est contre, qu’on soit décideur ou non, on veut toujours que sa position puisse prévaloir sur celle des autres. On ne sait pas raison gardée. Souvent, on parle plus de manière subjective que par rapport à des éléments objectifs d’appréciation. Personne, à l’intérieur comme à l’extérieur de la fédération, ne peut prétendre dire qu’il était à l’origine du choix. Nous avons écouté tout le monde, mais c’est l’opinion du président qui a été pondérant dans le choix. Je le dis et je l’assume ! Entièrement ! C’est à l’aise que nous avons pris cette décision. Et j’ai salué le comportement professionnel de Bruno Metsu et de Pierre Lechantre. Suite à l’annonce de sa nomination comme entraîneur par L’Equipe (le jeudi), Metsu m’a dit : «Président, ne vous gênez pas. Faites le choix que vous estimez utile pour le football sénégalais.» C’est un acte magnifique. Je lui avais dit clairement que je ne me laisserais pas influencer. Si je devais choisir par sentiment ou affectivité, j’ai été supporteur, comme tous les Sénégalais, en 2002. Mais, cette affaire dépasse les sentiments. Nous sommes à un tournant de notre football. Il n’y a plus de place aux sentiments, je vais faire le choix le plus objectif et le plus serein possible. Il (Bruno Metsu) m’a encouragé à cela.
L’autre point sur lequel je veux insister, c’est qu’aujourd’hui, en ce qui concerne la marche du football, toute personne qui voudra m’opposer à un autre membre de la famille du football ou une autorité comme le ministre des Sports est, pour moi, un ennemi. Ce qui m’intéresse, c’est d’aller à l’essentiel : unir tout le monde autour du football. Ce n’est pas de bon ton de voir que, dès qu’un ministre arrive, on commence à l’opposer à la fédération et à son président. Ceux qui le font doivent comprendre que c’est peine perdue. Nous avons une fédération républicaine et j’ai toujours voulu être républicain. Pas une seule fois, je n’ai accepté de sauter un ministre pour aller parler à d’autres autorités. C’est une question de principe. Nous sommes dans un Etat de droit. Si quelqu’un se réclame d’être un dirigeant à la hauteur, il doit commencer par comprendre cela. Personne ne peut m’opposer à ma tutelle tant qu’elle respecte les prérogatives de la Fsf, mon honneur en tant que personne et dirigeant sportif.
L’autre point important, et le ministre Malick Gakou a eu à le dire, de même que moi, mais les gens peinent à le comprendre : nos relations sont antérieures au football et à l’élection de la présidence de la fédération. Quand il a été nommé, il m’a fait la faveur d’être l’une des premières personnes à être reçues. Nous avons discuté de tout concernant le dossier de l’entraîneur.
Quand les gens affirmaient (jeudi) dans la presse internationale que Metsu avait été choisi, dans la nuit nous avons calé tout ce qui concernait la gestion du dossier financier et les choix. Et, il m’a réitéré que le choix de la fédération sera son choix. Après la réunion du comité d’urgence, nous avons tous décidé d’aller lui rendre compte avant de communiquer. Donc, tout a été réglé comme sur du papier à musique avec le ministre.
Je voudrais le remercier de sa collaboration et dire encore une fois que je n’ai pas besoin qu’on me cherche des ennemis. Quelqu’un qui fonctionne selon des principes n’a pas de problème pour s’entendre avec ses amis, encore moins travailler avec une autorité choisie par le chef de l’Etat ou du Gouvernement à la tête du ministère des Sports. Donc, tout ce qui a été dit n’engage que ceux qui l’ont dit. Ce football, on le construira tous ensemble, où on ne le construira à jamais.
Des administratifs ont choisi un entraîneur à la place des techniciens…
Il faut comprendre comment ça se passe. Au sortir de la réunion du 7 février où la décision de rupture du contrat d’Amara et du staff a été précise, le Comité exécutif m’a proposé de me donner mandat de gérer le dossier du nouvel entraîneur. Séance tenante, je leur ai dit qu’il n’en est pas question pour la simple raison qu’on va vers un choix à la fois difficile et important. Je ne suis pas pour le système de la pensée unique. Il faudrait que je m’en ouvre à d’autres membres de la fédération et au Directeur technique national. Lorsqu’il a fallu convoquer la première réunion, le Dtn était parti à San Francisco avec l’Equipe olympique. A son retour, immédiatement, il a été envoyé en mission au Vietnam. La deuxième réunion s’est tenue à son absence. Avant le départ à Londres pour le match de barrage pour les Jeux Olympiques (Oman-Sénégal : 0-2, Ndlr), nous avons tenu une réunion, mais le Dtn était déjà à Thiès pour son stage. Voilà les raisons qui font qu’il n’a pas participé aux réunions. Pendant très longtemps, on a reproché au Dtn qu’il ne s’occupait pas du terrain, il a commencé à exécuter un programme aussi important que le choix d’un sélectionneur. Sur ce point-là, la décision appartient au Comité exécutif et au président de la Fsf. La position du Dtn, c’est juste un avis qu’il donne par rapport au choix. Ça a toujours été comme cela. Malheureusement, toute la matinée de la réunion (vendredi 27 avril), jusqu’au moment du démarrage, on n’a pas pu entrer en contact avec lui. Il était en stage et son portable était éteint. Je l’ai eu avant-hier (samedi), nous avons discuté de la question. Une fois le ministre installé, on avait des délais à respecter pour être à temps par rapport à l’échéance fatidique du 2 juin. Plus tôt on pouvait désigner l’entraîneur, mieux c’était. On ne pouvait pas reporter cette réunion. D’autres ont dit qu’il fallait convoquer le Comité exécutif, mais je pense que c’était conforme au texte parce que nanti de la confiance de l’ensemble du Comité exécutif, je pouvais avancer en prenant le soin, après le choix du Comité d’urgence, préalablement à toute communication, de consulter au téléphone tous les membres du Comité exécutif qui étaient disponibles. On l’a fait.