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« Opus non gratum »

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« Opus non gratum »

Des Sénégalais vivant au Sénégal, se complaisent à écrire et à publier des livres qui font l’éloge du Président de la République , qui expriment des points de vue favorables à l’action de son gouvernement et, dans certains cas, tracent une peinture élogieuse de sa famille et de son entourage.

C’est leur droit.

Leurs livres sont édités quelquefois avec des moyens puisés dans le budget national, exposés et vendus dans les librairies de la place et bénéficient pour leur promotion de campagnes de soutien, avec la présence des plus hautes autorités de l’Etat et des médias publics.

Nous en prenons acte et c’est un peu dans la culture du pays.

D’autres Sénégalais, vivant au Sénégal, prennent le risque d’écrire et de publier des livres plus ou moins critiques à l’égard du Chef de l’Etat et de ses collaborateurs, dans leurs fonctions de responsables publics, expriment des réserves sur la politique menée par le Président Wade et son gouvernement, s’attachent à mettre en évidence les dérives qui, selon eux, menacent le pays.

C’est leur droit.

Mais, contrairement aux premiers, ils voient leurs livres interdits d’entrée au Sénégal, lorsqu’ils sont publiés à l’étranger, confisqués par les services des douanes ou de renseignements dès leur arrivée aux frontières. Les libraires qui font la commande de leurs ouvrages sont harcelés, convoqués à la police, soumis au chantage, au point que tous ont renoncé à s’approvisionner auprès des éditeurs, privant ainsi les lecteurs de juger sur pièces. Dans les faits ce sont tous les écrits politiques de ces « black-listés », quel qu’en soit le sujet, qui sont interdits de librairie, parce que soumis à des « vérifications » longues et injustifiées.

C’est faire deux poids deux mesures.

C’est une censure qui ne dit pas son nom, qui ne s’appuie sur aucune base juridique, qui est une atteinte à la liberté d’expression et une violation de la Constitution. C ’est un désaveu flagrant des engagements du Président de la République et des déclarations du gouvernement. C’est un déni de justice et un signe de régression de notre politique culturelle. C’est un paradoxe au moment où notre pays se prépare à accueillir le Festival mondial des Arts Nègres, manifestation censée célébrer la créativité et la liberté d’expression recouvrées par les peuples noirs.

Cette situation perdure depuis des années sans émouvoir outre mesure les partis de l’opposition ou les organismes attachés à la défense des droits de l’homme et des droits des citoyens. Il est vrai que nous présentons le handicap d’être des Sénégalais et que notre pays nourrit ce vieux complexe qui nous rend plus sensibles aux déboires des étrangers venus du Nord qu’à ceux de nos concitoyens. La meilleure illustration en est fournie par des institutions locales renommées qui ont émis de vives – et justifiées – protestations contre l’interdiction de la vente d’un livre sur la Casamance publié par un chercheur français, alors qu’une vingtaine de livres d’auteurs sénégalais sont dans la même situation et n’ont jamais bénéficié d’un battage médiatique de cette ampleur.

C’est pour toutes ces raisons que nous, signataires de ce manifeste et, qui tous, à des degrés divers, avons été victimes de cet ostracisme d’Etat, en appelons à l’opinion nationale et internationale et à tous ceux qui sont respectueux des droits des citoyens pour que cesse cette iniquité. Le Président de la République avait dit ignorer que Tiken Jah Facoly avait été déclaré persona non grata au Sénégal : nous le prenons au mot. Sait-il qu’il y a des ouvrages, qui ne sont ni injurieux ni diffamatoires, écrits par des Sénégalais ou des connaisseurs du Sénégal, dont chacun est un « opus non gratum », un livre interdit d’entrée, de vente ou de lecture, ce qui est en soi un scandale en ce début du XXIe siècle. Nous le rappelons donc solennellement aux engagements qu’il a pris devant la nation de faire respecter le droit d’expression de tous les créateurs de ce pays, tel qu’il est reconnu par la Constitution qu’il a juré de défendre.

Fadel Dia, Abdoul Aziz Diop, Mandiaye Gaye, Mody Niang

Les ouvrages suivants ont été victimes de cette politique culturelle discriminatoire :

1. Abdoul Latif Coulibaly : « Sénégal, Affaire Me Sèye : un meurtre sur commande », L’Harmattan, 2006.

2. Fadel Dia : « Wade–Mecum ou le Wadisme en 15 mots-clés », L’Harmattan, 2010.

3. Abdoul Aziz Diop : « Une succession en démocratie. Le Sénégal face à l’inattendu », L’Harmattan, 2009.

4. Mame Marie Faye : « L’immolation par le feu de la petite fille du président Wade : crimes, trahisons et fin du régime libéral ».

5. Mandiaye Gaye : « Le Sénégal sous Abdoulaye Wade. Banqueroute, corruption et liberticide », L’Harmattan, 2010.

6. Toumany Mendy : « Politique et puissance de l’argent au Sénégal. Les désarrois d’un peuple innocent », L’Harmattan, 2006.

7. Toumany Mendy : « Sénégal : politiques publiques et engagement politique. La classe politique au banc des accusés », L’Harmattan, 2008.

8. Toumany Mendy : « L’illusion démocratique en Afrique : l’exemple du Sénégal », L’Harmattan 2010.

9. Mody Niang : « Me Wade et l’Alternance, le rêve brisé du Sopi », L’Harmattan, 2005.

10. Mody Niang : « Qui est cet homme qui dirige le Sénégal ? », L’Harmattan, 2006.

11. Babacar Sall : « Le Stagiaire. Roman d’un Président de la République », L’Harmattan, 2007.

12. Papa Moussa Samba : « Le président Wade ou le génie solitaire », Editions Cjib, 2007.

13. Mamadou Seck : « Les scandales politiques sous la présidence d’Abdoulaye Wade », L’Harmattan, 2005.

14. Almamy Mamadou Wane : « Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’Alternance », L’Harmattan 2004.

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