Alors que le président Macky Sall multiplie les honneurs à l’endroit de son prédécesseur à la tête de l’Etat, il développe en sourdine une politique de débauchages tous azimuts de figures de la galaxie libérale. Son conseiller Mahmoud Saleh a été reçu par Me Abdoulaye Wade peu avant le départ de ce dernier pour sa retraite de Versailles. Qui trompe qui ?
L’ancien président de la République Abdoulaye Wade est depuis hier matin à Paris. Il est arrivé dans la capitale française par le vol AF 719 d’Air France. Le salon d’honneur, un véhicule jusqu’à la coupée de l’avion et égards dus à son statut d’ancien chef d’Etat lui ont été réservés, selon des témoins présents à l’aéroport LSS de Dakar. Pourtant, dimanche dernier, le jour de la Tabaski, rien ne présageait de l’imminence d’un voyage à l’étranger de Me Wade, établi à Dakar depuis six mois et emmuré dans le silence. Il a pris part à la prière rituelle de l’Aïd à la mosquée « Gouye Mouride » de Dakar, en compagnie de plusieurs proches.
Après la prière, il a échangé des civilités avec le Premier ministre Mouhamed Boun Abdallah Dionne qui dirigeait la délégation gouvernementale. Le toujours secrétaire général national du Pds a prié pour le Sénégal et son successeur, sans s’étendre sur une actualité marquée par le procès de son fils Karim Wade et de ses présumés complices devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite. Selon un de ses proches, « le président Wade ne devrait pas durer à Paris », et son retour est prévu courant octobre.
Le ronronnement du jeu politique, seulement perturbé par les fausses notes de l’Acte 3 de la Décentralisation et son corollaire, un bras de fer entre beaucoup d’élus locaux et le gouvernement à propos des finances locales, cache, apprend-on, un intérêt certain du pouvoir pour « le partage » du Pds ; ou à tout le moins, pour Macky Sall, un contrôle d’une partie de la formation libérale via ses « satellites » qui y sont toujours actifs.
Les échanges de bons procédés se font loin de toute indiscrétion et il est établi que les contacts sont renoués entre le Président Macky Sall et son prédécesseur. A ce sujet, « EnQuête » révèle que Mahmout Saeh, le ministre-conseiller du président de la République en charge des affaires politiques, a longuement été reçu à Fann-Résidence par Me Wade. Ce que confirme l’intéressé, « sans vouloir entrer dans les détails. C’est un ancien président de la République et une visite de courtoisie pour transmettre nos vœux n’est que normal », a précisé Mahmoud Saleh. Il est difficilement concevable que le conseiller politique n°1 du chef de l’Etat entreprenne une telle démarche sans l’aval de son patron.
APAISEMENT
Des deux côtés, on cherche manifestement l’apaisement. Naturellement, les déboires judiciaires de Karim Wade constituent la pierre d’achoppement entre le pouvoir et le principal parti d’opposition pas forcément en ordre de bataille. L’ancienne première dame, Mme Viviane Wade, le rappelait d’ailleurs lundi dernier sur les ondes de Rfi (voir ci-contre).
Au cours de son discret séjour à Dakar, l’ex-président de la République n’avait pas fait de vagues et s’était « interdit » des sorties populaires, sauf pour rendre une visite de courtoisie au khalife général des mourides, Serigne Sidy Mokhtar Mbacké, en séjour à sa résidence dakaroise des Hlm. Les rares interlocuteurs de Me Wade avaient rapporté les volontés du « vieux » en ce qui concerne les perspectives qui s’offrent à court terme au Pds : gel des renouvellements et des opérations de vente de cartes ; report du congrès et, surtout, mise en veilleuse du débat sur le remplacement à la tête du parti du « pape du Sopi », après 40 ans de règne. Et cela fait grincer des dents…
Conscient du boulevard qui s’ouvre devant lui pour faire tomber dans son escarcelle des pans du Pds démobilisés et qui décodent mal le message de leur chef, le président Macky Sall a activé son réseau dormant chez les libéraux, en particulier des déçus de la gestion du parti après la défaite de 2012.
Les cibles du palais sont nombreuses : les fiefs que Macky Sall a contribués à consolider quand il était le numéro deux de fait du régime de l’alternance, la structure des cadres et les « porteurs de voix » qui ont résisté à la mini-razzia de la coalition « Benno Bokk Yaakaar » lors des dernières élections locales. Cet appel du pied émanant du palais va aussi bien vers les autonomistes qui ont créé leur propre parti après la victoire de Macky Sall que vers les caciques restés au cœur de l’appareil sopiste. Le ralliement vendredi dernier à la mouvance « Macky 2012 » de l’ancien ministre libéral Abdoul Fall n’est que le premier d’une longue liste. Sans vouloir donner une prime à la transhumance si décriée, l’Apr ratisse large. Les alliés de la première heure apprécieront.
EnQuête