En quelques semaines, un virus d’un dix-millième de millimètre de diamètre a transformé le monde. Il a fermé des frontières, confiné des populations, estompé les distinctions habituelles entre riches et pauvres, campagne et ville par son aspect niveleur.
Devant l’immense précarité des choses, il n’est pas trop tôt pour réfléchir à l’après-crise.
Face à cette pandémie, il demeure urgent qu’une réflexion globale débouche sur un projet de société plus humaine et plus durable pour l’avenir prochain de l’humanité.
En Afrique, les dirigeants ont le choix des moyens. Ils ont la maîtrise des décisions. Leurs peuples serrent les rangs pour leur permettre de s’imprégner de cette responsabilité particu- lière. Il ne s’agit pas de se donner le bon rôle. Pensons tout simplement que ce qui est into- lérant pour l’unité nationale de chaque pays, c’est que tout part dans tous les sens.
La sortie d’une catastrophe ( guerre, crise économique ou financière) dépend en grande partie de la façon dont elle a été ou non pensée et préparée.
Mais pour pouvoir se projeter vers un futur, il faut des acteurs qui soient capables de transfor- mer la situation et pas seulement de s’y adapter sur un mode défensif.
Des personnes ayant une vision de ce qui pourraient et devraient être les nouvelles formes de la vie collective. Elles seraient capables d’entraîner derrière elles l’opinion, et donc, de porter des attentes, des espoirs, des convictions.
Il faut, autrement dit, des acteurs et des pensées politiques préparant l’avenir. Sans attendre et en réfléchissant aux moyens d’avoir une vision globale et sur des propositions plus précises, il faut analyser les faiblesses, les défaillances du continent.
Et, revoilà en ces temps funestes où les horizons se dérobent devant ce mot : Covid-19, faisant abstraction de tout et agissant en éternels dominateurs, un médecin et un chercheur balancent avec désinvolture sur une chaine de télévision française des propos abjects.
« tester de nouveaux traitements contre le coronavirus en Afrique où il n’y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation. »
On s’évade de la normalité. Pour mépriser un peuple, quelqu’un, on n’est pas condamné à perdre toute décence.
L’intelligence n’est-elle pas collective ? Ou faut-il comprendre qu’on ne peut pas construire ensemble et partager ensemble parce que nos valeurs ne sont pas communes ?
Cette sagesse d’Edmond About, académicien français, sonne toujours comme un rappel: « nous sommes les héritiers de ceux qui sont morts, les associés de ceux qui vivent et la providence de ceux qui naîtront. »
Des propos qui témoignent de l’intérêt vital de la solidarité internationale et s’agissant de surcroît de la protection de la planète.
L’Histoire est un cycle (et pas une nostalgie). Mais un cycle ouvert depuis que l’Humanité a appris à être bipède en Afrique.
La méthode cherche à traiter ces africains comme des choses puisqu’il s’agit de disposer d’eux, de les ravaler à la condition d’instrument, quelle que soit leur valeur, leur compétence.
Mais les Africains dont l’intérêt et le prestige ont été suffisamment abîmés ne sont plus là pour recevoir l’action, la subir sans en être en tous points, les collaborateurs.
Fort heureusement, des voix n’ont pas perdu leur capacité d’indignation devant la violence de ces dérives ordurières de la liberté d’expression qui nous envahit de jour en jour. Des paroles fortes ont été prononcées pour dire : « trop, c’est trop. »
En définitive, il appartient à l’Afrique de trouver sa place et son expression dans le monde.
Elle doit savoir ce qu’elle apporte au monde. Et ce que le monde attend d’elle.
Sortir l’opinion internationale de son lieu naturel, la faire aller d’un point qu’elle ne serait jamais allée d’elle-même, lui retirer toute évidence pour la remplacer par d’autres évidences, tel est le déplacement historique à opérer avec détermination et sans le moindre complexe
Aujourd’hui, nous sommes dans un monde totalement différent où les crises se déclenchent plus vite, sont plus fréquentes et sont plus sérieuses : crises financière, énergétique, alimentai re, et qui sait demain, numérique.
Au début de ce XXIème siècle, le monde a été confronté à deux crises majeures: la crise financière de 2008 et la crise sanitaire actuelle.
Elles n’ont rien à voir avec la Grande Dépression des années1930.Car c’est le résultat de la mondialisation. Tout s’accélère, l’évolution des prix, de la demande, les défis environnemen- taux ….
D’autre part, la pandémie Covid-19 est la crise des retournements. Elle nous enseigne l’exis-
tence de l’extension la plus spectaculaire du pouvoir de l’Etat dans le monde.
Face à l’urgence, les usages cohérents sont jetés aux orties puisque les deux vannes, budgétai- re et monétaire, viennent d’être ouvertes tant au Nord qu’au Sud, une fois encore en grand. C’est la fin des dogmes pour la maîtrise des dépenses publiques.
Le coronavirus est aussi un tournant géopolitique avec des conséquences diplomatiques, politiques et sociales importantes. La crise aiguise la concurrence entre les modèles et attise les tentatives de récupération politique.
La Chine et les Etats-Unis jouent leur position de leader mondial. Les enjeux sont colossaux. Pékin se présente comme le pompier du monde, en fournissant masques et matériel médical, un rôle de puissance secourable, qui était jusqu’ici celui des Américains.
L’Europe donne le sentiment d’un continent vieilli et désindustrialisé. La Russie et Cuba (fort de son expérience dans le domaine de la coopération médicale) développent leur stratégie d’influence.
Manifestement, la crise sanitaire révèle un certain nombre de carences africaines :
-les faiblesses de l’organisation hospitalière et sanitaire : le défi des infrastructures est im- mense : construction d’hôpitaux modernes, dotations en équipement médical et formation des ressources humaines.
La tragédie qui a traversé les frontières a fait connaître des médecins et scientifiques africains de qualité.
Il n’en demeure pas moins que l’exemple de la Corée du Sud nous interpelle furieusement. En quelques décennies, elle a réalisé un bond considérable en matière de santé. Son niveau de développement était pourtant comparable à beaucoup de pays d’Afrique.
Imaginez des Etats du continent encore à la course aux politiques de santé primaire
L’impact social du programme d’ajustement structurel de la fin des années 1970 qui a déman- telé les secteurs de la santé et de l’éducation n’explique pas tout le retard enregistré dans ce
ce domaine.
-la délégation de sa nourriture: l’Afrique est loin d’atteindre l’auto- suffisance alimentaire.
Il suffit de voir ses bateaux étrangers parcourant le monde pour venir déverser leurs marchan- dises dans les ports.
Pourtant elle dispose des plus grandes terres arables du monde pour pouvoir produire (riz, mil, légumes, fruits, viande et lait…) et favoriser un patriotisme alimentaire.
Par l’action et l’anticipation, les Africains ont les moyens de cette ambition.
Toutefois, l’Afrique doit éviter l’accaparement de ses terres agricoles par les grandes sociétés internationales et préserver le modèle d’exploitation familiale pour espérer assurer sa sécurité alimentaire.
-l’absence de transformation de ses matières premières: l’importance massive des biens et services doit être remplacée par la production et la transformation au niveau local
Pour s’industrialiser et peser sur le commerce international, l’Afrique doit impérativement exploiter et transformer elle-même ses matières premières.
-la place prépondérante du secteur informel: elle met aujourd’hui en lumière la quasi-impossibilité d’un confinement général des populations en Afrique. Le secteur informel est une économie d’immédiateté : les acteurs vivent au jour le jour. Il reste une stratégie de survie.
Les Etats pourraient mettre en place une politique d’accompagnement par exemple le micro-crédit, la micro-assurance pour promouvoir la productivité du secteur et assurer des conditions de travail décentes aux intéressés.
La crise sanitaire a changé le monde qui est passé d’une société internationale classique homogène à une société internationale contemporaine hétérogène. Ce décentrement mondial est une chance pour l’Afrique si elle parvient à bâtir une souveraineté africaine.
La démarche exige un sursaut d’audace, un élan de générosité et un esprit de dépassement.
En tout état de cause, ce continent est condamné à se réaliser que ce soit pas à pas ou au moyen de marchandages diplomatiques. Il reste à enflammer une opinion africaine.
Mamadou DIALLO
Avocat au Barreau de Paris
docteur en droit