Comme s’ils s’étaient donné le mot, l’essentiel des constitutionnalistes qui ont eu à se prononcer sur le sujet ont rejeté la possibilité d’un troisième mandat pour Wade. De Pape Demba Sy à Elhadj Mbodj, en passant par Ismaïla Madior Fall et Mounirou Sy, tous jugent une candidature de Wade anticonstitutionnelle en l’état actuel de notre droit positif.
L’on n’est pas loin d’épuiser la liste des constitutionnalistes sénégalais. Et aucune des interprétations de ces éminents juristes, qui se sont jusque-là prononcés, n’est favorable à la candidature de Wade en 2012. La dernière, en date, est celle du constitutionnaliste Ismaïla Madior Fall. A la question de savoir si le président en fonction peut, au regard de la Constitution, notamment en ses articles 27 et 104, être candidat, le Pr Fall, invité de l’émission opinion de Walf Tv, répond : ‘A première vue, on peut bien considérer qu’il peut être candidat d’après un principe élémentaire du droit universel, le principe de non rétroactivité des lois’. Ce principe veut que des lois soient destinées pour l’avenir. Alors Abdoulaye Wade ayant été élu en 2000 sous le régime de la Constitution de 1963 peut bien être candidat en 2012 selon le constitutionnaliste. Cela parce que, explique-t-il, ‘on considère que ce mandat de 2000/2007 ne doit pas faire partie du décompte car la Constitution de 2001 ne saurait rétroagir’.
Seulement cette explication paraît ‘très simpliste’ aux yeux du Pr Fall. ‘Elle (l’explication) ne me convainc pas pour plusieurs raisons’, fait-il savoir. Et le constitutionnaliste renvoie à l’histoire politique du Sénégal caractérisée par une instabilité de la durée du mandat présidentiel. Une instabilité qui, selon lui, a inspiré le constituant à limiter définitivement le mandat à 5 ans. ‘Il y a des choses qu’il ne faut pas oublier dans l’histoire du Sénégal. Le mandat du président de la République a été toujours instable. Au début c’était 7ans ; il a été ramené à 4 ans en 1963. Puis à 5 ans en 1970 avant d’être ramené à 7 en 1991. En 2001, la durée du mandat passe de 7 à 5 ans et récemment en 2008, le chef de l’Etat l’a, une nouvelle fois, ramené à 7ans’, rappelle le Pr Fall. Selon lui, cette instabilité est le fait de politiques qui, dans l’opposition, sont favorables à de courts mandats et qui, une fois au pouvoir allongent la durée du mandat. Ainsi, la première décision arrêtée par la Constitution de janvier 2001, est de dire : ‘Pour la postérité, stabilisons définitivement le mandat à 5 ans’, commente le spécialiste. Même constat concernant la limitation du mandat présidentiel à deux. ‘La limitation du mandat à deux, a été introduite en 1970 pour la première fois avant d’être supprimée en 1976, puis réintroduite en 1991 et supprimée en 1998 avant d’être réintroduite à nouveau en 2001’, renseigne Ismaïla Madior Fall. C’est pourquoi, dit-il, ‘l’article 27 de la Constitution a dit, pour qu’on ne joue plus avec le pouvoir, nous allons définitivement inscrire dans le marbre constitutionnel que cette disposition ne peut désormais être changée que par voie référendaire’.
Dans son commentaire, le Constitutionnaliste rappelle que Léopold Sédar Senghor a fait 20 ans au pouvoir tout comme son successeur Abdou Diouf. Or, fait-il remarquer, ‘quand on dure au pouvoir, on a l’impression que le pouvoir nous appartient. C’est pourquoi les démocraties s’emploient à limiter la durée du pouvoir’. Selon lui, l’objectif visé par la Constitution de 2001 était de faire en sorte que personne ne puisse plus faire 20 ans. Alors, estime Ismaïla Madior Fall, ‘si on permet à Wade de faire un autre mandat, cela lui fera 19 ans au pouvoir. Donc, la limitation que vise la Constitution n’aura servi à rien’.
Bien avant le Pr Fall, Pape Demba Sy, un des rédacteurs de la Charte fondamentale a soutenu que la Constitution de 2001 ne permet pas au président Wade de se présenter pour une troisième fois en 2012. Mounirou Sy qui a également participé à la rédaction de cette même Constitution indique qu’elle n’autorise pas une troisième candidature du président Wade. Idem pour le Pr El hadj Mbodj, selon qui, une Constitution se lit et que ce n’est pas seulement une traduction littérale d’un texte. Sous ce rapport, le Pr Mbodj rappelle ‘qu’il y a un esprit qui sous-tendait la Constitution de 2001, à savoir la limitation du mandat du président de la République (…)’. En attendant que le Conseil Constitutionnel tranche le débat, l’étau des constitutionnalistes semble se resserrer autour de Wade.
Yakhya MASSALY
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