Aux autorités religieuses, administratives, militaires et judiciaires du Sénégal !
Le 4 octobre 2010, le domicile du journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly a été cambriolé. Son ordinateur portable, ses deux téléphones également portables et son véhicule 4×4 ont été volés. M. Coulibaly était en train de boucler le tapuscrit pour un nouveau livre, qui ne serait peut-être pas étranger au cambriolage. Le cambrioleur, son complice et son receleur ont été heureusement arrêtés et M. Coulibaly a retrouvé ses biens. Il dément cependant formellement la version de la Police. Il a donné d’ailleurs une conférence de presse et est revenu sur l’affaire qui suscite de nombreuses interrogations. On se rappelle également qu’il a été victime d’un cambriolage en 2005, au moment où il s’apprêtait à publier son livre « Affaire Me Seye : un meurtre sur commande ». Le texte s’était rapidement retrouvé dans le net. L’affaire n’a jamais été élucidée.
Le 5 octobre 2010, L’Alliance Jëf Jël a commémoré le 7e anniversaire de l’agression au marteau dont a été victime son président Talla Sylla. Cette affaire avait fait l’objet d’une enquête professionnelle et diligente, dit-on, de la part de la Gendarmerie, qui a déposé ses conclusions entre les mains de la Justice. De très proches du président de la République y seraient mis en cause. Ce dossier serait classé sans suite, selon de nombreux observateurs. S’il ne l’a pas été en tout cas, son traitement est particulièrement lent. La Justice s’est montrée beaucoup plus diligente avec cette autre affaire qui oppose Abdou Latif Coulibaly à Thierno Ousmane Sy, conseiller en Tic du président de la République et fils du Ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy. En quelques mois, cette affaire a été enrôlée et jugée. Le verdict est attendu le 16 novembre 2010.
Le procès en appel du pyromane Mamadou Lamine Massaly a eu lieu le 8 octobre 2010. L’homme, semi-alphabète, est présenté comme le leader des jeunesses dites wadistes. Á ce titre, il a été bombardé président du Conseil d’administration de la Société industrielle de réparations navales (Sirn). Le délinquant a été le commanditaire de l’incendie des bâches du Parti socialiste qui tenait un meeting sur la Promenade des Thiessois. Ayant échappé à la Cour d’Assises, il a été traduit devant le Tribunal correctionnel de Thiès. Condamné à une peine de deux ans dont six mois ferme, il a été extrait de prison après avoir interjeté appel. Le verdict est attendu le 22 octobre 2010.
L’ancien ministre Farba Senghor, commanditaire de l’agression barbare contre les journaux « L’AS » et « 24 heures Chrono » (le 17 août 2008) a été, lui, soustrait au tribunal correctionnel par le président de la République. On se rappelle que les agresseurs condamnés à une peine ferme de six mois, ont été rapidement graciés par le président de la République. Il s’était montré aussi généreux avec les ignobles assassins du juge Babacar Seye. Concernant « l’élément hors du commun », l’Assemblée nationale a été saisie pour le vote d’une résolution de mise en accusation. Deux ans après, les godillots de cette institution dévaluée font les morts sur le dossier alors que, en un temps record, ils ont voté l’inique Loi »Ezzan » et la résolution de mise en accusation de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, en dansant. Aujourd’hui, le délinquant, Ministre conseilleur auprès du président de la République et numéro deux de fait du Pds, vaque tranquillement à ses occupations politiciennes.
Le président de la République devient donc, de plus en plus, le refuge des délinquants. Il nomme, à ses côtes, des gens peu recommandables aux fonctions importantes de Ministres d’État, comme Awa Ndiaye, la spécialiste des surfacturations. Au lieu d’être le gardien de la Constitution, comme il a eu à le jurer devant le peuple sénégalais, il en est un véritable bourreau : il la viole allègrement et la tripatouille à tout bout de champ. Il est d’ailleurs en accord avec Me Madické Niang, alors Ministre de la Justice qui déclarait sans sourcilier, que « la Constitution est faite pour être tripatouillée ».
Depuis le 1er avril 2000, date de son installation officielle comme troisième président de la République du Sénégal, les scandales succèdent aux scandales, aussi graves les uns que les autres. Des scandales aussi graves et aussi réguliers que les Sénégalais ont malheureusement fini par s’en accommoder. Point n’est besoin de s’y attarder, ils sont sur la place publique ! Et pour graves et pour réguliers qu’ils soient, ils ne sont que la face visible de l’iceberg, les quelques rares arbres qui cachent la vaste forêt dense. En attendant l’audit administratif et financier de l’État libéral qui interviendra tôt ou tard, les forfaits connus et auxquels son nom est étroitement lié, le fragilisent et le rendent très vulnérable. Il fait publiquement l’objet de graves accusations auxquelles il oppose un silence imperturbable. Accusations d’assassinat, de détournements d’importants fonds comme les 7,5 milliards de Taïwan par exemple, d’alimentations de ses fonds spéciaux par des voies détournées, de bradage de nos maigres réserves foncières et de certaines de nos sociétés nationales (Sonacos, Ics), d’implication dans des protocoles nébuleux comme celui de Reubeuss ou de partage de butin dont nul, à part les protagonistes, ne connaît l’origine, de non respect de ses engagements les plus solennels, etc. Par rapport au moins grave de ces forfaits, les maigres emplois dits fictifs de la Mairie de Paris et l’Affaire du Watergate sont une peccadille.
Il n’y a donc aucun doute que, si le Sénégal était une véritable démocratie, avec une justice indépendante et des citoyens informés et conscients de leurs responsabilités, ce président très controversé serait dans le meilleur des cas destitué et, dans le pire, traduit devant la Haute Cour de Justice. L’homme n’a malheureusement cure de tout cela et décide de solliciter nos suffrages pour un troisième mandat, à l’âge de 88 ans . Oui, l’homme aura 88 ans bien sonnés en février 2012. C’est lui-même qui en a fait la révélation à l’ancienne émission « Confidence autour d’un micro » de Radio Sénégal. L’information a été relayée par Nouvel Horizon n° 496 du 11 au 17 novembre 2005, page 8, dans sa rubrique « Quelques lignes ». Cette candidature à 88 an est curieuse – pour paraphraser l’autre – et inédite. Pour le professeur de psychologie Mamadou Mbodj, « c’est d’abord un défi à la raison et au bon sens, avant d’être un défi à la nature ».
Á la question de savoir ce qui différencie Mandela de Robert Mugabe, son collègue l’historien Mamadou Diouf répond :
« Mandela ne croit pas à l’homme providentiel, ni au héros historique malgré sa trajectoire. Il est par contre persuadé que l’homme et la femme sont le produit d’une histoire bornée par l’âge et les limites physiques et intellectuelles (c’est nous qui soulignons). C’est cela la sagesse de Mandela, une sagesse profondément africaine et assurément politique : il est parti du pouvoir parce la vie ne se réduit pas à l’exercice du pouvoir. Il est parti pour vivre l’autre versant de sa vie et il la vit bien et plus complètement encore que sa vie politique. »
Notre Mugabe national n’a malheureusement pas, lui non plus, la sagesse de Mandela. Il ne s’imagine plus une autre vie hors du pouvoir. Et il s’y accroche de toutes ses forces. Le bon sens et le contexte national commanderaient pourtant qu’il fît montre de plus de réalisme. Malgré les 800 milliards qu’elle a engloutis, la Senelec connaît des défaillances sans précédent. En particulier, elle est confrontée, avec la Société africaine de Raffinage (Sar), à un énorme problème de trésorerie. Ces deux sociétés jumelles sont devenues pratiquement insolvables et, partant, ont perdu la confiance des banques et des fournisseurs. En outre, en dépit d’apparences clinquantes, bavardes et trompeuses, les deux secteurs clés que sont l’éducation et la santé sont très mal en point. L’agriculture ne va guère mieux, marquée qu’elle est, malgré des hivernages pluvieux, par des campagnes agricoles et de commercialisation plombées par l’amateurisme, l’improvisation et la politique politicienne.
Donc, si on met sur les plateaux d’une balance d’un côté les graves scandales de sa gouvernance meurtrie, le contexte de pénuries et de vie chère et ses 88 ans et, de l’autre, ses fameuses réalisations, celles-ci ne pèsent pas lourd et l’homme n’a normalement aucune chance d’être réélu. Il le sait parfaitement, mais il lui faut coûte que coûte gagner l’élection de 2012. Dans cette perspective, il a commencé à mettre en place sa stratégie : accumulation d’une immense fortune, rappel au gouvernement de Cheikh Tidiane Sy comme Ministre d’État, Ministre de la Justice, rappel de Me Ousmane Ngom au Ministère de l’Intérieur, nomination de Cheikh Tidiane Diakhaté comme président du Conseil constitutionnel, rattachement de l’Énergie au déjà super ministère de son fils, qu’un journal de la place appelle « conseil des ministres ambulant », etc.
Les deux premiers n’inspirent aucune confiance. Je n’ai pas besoin de rentrer dans les détails : tout le monde sait pourquoi. Je me contenterai seulement de rappeler que l’un fut conseiller spécial du dictateur Mobutu pendant plusieurs années et que l’autre est un repenti qui veut se faire pardonner. Je ne connais pas, par contre, Cheikh Tidiane Diakhaté. Il y a cependant, le concernant, des antécédents qui ne rassurent guère, comme les dossiers des « Chantiers de Thiès », de Mbane, de Ndindi et de Ndoulo. Je ne m’arrêterai point sur « le conseil des ministres ambulant » : ses « prouesses » en matière de gestion sont suffisamment connues de tout le pays.
Bien avant les actes ci-dessus rappelés, Me Wade en a posé d’autres, très significatifs, comme le vote, par ses godillots de la Place Soweto, de deux lois modifiant la Constitution : la prolongation (à l’époque sans raison apparente) du quatrième mandat du président de la République de 5 à 7 ans, alors qu’il entamait à peine le troisième, et la création d’un poste de vice président toujours pas pourvu.
Tout est donc apparemment mis en place pour un hold-up électoral. Et c’est ici que je vous interpelle, messieurs les chefs religieux, mesdames, messieurs les gouverneurs, préfets et sous-préfets, messieurs les hauts gradés des Forces de Sécurité et hauts magistrats ! Ma qualité de citoyen soucieux du devenir de mon pays devrait me le permettre. L’histoire du Sénégal n’a pas commencé avec Me Wade. Ce n’est pas avec lui qu’elle finira. Senghor et Abdou Diouf ont fait leur temps et sont partis. Abdoulaye Wade devra lui aussi partir, dans tous les cas.
Sans doute, faites-vous incontestablement partie de ceux et de celles qui ont le plus bénéficié de son régime corrompu. Par respect pour vos personnes respectives, je ne rentrerai pas dans les détails, même si j’en connais beaucoup. C’est un secret de polichinelle qu’il a été particulièrement généreux avec vous, parfois en piétinant les lois et règlements en vigueur et au détriment des intérêts supérieurs de la Nation. Pourtant, vous n’êtes certainement pas les meilleurs des Sénégalais. Vous n’êtes surtout pas les plus démunis. Vous en êtes même très loin. Ce n’est donc certainement pas pour vos beaux yeux – excusez-moi pour cette expression – qu’il a fait montre à votre endroit d’autant de largesses. C’est peut-être pour vous le moment de renvoyer l’ascenseur, puisque c’est cela qu’il attend de vous.
Vous êtes, en effet, en mesure d’influencer le vote de vos compatriotes dans un sens ou dans un autre : les chefs religieux par la voie du ndigël (consigne de vote), même si celui-ci est de moins en moins suivi ; les autorités administratives par la nomination des présidents et des membres de bureaux de vote ou de commissions de distribution des cartes d’électeur ; les magistrats quand ils exploitent les résultats de l’élection ou sont saisis pour des recours. Même si elles n’influent pas directement dans le processus électoral, les Forces de sécurité pourraient être tentées, en cas hold-up électoral flagrant, de réprimer les manifestations des populations réclamant le respect de leurs suffrages.
Me Wade aime passionnément le pouvoir et n’est pas prêt à le lâcher. Il craint surtout de le quitter et de devoir rendre compte des forfaits de son immonde gouvernance. Toute sa préoccupation, c’est de gagner le scrutin de 2012, et il mettra tout en œuvre pour y arriver. L’opposition sera alors groggy et au bord de l’agonie. Le vieux président comblé, profitera de cette débandade pour nommer son fils vice président. Un ou deux ans après, il se retirera et le laissera achever le long mandat de sept ans. Il aura alors le temps et le loisir, tout en ayant les yeux rivés sur la gouvernance du pays, de faire tranquillement le tour du monde, au frais du contribuable.
Aucun Sénégalais, qui qu’il soit et quelles que soient ses fonctions, ne devrait avoir le droit, pour la sauvegarde de ses seules prébendes, d’aider notre vieux président à réaliser enfin son projet monarchique, scénario catastrophe pour notre pays. En 2012, nous aurons souffert le martyre pendant 12 ans d’infecte gouvernance libérale. Qui osera alors nous en rajouter, surtout par des voies détournées ?
MODY NIANG, e-mail : [email protected]