Combien vaut le bonheur ? Aux États-Unis, au-delà du seuil de 75 000 $, rien ne vous garantit que votre bonheur s’enrichira.
Daniel Kahneman, Prix Nobel d’Économie en 2002, et son collègue, Angus Deaton, de l’université de Princeton, viennent de publier une étude dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, qui porte sur l’évolution du bien-être d’un échantillon de 1.000 Américains, interrogés en 2008 et en 2009 pour l’indice Gallup-Healthways. Les auteurs en viennent à la conclusion que l’appréciation que chacun a sur sa vie, augmente constamment en suivant les revenus. Le bien-être émotionnel également. Cette conclusion se base sur 450.000 réponses. Cependant, il n’y a plus de progrès supplémentaire après un revenu annuel d’environ 75.000 dollars (58.600 euros). Et les auteurs de concluent : « 75.000 dollars est un seuil au-delà duquel des hausses de revenus n’améliorent plus la capacité des individus à faire ce qui compte le plus pour leur bien-être émotionnel, comme de passer du temps avec ceux qui leur sont chers, éviter la douleur et la maladie, et profiter de leurs loisirs ». En d’autres mots, gagner toujours plus d’argent renforce le sentiment d’avoir réussi sa vie mais ne rend pas nécessairement plus heureux. En contrepartie, comme l’indique Le Figaro, la pauvreté fait le malheur : « la faiblesse des revenus exacerbe la douleur émotionnelle qui accompagne des malheurs comme le divorce, ou le fait d’être en mauvaise santé ou seul », écrivent Daniel Kahneman et Angus Deaton.
Avec un des plus importants PIB par habitant du monde (46.400 dollars, selon la CIA), les États-Unis n’arrivent pas à dépasser, en termes d’indice du bonheur, le Danemark et la Nouvelle-Zélande (The United States, which had the highest gross domestic product per capita, can’t claim to be as happy as Denmark and New Zealand). Le Danemark est au 31ième rang mondial en termes de PIB par habitant (36.000 dollars en 2009) et la Nouvelle-Zélande est 51ième rang (à 27.300 dollars). Cette autre étude de la revue américaine Journal of Personality and Social Psychology, dont les conclusions sont dévoilées par le Christian Science Monitor, a été menée auprès de 136.000 personnes dans 132 pays différents, entre 2005 et 2006. Andrew Oswald, professeur en sciences de la psychologie à la Warwick Business School, s’interrogeait en ces termes : « We don’t know why there’s a strong link between income and life satisfaction, but most economists would say it’s because dollars buy stuff and humans like stuff ». Le bonheur est-il devenu un produit de consommation ?
Et aux États-Unis, les nouvelles tombent comme la misère sur le dos des pauvres. Selon le Bureau américain du recensement, le nombre de pauvres a enregistré une hausse record en 2009, sur fond de récession économique. Des démographes, interrogés par Associated Press, prédisent que le taux de pauvreté chez les Américains âgés de 18 à 64 ans devrait dépasser les 12,4%, contre 11,7% auparavant. Du jamais vu depuis au moins 1965. La richesse vaut mieux que la pauvreté, ne serait-ce que pour des raisons financières, disait Woody Allen. À sept semaines des élections de mi-mandat, Barack Obama ne pouvait espérer statistique plus catastrophique, avec un taux de chômage de 9,6% et le fait que « 15% d’Américains sont désormais pauvres », soit un habitant sur sept. Il y aurait donc plus de 45 millions de personnes pauvres dans le pays. Les mauvaises nouvelles ne cessent de s’accumuler sur la table du président américain. Selon Le New York Times, entre 2007 et 2009, le nombre de familles dans les foyers de sans-abris est passé de 131.000 à 170.000. Comme l’indique Michael Luo : « for millions who have lost jobs or faced eviction in the economic downturn, homelessness is perhaps the darkest fear of all ».
Comble de l’ironie, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique que, pour la première fois depuis 15 ans, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde a baissé en 2010, à 925 millions. Pour comparaison, en 2009, le nombre s’élevait à 1 023 million de personnes affamées, ce chiffre reculant de 9,6 % cette année.
La réponse à cette pauvreté galopante, selon Barack Obama, est de faire croître l’économie et de s’assurer qu’il y a assez d’emplois. Le nombre d’Américains très pauvres avait déjà augmenté de 26 % de 2000 à 2005. C’était bien avant la crise. Selon l’Observatoire des inégalités, entre 2000 et 2007, le nombre de pauvres est passé, aux États-Unis, de 31,6 à 37,2 millions et le taux de pauvreté est passé de 11,3 à 12,5 %. Et en 2007, le seuil de « grande pauvreté » s’établissait aux États-Unis à 5080 $US (3.911,91 EUR) par an pour un individu. Selon une étude de McClatchy Newspapers, basée sur le recensement de 2005, près de 16 millions d’Américains vivaient dans « une pauvreté profonde et sévère », avec un revenu de moins de 9.900 dollars par an pour un couple avec deux enfants. Et la récente crise n’a fait qu’accentuer, depuis, ces écarts. En terre d’Amérique, une personne ou une famille est considérée comme pauvre si ses revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté, qui était fixé en 2008 à 11000 dollars annuels pour une personne seule et 22.025 dollars annuels pour une famille de quatre personnes.
Selon une étude de l’Institute for Policy Studies, un groupe de réflexion basé à Washington, et publiée en début de septembre sur CBS News Business, les dirigeants des 50 sociétés américaines qui ont le plus licencié pendant la récession ont touché un salaire significativement plus élevé que les autres. L’étude montre que 72% des sociétés ont supprimé des effectifs alors que leur bénéfice progressait. Le salaire des dirigeants des 50 entreprises qui ont le plus licencié a progressé de 7% en 2009, alors que sur l’ensemble des groupes étudiés, il a reculé de 11%. Les exemples sont révélateurs : le patron du groupe pharmaceutique Schering-Plough a gagné 50 millions de dollars et licencié 16.ooo personnes en 2009. Le patron de Johnson & Johnson a gagné 25,5 millions de dollars et licencé 8.900 personnes. Celui de Citigroup a gagné 5 millions de dollars et licencié 52.175 personnes.
Les États-Unis sont une terre de contrastes. Selon l’Urban Institute Health Policy Center, cité par l’Express, 7,3 millions d’enfants n’ont pas d’assurance maladie sur le territoire américain, alors que cinq millions d’entre eux y auraient droit. Sur ces cinq millions d’enfants, 39% résident dans trois Etats – la Californie, le Texas et la Floride. Plus de la moitié des enfants américains vivent dans ces trois États. En 2007, 47 millions d’Américains sur 305 millions ne bénéficiaient d’aucune couverture sociale, soit 15,8% de la population. Le président Obama déclarait récemment : « Un des changements d’attitude auquel j’aspire ici à Washington et partout aux États-Unis est de voir dans la situation des enfants et des familles sans toit quelque chose d’inacceptable dans un pays aussi riche que le nôtre ». Il lui faudra parcourir une longue route pour réaliser cet objectif.
Il faut relire John Kenneth Galbraith. Il publiait sur la pauvreté un texte percutant dans le numéro de novembre 1985 de Harper’s Magazine. Le Monde diplomatique avait publié à nouveau ce texte en 2005. Il est toujours d’actualité. Galbraith écrivait notamment : […] Plutarque affirmait que « le déséquilibre entre les riches et les pauvres est la plus ancienne et la plus fatale des maladies des républiques ». […] Il faut commencer par la solution proposée par la Bible : les pauvres souffrent en ce bas monde, mais ils seront magnifiquement récompensés dans l’autre. Cette solution admirable permet aux riches de jouir de leur richesse tout en enviant les pauvres pour leur félicité dans l’au-delà. […] Chacun conviendra pourtant qu’il n’existe pas de forme d’oppression plus aiguë, pas de hantise plus continue que celles de l’individu qui n’a plus un sou en poche. On entend beaucoup parler des atteintes à la liberté des plus aisés quand leurs revenus sont diminués par les impôts, mais on n’entend jamais parler de l’extraordinaire augmentation de la liberté des pauvres quand ils ont un peu d’argent à dépenser. Les limitations qu’impose la fiscalité à la liberté des riches sont néanmoins bien peu de chose en regard du surcroît de liberté apporté aux pauvres quand on leur fournit un revenu.
agoravox.fr
L’Afrique créancière du monde développé
Par Jean-Pierre Boris
Les économies africaines apportent plus de ressources à l’économie mondiale qu’elles n’en reçoivent au titre de l’aide internationale. C’est la conclusion explosive d’un rapport que vient de publier le « think tank »américain, Global Financial Integrity.
La somme est plus que rondelette. Au cours des quarante dernières années, les flux financiers illicites partant d’Afrique vers les pays développés ont atteint les 1 600 milliards de dollars. La somme est d’autant plus impressionnante que les experts de GFI excluent de leurs estimations et analyses tout ce qui procède de la corruption, des détournements de fonds, du trafic de drogue ou de la contrefaçon. Ils ne s’intéressent qu’aux recettes tirées de l’économie formelle, officielle et à tout ce qui ressemble à de l’évasion fiscale.
Ces recettes qui échappent aux économies africaines représentent 60 à 65% de l’ensemble des flux illicites. C’est donc énorme. Les mécanismes mis en œuvre et dénoncés sont très simples. Il suffit de surestimer la valeur des importations en Afrique et de sous-estimer celle des exportations.
Le Nigeria principale victime
Tous les pays africains sont concernés par cette gigantesque évasion de capitaux. Ceux d’Afrique sub-saharienne au premier chef avec en particulier le Nigéria, de loin la première victime de ce phénomène. Les responsables ne sont pas seulement les grandes compagnies minières ou pétrolières étrangères qui sont installées dans les pays africains. Même si, par exemple au Mozambique, l’économiste Carlos Castel-Branco dénonce le traitement de faveur accordé à ces multinationales qui ne payent pas de taxes sur les minerais qu’elles exploitent.
Mais les investisseurs africains sont directement mis en cause par les experts du « think tank »américain GFI. Ces investisseurs préfèrent en effet placer leurs avoirs sur les grandes places financières internationales ou dans des banques offshore que dans leurs propres pays. GFI estime ainsi que le total des capitaux et des investissements réalisés dépasse le total de la dette extérieure de la région. L’Afrique investit donc plus à l’étranger qu’elle n’emprunte, faisant du continent le plus pauvre de la planète un créditeur net et non un débiteur.
La responsabilité des gouvernements africains
Le défaut de vigilance des gouvernements africains est aussi pointé du doigt. Car ces flux n’ont fait que grossir au fil des années. Au début des années 70, ils ne représentaient que 2% du Produit National Brut (PNB) de la région. En 1987, c’était 11% du PNB. Vingt ans plus tard, en 2008, les flux commerciaux illicites avaient un peu décliné mais ils représentaient quand même 7% de la richesse annuelle produite en Afrique.
Global Financial Integrity insiste sur le besoin de réformes économiques et de meilleure gouvernance. Sans elles, il sera impossible de maîtriser la situation. Ainsi, alors qu’entre 2000 et 2010, l’Afrique sub-saharienne a enregistré sa période de plus forte croissance économique, les flux illicites ont aussi augmenté plus vite qu’ils ne le faisaient précédemment.
Les auteurs du rapport voient dans cette fuite exorbitante de capitaux l’une des principales raisons à l’inefficacité de l’aide internationale dans la lutte contre la pauvreté en Afrique. « Tant que cette hémorragie ne sera pas endiguée, concluent-ils, l’Afrique ne s’en sortira pas ».
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