Le Sénégal vient de s’engager au Mali avec un effectif de 500 hommes, dans le sillage de la France, et aux côtés d’autres pays de la Cédéao. Quelle analyse en faites-vous ?
Une analyse préoccupante et …lucide. Le Président Macky Sall a de bonnes raisons d’envoyer un corps expéditionnaire au Mali. Regardons la carte, comme nous le recommande le Professeur Yves Lacoste ! La Mauritanie et le Mali constituent deux immenses glacis qui nous protègent de cette terre de feu qu’est la bande saharo-sahélienne labourée simultanément par la belligérance du Polisario, l’irrédentisme touareg, le prosélytisme armé d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) etc. Donc si l’Etat-tampon du Mali se désintègre, un large boulevard s’ouvrira de Kidal à Kidira.
Mais à côté des bonnes raisons, il y a deux gros péchés qui suintent de la mise en œuvre de la juste décision. Avant d’aller à la Rts informer, le ministre des Affaires Etrangères devait, en compagnie de son collègue de la Défense, fournir solennellement des informations et des explications aux députés. Parallèlement, le Président de la république devait recevoir en audience, les principaux acteurs de la vie politique (alliés comme opposants) pour évoquer avec eux, cette épreuve extérieure qui s’impose à la nation. Il ne s’agirait pas pour le chef de l’Etat, de chercher un consensus ; mais de consulter et d’imprimer un cachet national à une décision qui est l’apanage, la prérogative exclusive du chef constitutionnel des armées : Macky Sall
Et cela, malgré les audits ou auditions en cours. Puisque Macky Sall a rencontré Ousmane Ngom et Innocence Ntap à Abidjan sous l’égide de l’Internationale libérale, il peut allègrement, au nom des intérêts supérieurs du Sénégal – largement au dessus des affinités doctrinales ou libérales – revoir les libéraux à Dakar. Enfin, la guerre au centre et au nord du Mali n’a rien à voir avec une opération de maintien d’ordre au campus de l’Université. Alors, puisqu’on ne peut pas faire une omelette sans casser des œufs, autant susciter une union sacrée avant l’arrivée des cercueils.
Quel est l’impact géopolitique de cette intervention ?
L’impact et les conséquences sont en corrélation avec les motifs qui fondent puis justifient l’engagement militaire et diplomatique du Sénégal dans le dossier malien. En stabilisant le Mali, l’effort militaire préserve la sous-région des ondes de choc dévastatrices que provoquerait l’avènement à Bamako d’un régime multinational islamique dans lequel on trouverait des ministres pakistanais, algériens, béninois, nigérians, sénégalais, soudanais, mauritaniens. Un tel pouvoir au cœur du Sahel, serait un carrefour de toutes les subversions. Il va sans dire que pareille perspective est cauchemardesque pour les sept pays qui ont des frontières avec le Mali.
Le gouvernement, par la voix du ministre des Affaires Etrangères, a parlé de cellules dormantes d’Aqmi au Sénégal. Qu’en savez-vous ?
J’en sais moins que le ministre Mankeur Ndiaye qui a été notre ambassadeur au Mali, au moment de la tempête. Moi je ne parlerai pas de cellules dormantes, mais de périls potentiels qui n’ont cependant rien à voir avec les clichés éculés que furent les périls rouge et jaune. Je ne vise pas non plus le péril dit vert, c’est-à-dire islamique. Je pense plutôt au précédent dangereux et contagieux que constituerait l’OPA armée sur un pays souverain, par une Légion étrangère, islamique et…messianique.
Au plan opérationnel, est-ce que la guerre ne sera pas difficile pour le contingent sénégalais ?
Il y a des guerres de faible ou de forte intensité, mais il n’existe pas de guerre facile. Cela dit, le contingent sénégalais aura sûrement pour ossature les unités d’élite. Lesquelles constituent la réserve stratégique mise d’ailleurs à la disposition du Président de la république. Il sera commandé par le Colonel Guirane Ndiaye, officier issu du bataillon commando. Jusqu’à une date récente, le Colonel Ndiaye était adjoint au commandant de la zone 5 à Ziguinchor.
Toutefois, le contingent sénégalais sera placé sous l’autorité d’un Etat-major inter-pays commandé par un Général nigérian et un Général ou Colonel nigérien. Et surtout opérera dans le cadre de l’opération française « Serval » qui aiguillonne la manœuvre au Mali.
Tant qu’on se battra dans la région semi-désertique ou semi-boisée de Mopti, la partie sera aisément jouable. Mais l’heure de vérité sonnera dans le triangle formé par Tombouctou, Gao et Kidal. Là-bas, les Jambars seront confrontés à l’immensité, la rocaille et le sable. Sans oublier les 45 degrés à l’ombre, si ombre il y a. Or « Serval » (nom de code l’opération française) au Mali, ce n’est pas « Licorne » en Côte d’Ivoire. Le chat sauvage qu’est serval n’a pas la taille du cheval licorne. Donc l’engagement français sera moins robuste sur un théâtre où Paris ne veut pas s’enliser. D’où la composante nettement aérienne. Les batailles terrestres seront l’affaire des Africains face à des djihadistes armés par le Qatar, et favorisés par l’inaction des armées de la Mauritanie et de l’Algérie.
(Interview réalisée par Mathieu Bacaly in l’OBS du 15-1-2013)