La communauté musulmane du Sénégal a fêté, à l’unisson, l’Aid El Fitr, le 6 juillet 2016. Une seule fête de Korité est si rare chez nous que les chefs religieux, les autorités publiques et les citoyens ordinaires ont apprécié cette retrouvaille de la Ouma islamique sénégalaise avec une grande satisfaction. Prions le Bon Dieu pour qu’il en soit ainsi les autres années car rien ne justifie 2 Korités ou plus au Sénégal.
A partir de maintenant, les sénégalais n’ont d’yeux et d’oreilles que pour la Tabaski, la plus grande fête religieuse musulmane du Sénégal. Le jour J, adultes et enfants devront porter des vêtements neufs, des chaussures neuves, des bonnets neufs, des perruques neuves avec des cheveux naturels de préférence. A ces charges induites déjà élevées, les pères de famille ont l’obligation d’immoler un mouton le jour J, pas n’importe quel mouton. Ne pas sacrifier un mouton le jour de la Tabaski est non envisageable pour un père de famille sénégalais, quel que soit le niveau de ses revenus. C’est sans doute pour cette raison que l’Etat a mis en place, pour soutenir ses employés, l’Avance Tabaski qui est appliquée par tous les autres employeurs du pays. Le prêt Tabaski est une avance sur salaire payable en plusieurs mensualités. Un père de famille sans mouton le jour J crée le malaise chez lui avec le sentiment d’être la risée des voisins. C’est pourquoi tous les moyens, licites ou non, sont bons pour avoir son mouton de Tabaski. Les sociétés de téléphonie mobile et autres entreprises de la place utilisent, pour des besoins publicitaires, la pression sur les parents à la veille de la Tabaski pour passer des messages commerciaux avec des jeux pour gagner des moutons.
Conscientes des retombés catastrophiques d’une pénurie de moutons lors de la fête de l’Aid El Kébir, les autorités publiques du Sénégal prennent chaque année les mesures idoines pour garantir aux populations l’accès aux moutons, pour toutes les bourses. Un manque de moutons de Tabaski pourrait créer de réels problèmes politiques et sociaux.
On peut déduire de ces considérations non exhaustives que les moutons de Tabaski sont aussi importants pour les familles sénégalaises que le riz, la viande, le poisson, l’huile, le lait, le carburant etc. Une pénurie en ces produits pourrait être potentiellement source de violence et de crises politiques.
Les besoins du Sénégal en moutons de Tabaski en 2016 sont estimés par les autorités ministérielles à 750 000 têtes. La Mauritanie et le Mali vont nous fournir cette année environ 360 000 moutons, soit près de la moitié de nos besoins. Cette forte dépendance vis-à-vis de nos voisins est excessive et dangereuse. Avec un nombre limité de fournisseurs, le Sénégal risque de manquer de moutons chaque année. Nos gouvernants doivent garder à l’esprit que nos voisins élèvent des moutons pour leurs propres besoins. Ils n’exportent que l’excédent de leurs productions comme souvent c’est le cas pour les produits agricoles en commerce international. Si pour des raisons diverses et multiples, nos voisins, vulnérables pour plusieurs raisons, arrêtaient de nous fournir des moutons de Tabaski, le Sénégal se retrouverait dans une impasse.
A entendre les autorités ministérielles parler, on a l’impression que le Sénégal n’a besoin de moutons qu’à l’occasion de la fête de l’Aid El Kébir. Elles semblent oublier que l’élevage ovin fournit chaque jour aux sénégalais de la viande, du lait et de l’argent. Les ovins jouent un rôle majeur dans l’économie nationale, dans la sécurité alimentaire du pays, dans l’équilibre nutritionnel des sénégalais et dans la lutte contre la pauvreté. L’élevage d’ovins est très prisé par les sénégalais car facile à faire et rentable. Toutes les ethnies du Sénégal, en ville et au village, s’adonnent à cette activité lucrative fortement handicapée cependant par le vol de bétail. Les sénégalais passionnés d’élevage de moutons notamment de race se comptent en dizaines de milliers. Les camions de fanes d’arachides qui déversent leurs cargaison dans les agglomérations constituent la preuve que les sénégalais des villes et des villages, compte non tenu de leur appartenance ethnique, sont de grands éleveurs, surtout de moutons, même sans espace adapté.
Les sénégalais ont raison de faire de l’élevage de moutons. C’est une activité rentable et facile à faire à domicile. L’animal a un comportement convivial, facile à nourrir avec des vêlages tous les 6 mois. Il n’y a pas de perte dans l’élevage de moutons.
Il est préférable de parler d’autosuffisance en moutons plutôt que d’autosuffisance en moutons de Tabaski. Avant et après la fête du sacrifice, les sénégalais sont de grands consommateurs de viande de montons et de lait de brebis. Le baptême des bébés musulmans s’accompagne systématiquement de l’immolation d’un bélier. Les dibiteries disséminés dans les quartiers des villes utilisent de la viande de moutons pour leurs grillades. Les fêtes religieuses, les mariages et autres évènements sont agrémentés de viande de moutons. Les ovins sont ainsi à la fois des laitières, des animaux de boucherie et des bêtes de compagne. Le lait de brebis est plus digeste que le lait de vache. En milieu rural c’est lui qu’on donne aux orphelins de mère de préférence.
L’autosuffisance devrait viser la satisfaction de tous les besoins en moutons, en toute saison. Croire que le Sénégal est autosuffisant en moutons hors fête de Tabaski me paraît contestable. La fourniture en moutons par la Mauritanie et le Mali au Sénégal est permanente. A Birkelane, Sandiara, KébéKhaye, Touba Toul, Missirha Wadène, ….les mauritaniens et les maliens vendent des moutons toute l’année.
Le Ministre de l’Elevage a donc raison de lancer le projet d’autosuffisance en moutons de Tabaski mais, on pourrait toutefois se demander s’il s’agit d’un projet bien muri ou d’un slogan tout simplement. Sur le site du MEPA, je n’ai trouvé aucun document ficelé portant sur l’autosuffisance en moutons de Tabaski alors qu’en parcourant la presse, on peut lire plusieurs déclarations du Ministre portant sur un projet d’autosuffisance en moutons de Tabaski.
L’autosuffisance en moutons est si importante pour le Sénégal qu’un plan stratégique d’autosuffisance en ovins est une nécessité surtout avec l’opportunité offerte par le PSE.
Si le Sénégal n’est pas autosuffisant en moutons, c’est parce que ce sous-secteur de l’élevage a toujours été laissé en rade par les différends pouvoirs publics qui se sont succédé à la tête du pays. Depuis 1960, l’Etat ne fait que perpétuer la politique d’élevage du colonisateur qui ne s’intéressait qu’aux produits d’exportation vers la métropole. Aucun plan en faveur de l’élevage d’ovins n’a été monté et exécuté pour la promotion de cette activité préférée des sénégalais. L’élevage traditionnel se fait toujours comme il y a 100 ans. Pour l’autosuffisance en moutons, il faudra lever beaucoup de contraintes qui plombent l’envol de l’élevage des ovins : organisation et formation des éleveurs, foncier, culture fourragère, alimentation complémentée, lignes de crédit, vol de bétail, eau, santé animale, transport et pistes de production, commercialisation, taxes, sécurité,…
Pour atteindre l’autosuffisance en moutons, le Ministère de l’Elevage et des Productions Animales (MEPA) a lancé une série d’initiatives.
Le MEPA a noué un accord de collaboration avec les Maires du Sénégal. Il s’agit de l’engagement de derniers à faire des dons de brebis à des familles pauvres pour leurs permettre de s’adonner à l’élevage. Si l’opération réussit, ces familles auront leurs moutons de Tabaski et offriront à leur tour des brebis à d’autres familles pauvres. C’est une chaîne de solidarité pour combattre la pauvreté. C’est louable mais avec le vol du bétail, le niveau de pauvreté des familles ciblées et le retrait de l’Etat en matière de santé animale depuis si longtemps, on peut prédire que cette belle initiative accouchera d’une petite souris.
Les autorités du MEPA encouragent aussi les éleveurs à souscrire du crédit auprès des banques par voie de presse. Aucune précision sur le type de crédit disponible et les conditionnalités du prêt ne sont données. Cette démarche me semble mauvaise car les éleveurs sont insuffisamment impliqués et encadrés.
Ces 2 initiatives sans rapport ne sont pas de nature à permettre d’atteindre l’autosuffisance en moutons de Tabaski en 100 ans, même avec le soutien des partenaires au développement. Elles peuvent aider à lutter contre la pauvreté et la malnutrition mais certainement pas permettre d’atteindre l’autosuffisance en moutons de Tabaski.
Pour une autosuffisance en moutons de Tabaski, il faudra augmenter significativement la taille du cheptel d’ovins avec les éleveurs comme l’ont réussi la Mauritanie et le Mali. L’Etat devra agir sur tous les leviers qui permettent d’intensifier l’élevage traditionnel et moderne des ovins dans le pays. Pour identifier ces leviers, il est impératif de faire l’état des lieux de l’élevage des moutons au Sénégal avec la rigueur qui y sied en s’appuyant sur les forces et faiblesses de cette activité. Naturellement, compte sera tenu des opportunités et des menaces qui pèsent sur l’élevage d’ovins. Ce travail préliminaire doit se faire avec tous les partenaires du sous secteur : État, Éleveurs, syndicats et organisation d’éleveurs, banques, experts, chercheurs, partenaires au développement, instituts de recherche, universités, collectivités locales, diaspora,…..
L’élevage de moutons au Sénégal est un secteur dynamique et porteur qui pourrait être un important levier du PSE. L’autosuffisance en moutons est un défi plus facile à relever que d’autres autosuffisances visées par les autorités dans le cadre du PSE. Un projet d’autosuffisance en quoi que ce soit doit avoir une envergure nationale et non sectorielle ou parcellaire dans le contexte du Sénégal.
Pr Demba Sow
Zootechnicien
Ecole Supérieure Polytechnique UCAD
Autosuffisance en moutons de Tabaski, projet ou slogan ? Par Pr Demba SOW
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