Cinq (5) années sont écoulées depuis le début de la mise en œuvre des politiques et programmes initiés par Macky Sall. Une durée suffisamment valide pour jeter un regard évaluatif sur leurs résultats et effets. Le bilan qui suit est dressé sur la base des statistiques officielles rendues publiques par le Ministère de l’Économie, des Finances et du Plan (MEFP). Il est factuel et repose, donc, sur les chiffres fournis par le Gouvernement lui-même. À la lumière de leur analyse, un constat s’impose : contrairement aux affirmations des tenants du pouvoir, l’économie sénégalaise n’est pas aussi reluisante qu’ils le disent. Ce qui correspond à la réalité vécue, quotidiennement, par 56,5% des ménages sénégalais qui se perçoivent comme étant pauvres (ANSD, 2015) .
Taux de croissance : des chiffres élevés sans grands effets d’entrainement sur l’économie
Pour réaliser le Plan Sénégal Émergent (PSE), un Plan d’Actions prioritaires (PAP) quinquennal (2014-2018) est mis en œuvre à travers l’exécution de projets et de programmes de développement visant à réunir les conditions préalables ou les fondements de l’émergence. À cet égard, parmi les objectifs visés figure la réalisation d’un taux de croissance annuel moyen de 7,1% sur la période 2014-2018, soit un taux de croissance annuel de 4,9% en 2014, 6,7% en 2015, 7,6% en 2016, 8% en 2017 et 8,3% en 2018.
Sur la foi des chiffres rendus disponibles par la Direction de la Prévision et des Études Économiques (DPEE) du MEFP, le Sénégal a réalisé, au plan de la croissance économique, des taux de 4,7% en 2014, 5,4% en 2015 et 6,5% en 2016. En 2017, selon Amadou Ba, Ministre de l’Économie, des Finances et du Plan lors de la concertation avec le secteur privé, «le Sénégal compte atteindre un taux de croissance de 7% en 2017». Cela veut dire, clairement, que le Gouvernement de Macky Sall n’a pas pu atteindre les objectifs qu’il s’était lui-même fixés. En effet, la comparaison entre les objectifs et les résultats permettent de constater des écarts négatifs (objectifs non atteints) de 0,2% en 2014, 1,3% en 2015 et 1,1% en 2016. Ces écarts négatifs se poursuivront en 2017 et s’établiraient à 1%. Ce qui signifie que les différents Gouvernements successifs de Macky Sall n’ont pas été en mesure de réaliser des taux de croissance robustes et suffisamment élevés pour favoriser les conditions préalables ou les fondements de l’émergence. Cette situation de non performance pourrait compromettre les chances de réussite du PSE.
Le Gouvernement préfère mettre l’accent sur les niveaux relativement élevés des taux de croissance réalisés, même s’ils sont en deçà des prévisions du PSE : 5,4% en 2015 et 6,5% en 2016. Ce qui appelle deux (2) remarques principales. Premièrement, le Gouvernement Macky Sall omet de dire, qu’à plusieurs reprises, les gouvernements antérieurs avaient dépassé la barre des 6% de taux de croissance. Ce fût le cas, par exemple, en 1998-1999 et en 2003-2004. Deuxièmement, que signifie un taux de croissance élevée dans un pays sous-développé comme le Sénégal dont des pans entiers de son économie reposent sur le secteur informel ? Pas grand-chose ! En effet, dans les pays développés, la loi d’Okun (du nom de son auteur Arthur Okun) permet de prédire l’impact de la croissance économique sur le niveau de chômage : un niveau x de taux de croissance engendre la création d’un nombre y d’emplois. L’établissement d’une telle relation linéaire entre la croissance et le chômage s’avère inopérant dans une économie dominée par le secteur informel comme celle du Sénégal. Ce qui fait qu’en dépit des taux de croissance élevés, le chômage continue de prendre de l’ampleur surtout avec l’arrivée sur le marché de l’emploi, d’au moins, 100 000 jeunes par année.
Augmentation rapide de la dette publique : un endettement pas toujours justifié
La dette publique du Sénégal s’établit à 595 milliards de francs CFA selon la loi de finances rectificative pour l’année 2016. Elle représente 60% de l’encours de la dette intérieure et extérieure rapporté au PIB nominal. Bien que ce niveau d’endettement soit très élevé, le ministre Amadou Ba le minimise, car trouvant qu’il « est bien soutenable » parce que le pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité entre les États membres de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) impose un ratio de l’encours de la dette intérieure et extérieure rapporté au PIB nominal de 70% au maximum. Cette façon de voir les choses est simpliste, voire irresponsable. Elle essaie d’occulter le rythme effréné d’endettement auquel le Sénégal est soumis depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir. En effet, en 2013, la dette publique sénégalaise était de 440 milliards FCFA avant de passer à 523 milliards en 2014, puis à 598 milliards en 2015. Par conséquent, de 2013 à 2016, la dette publique du Sénégal est passée de 440 à 595 milliards FCFA. Soit une progression, en quatre (4) ans seulement, de 155 milliards FCFA en valeur absolue et de plus de 35%, en valeur relative. Des projections simples, basées sur des lois mathématiques, autorisent à penser que le Sénégal pourrait dépasser, à court et moyen termes, le critère de convergence imposé par l’UEMOA.
Le plus grave dans tout cela est l’augmentation, sans cesse, des sommes consacrées au paiement des intérêts et commissions sur la dette publique. En effet, dans la loi des finances 2016, les intérêts et commissions sur la dette publique (hors PPTE/IADM) représentaient plus de 164 milliards FCFA. Soit une hausse de 11,52 milliards FCFA (+15,54%) comparativement à l’année 2015. Une gestion plus sobre, plus saine, plus vertueuse et plus efficace aurait sans doute permis d’éviter tout ce gâchis à travers des choix d’investissement plus judicieux et pertinents. Le financement du Plan Sénégal Émergent (PSE) ne justifie pas tout. Beaucoup de dépenses somptuaires et non structurantes ont été faites par Macky Sall et son gouvernement comme, par exemple, la construction du Centre International de Conférences Abdou Diouf (CICAD) à Diamniadio d’un coût de 60 milliards FCFA.
Les dépenses de personnel : une évolution non maîtrisée des effectifs
Selon la loi de finances rectificative pour l’année 2016, les dépenses de personnel s’établissaient à 572 milliards de FCFA. La seconde loi de Finances Rectificative pour l’année 2013 avait arrêté les traitements et salaires à 477 milliards de francs CFA contre 450 milliards en 2012. Par conséquent, depuis que Macky Sall est au pouvoir, les dépenses de personnel ont augmenté de 450 milliards, en 2012, à 572 milliards, en 2016. Soit une augmentation de 122 milliards en valeur absolue et de 27% en valeur relative. Ce qui est énorme ! Avec ce niveau élevé des dépenses de personnel, le ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales s’établit à 31,5%, soit moins des 35% fixé par le pacte de convergence de l’UEMOA. Pour arriver au respect de ce critère de convergence, le MEFP a procédé à des tripatouillages qui lui ont permis de reclasser, hors masse salariale, d’autres charges de personnel d’un montant supérieur à 17 milliards de FCFA.
Le MEFP justifie cette importante hausse des dépenses de personnel notamment par « l’impact du recrutement de nouveaux agents, par la prise en charge des glissements annuels pour avancement ainsi que par les intégrations, dans la fonction publique, des contractuels de l’éducation ». Ces explications, quoique vraies, sont cependant insuffisantes. En effet, l’un des facteurs essentiels ayant conduit à cette situation est lié à l’évolution non maîtrisée des effectifs de la fonction publique. Cette dernière découle d’une absence de vision et de l’inexistence d’une gestion stratégique des ressources humaines, mais aussi au clientélisme politique. En effet, au mois d’avril 2012, lorsque Macky Sall arrivait au pouvoir, la fonction publique sénégalaise comptait exactement 92 230 agents selon les chiffres du tableau de bord (TBO) de l’économie sénégalaise (juillet 2016). Au 31 juillet 2016, la fonction publique dénombrait 115 813 agents selon toujours les mêmes sources. Soit une augmentation de plus de 25% en moins de 5 ans ! Cela dénote d’une gestion des ressources humaines fondée sur le pilotage à vue, sans planification, laquelle ne permet pas d’aligner les besoins en ressources humaines sur les objectifs stratégiques de l’Administration. Ce qui fait qu’on se retrouve avec des effectifs pléthoriques à la productivité du travail quasi nulle.
L’échec de la gestion des ressources humaines au sein de l’Administration publique peut être illustrée par la décision de Macky Sall de confier l’exécution technique du Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC) au Programme des nations unies pour le développement (PNUD). En prenant cette décision, Macky Sall veut être sûr d’obtenir des résultats. Ce qui revient à reconnaître, implicitement, que toutes les ressources humaines spécialisées en poste dans les directions opérationnelles des différents ministères (aménagement du territoire, génie rural, hydraulique, etc.) ne servent à rien !
Un pays pauvre, des populations toujours plus pauvres
Macky Sall a réussi une prouesse : le recul du produit intérieur brut (PIB) par habitant qui est passé de 1079 dollars en 2014 à 934 dollars en 2015 avec comme résultat immédiat l’entrée fracassante du Sénégal dans le club non enviable et non envié des 25 pays les plus pauvres du monde d’après un classement opéré par le Fonds monétaire international (FMI). Le classement effectué, en 2015, par le Programme des nations unies pour le développement (PNUD) en fonction de l’indice du développement humain (IDH) plaçait le Sénégal à la 170e place sur 188 pays.
Les sénégalais ne sont pas en reste. Ils se considèrent de plus en pauvres. En effet, les résultats de l’étude sur la perception du bien être des ménages sénégalais réalisée par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) publiés en 2015, révèlent que 56,5% des ménages sénégalais s’estiment pauvres, parmi lesquels 45,7% se déclarent très pauvres. Cette pauvreté subjective élevée est plus marquée dans le milieu rural où plus des deux tiers des ménages (69,0%) se déclarent pauvres dont 53,2% se voient comme très pauvres (ANSD, 2015). Cela prouve, si besoin est, que les autoglorifications et autosatisfactions de Macky Sall et de son gouvernement, pour avoir réalisé des taux de croissance élevés, n’ont aucune prise avec les réalités dans lesquelles vivent quotidiennement leurs compatriotes.
Création de 500 000 emplois : de l’impossibilité au waax waaxet
Avant de terminer, quelques mots sur les promesses de Macky Sall de créer 500 000 emplois au cours de son mandat. J’avais prédit, depuis 2012, que cet objectif ne sera pas atteint, non pas parce que c’est impossible, mais surtout parce que Macky Sall n’a pas initié les réformes en profondeur qu’exigeaient la situation et les enjeux. Il ne s’est pas entouré, non plus, des personnes les plus qualifiées pour cela. Le fait de revenir sur cet objectif constitue un aveu d’échec incontestable. Pire, une reconnaissance de son incompétence. En effet, à l’occasion de l’ouverture de la 16e édition du forum du premier emploi, le ministre de la jeunesse Mame Mbaye Niang a affirmé que « le défi n’est plus de créer 500 000 emplois », mais de faire en sorte que les jeunes trouvent une qualification, car 45% parmi eux n’en ont pas. Il semblait découvrir, subitement, une réalité soulignée et ressassée par les nombreuses études faites antérieurement, pourtant reprises dans le document du PSE qu’il est censé maîtriser !
Ibrahima Sadikh NDour
Bravo et merci, M. Ndour, pour cette démonstration rigoureuse et implacable !