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Brève histoire de l’enseignement du français au Sénégal

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Les Etats-nations d’Europe se sont formés sur la base de l’unité linguistique : Une langue, une Nation. C’est le cas, avec des fortunes diverses, de l’Italie, de l’Angleterre, de la Belgique, de l’Allemagne, dans une moindre mesure de l’Espagne, etc.
En France, l’école fut avec le service militaire obligatoire, le principal outil de cette unification linguistique : Etre Français, c’est parler français. L’Ecole publique, l’Ecole de la troisième République, celle de Jules Ferry et des lois scolaires de 1882, -suivant en cela la Révolution française (le rapport Condorcet)- mena une lutte sans merci contre les argots, les patois, les parlers locaux, pour dispenser le seul dialecte dans lequel on confondit depuis la Nation française, celui de l’Ile de France.
Combien de temps dura cette mission ? Ce qu’on peut dire, en tout cas, c’est qu’après la deuxième guerre mondiale, on ne sentit plus d’inquiétude de ce côté -là. L’unité de la France n’était plus menacée. On avait récupéré l’Alsace et la Lorraine et on parlait français du Languedoc à la Picardie. On pouvait donc passer à autre chose, s’attaquer à d’autres problèmes, changer de perspectives. C’est ainsi qu’il faut comprendre, je crois, les réformes qui se succédèrent : Le plan D’Alger (sous de Gaulle après la Libération), la commission Lange­vin-Wallon, la réforme Berthoin (1968, qui porta la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans), la réforme Haby (1973-80) etc. L’attention portée à la langue, le culte qui lui était voué, s’estompât quelque peu, entraînant un certain recul de l’enseignement du latin et du grec et une ouverture de plus en plus grande vers les sciences et les techniques. La rentrée des classes de cette année 2014 s’est faite en France sous le signe du numérique (information Internet).
L’école sénégalaise, elle, est fille de l’école coloniale. Celle-ci était au service de la colonisation, de la politique coloniale : (Une conquête morale, Georges Hardy). Or, la politique coloniale de la France était l’assimilation : «Arrimer le colonisé au char colonial.» L’école coloniale avait donc pour but de faire aimer la France, sa langue, sa culture : sa musique, sa peinture, sa danse, etc., et on sait que sur ce plan elle n’a pas totalement échoué, comme en témoigne une œuvre comme celle du martiniquais Franz Fanon : Portrait du colonisé et Peau noire, masque blanc au titre plus que suggestif, la situation en Afrique n’était pas fondamentalement différente de celle de la Martinique.
L’école coloniale était donc extravertie. L’école après indépendance au contraire se voulait nationale. La première tâche qu’elle se donna, la première mission qu’elle se fixa, fut la lutte contre l’aliénation culturelle et la promotion de notre identité culturelle.
Le principal moyen retenu fut la littérature, puisqu’il n’y a pas de doute que toute littérature exprime une culture, celle du Peuple qui l’a produite. Certes, on aurait pu penser que la littérature la plus indiquée était notre littérature traditionnelle, la littérature orale ou celle écrite dans nos langues indigènes avec des caractères arabes. Elle existe. Mais comme on ne pouvait renoncer au français (pour diverses raisons), c’est la littérature africaine d’expression française qui fut retenue. Son enseignement devait permettre d’immerger, d’imprégner, d’enraciner notre jeunesse dans nos valeurs, avant toute ouverture à d’autres cultures. La gageure de l’école nationale, de l’école après indépendance fut donc d’utiliser le français, qui fut l’instrument de notre aliénation, pour notre désaliénation. En un mot, il s’agissait de retourner contre l’ennemi ses propres armes.
Cette option reposait, c’est le moins qu’on puisse dire, sur deux postulats des plus optimistes. Le premier était que les écrivains africains, parce qu’Africains, vivraient leur culture traditionnelle et l’exprimeraient dans leurs œuvres, malgré eux, à leur corps défendant, et sous-entendu, sans altération. Leur culture occidentale n’y aurait pas d’effet, de même le fait que s’il s’agissait d’œuvres littéraires, c’est-à-dire destinées d’abord à émouvoir, faire rire ou pleurer. Ces œuvres littéraires seraient d’authentiques documents d’anthropologie (culturelle ou sociale).
Le deuxième était que la langue qu’ils utilisent ne serait pas non plus un obstacle à l’expression de cette culture, ne s’y opposerait pas. Elle serait même à certains égards, docile à cette expression. Traditore ne rimerait pas ici avec trahitore. Nos auteurs transcriraient jusqu’aux modes d’énonciation et styles de nos littératures traditionnelles. On parlerait wolof en français, (Birago Diop dans les Contes d’Amadou Koumba) bambara en français (Seydou Badian avec notamment Kany) ou surtout malinké en français (Kourouma, Les soleils des indépendances ou Dieu n’est pas obligé). La langue serait devenue transparente à la pensée.
Les années 70 furent la décennie de la revendication nationaliste, linguistique notamment, comme en témoigne cette déclaration officielle :
«Nous pensons qu’aussi longtemps que nous, Sénégalais, continuerons à apprendre à nos enfants une langue étrangère quelle qu’elle soit, sans leur enseigner au préalable leurs langues maternelles, notre Peuple restera aliéné.»1 Décret no 72861 du 13 juillet 1972 portant organisation de l’enseignement primaire, les considérations générales.
Déclaration frémissante d’émotion, mais qui au fond ne veut rien dire, n’a pas de sens.
Les préoccupations semblent avoir évolué. Les Etats généraux de l’éducation et de la formation de 1980 s’étaient plutôt tournés vers les questions de justice sociale. L’orientation qui y fut développée fut (même si elle resta ans lendemain), celle d’une école démocratique et populaire, qui offre à tous les mêmes chances de réussite sociale et personnelle. Ensuite est venue l’Ecole Nouvelle, et enfin les versions édulcorées des modèles proposées par les institutions internationales, Unesco et Banque mondiale en particulier : Education pour tous, Education de base, Ecole de base,… L’école nationale aurait-elle atteint son but ? Quelle y aurait été la part de l’enseignement de la littérature africaine d’expression française dans cette récupération et restauration de notre identité et personnalité culturelle ? Quelle qu’ait pu être cette part, elle aura été plus que chèrement payée.
L’enseignement de la littérature africaine d’expression française est, plus que les déficits matériels et humains, le principal responsable des dysfonctionnements (pour rester branché), que connaît notre enseignement aujourd’hui. Il a entraîné la baisse du niveau des élèves et des maîtres ou des maîtres et des élèves (c’est selon) qui a, à son tour, entraîné la baisse du niveau général de notre enseignement.
En effet, la priorité, la primauté, l’exclusivité dans certains cas qui lui a été donnée nous a enfermés dans un ghetto. Elle nous a coupés de tout le legs et de tout l’héritage littéraire mondial. Dans l’univers littéraire aussi il y a des héritages et des testaments (Kunderaa 2 : Les testaments trahis)? On ne peut aujourd’hui écrire un roman d’une certaine envergure si on n’a pas lu Balzac, Flaubert ou Malraux. Que vaut un littéraire (c’est le jargon universitaire) qui ignorerait tout du théâtre classique, qui ne saurait rien du roman russe de la fin du 19è siècle ou du roman américain du début du vingtième siècle ? Mériterait-il seulement le titre de littéraire.
De même, en traitant ces œuvres comme des documents d’anthropologie, on a également dévoyé la méthode d’approche de ces textes. L’enquête ethnographique (piètre enquête ethnographique) s’est substituée à l’analyse littéraire, linguistique, stylistique et grammaticale. Comment voulez-vous dans ces conditions que le niveau en français des maîtres, puis des élèves, ne baisse pas ?
En s’enfermant dans cette littérature on s’enferme aussi dans sa langue, dans son français. On renonce en particulier au français que des générations et des siècles d’orfèvres on contribué à bâtir pour paraphraser Senghor.
Mais en échange on ne consomme pas la seule rupture qui importerait, celle d’avec le français littéraire, le français culturel : Le français- civilisation. Arrêtons de nous complexer. Nous avons encore besoin du français. Certes le français a été, sinon est, encore aujourd’hui, la langue de notre domination. Il reste qu’il demeure une des grandes langues de culture de notre époque. La seule vraie fonction du français aujourd’hui pour nous, celle imprescriptible, est celle de langue de culture3, c’est-à-dire de moyen d’accès, de diffusion et de participation à la science et la culture modernes, à la science et à la culture en train de se faire. On peut revenir sur toutes les autres fonctions qu’il occupe chez nous, même celle de langue officielle. Pour ce qui est de la langue de culture, on ne peut qu’en changer, passer à l’anglais par exemple. Qu’on cesse de nous tympaniser. Cessons de nous voiler la face et que cessent aussi les fanfaronnades. L’introduction des langues nationales dans l’enseignement élémentaire ne ferait que précipiter le sauve-qui-peut vers les écoles privées. Le pouvoir n’a pas pu imposer les langues nationales au préscolaire où elles étaient le plus indiqué, comment le pourra-t-il pour l’élémentaire ?
On n’apprend pas dans n’importe quelle langue. On apprend dans les langues de culture. Nos langues ne peuvent pas pour le moment servir de langue d’enseignement parce qu’elles ne sont pas parvenues à la fonction de langue de culture4. Toute langue n’est pas langue de culture. Le grec et le latin l’ont été ensemble dans l’antiquité, le latin l’a été seul jusqu’au seuil des temps modernes avec l’expansion du christianisme. L’arabe l’a été dans la période médiévale dans l’empire ottoman et chez nous dans la boucle du Niger. On apprend dans les langues de culture. Apprendre dans sa langue a toujours été une exception dans le passé. La règle générale était plutôt d’apprendre dans une langue étrangère. Le français auquel il faut renoncer, c’est le français culturel, le français-civilisation5, le français de Senghor, voire celui d’une certaine francophonie, pas le français de la science et de la pensée modernes. Ceci n’exclut pas la revalorisation de nos langues nationales (qui d’ailleurs ne sont nationales que de nom), revalorisation qui n’incombe pas aux enseignants. Qu’on cesse de nous culpabiliser.

Alioune SALL
Inspecteur de l’enseignement en retraite,
[email protected]
1 Décret no 72861 du 13 juillet 1972 portant organisation de l’enseignement primaire, les considérations générales).
2 Ecrivain et critique tchèque
3 Sur la notion et l’histoire de la langue de culture, voir la Collection Eriac, publications de l’équipe de recherche interdisciplinaire sur les aires culturelles de l’université de Rouen et du Havre, notamment langues dominantes, langues dominées (textes réunis par Laurence Villard, avec la collaboration de Nicole Ballier 2008.)
4 De la langue civilisation à la langue outil texte non publié du professeur Bassirou Dieng de la faculté de lettres de l’université Cheikh Anta Diop.

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