On ne peut que se féliciter du geste de la Chine d’octroyer une enveloppe de 60 milliards de dollars pour impulser le développement de l’Afrique. Cette décision majeure du Sommet Sino-africain, tenu la semaine dernière en Afrique du Sud, a été chantée sur tous les tons. Il n’y a pas eu de dithyrambe de trop. Le Président en exercice de l’Union africaine, Robert Mugabe, a trouvé l’occasion de mettre en parallèle ce geste chinois de grande générosité avec le caractère radin des anciens pays colonisateurs. Sous bien des regards, les quolibets de Mugabe ne manquent pas de pertinence, mais il faut se demander si la bonne posture est de s’agripper à la rhétorique qui consiste toujours à jeter la pierre sur le monde occidental responsable désigné et, il faut le dire, bien commode de tous les maux de l’Afrique ?
Ce n’est pas un cadeau de Noël, la Chine a promis d’investir sur trois ans cette somme au bénéfice du continent africain. Mais l’euphorie passée, on peut s’interroger sur la véritable portée de ce geste. Au moment où la Chine accorde 60 milliards de dollars à 54 pays africains, avec une population de plus de 1,100 milliard d’habitants, cette même Chine fait au seul Brésil, peuplé de 200 millions d’habitants une promesse de financement de 50 milliards de dollars et au seul Pakistan, peuplé de 180 millions d’habitants, une enveloppe égale de 50 milliards de dollars. Il convient donc de tempérer la philanthropie de la Chine.
La Chine pourrait bien faire plus pour l’Afrique. Elle en a les moyens avec des réserves de change de devises de plus de 3 000 milliards de dollars. On doit donc s’interroger sur les capacités des pays africains à absorber certains niveaux de financements. Si l’Afrique manque de financements, est-ce dû au fait que les investisseurs auraient une certaine apathie envers elle ? On peut répondre sans doute par la négative, car tout le monde s’accorde sur l’idée que l’Afrique fournit les meilleurs taux de retour sur investissements et le dollar gagné en Afrique est de la même couleur que celui gagné en Asie ou en Amérique latine ou ailleurs.
Quelles sont les entreprises vectrices des investissements chinois ? Elles sont connues de tout le monde pour être des championnes de la corruption et de la distribution de rétro commissions. Elles sont «black-listées» pour de telles pratiques. Mais elles font mieux l’affaire des élites politiques africaines peu regardantes sur les conditions de transparence dans la passation des marchés publics.
Le propos n’est nullement de réfuter à l’Afrique le droit de commercer avec la Chine. Bien au contraire ! Tous les pays au monde se ruent vers la Chine pour développer des relations d’affaires, mais force est de dire que l’Afrique qui semble se précipiter sur les financements chinois avec une certaine candeur risque de ne pas tirer le meilleur profit de ses relations avec la Chine. Devant les promesses de financements mirobolants et surtout les conditions de décaissement les plus faciles qui puissent exister, les dirigeants africains ne s’interrogent pas sur les dessous de tels financements. En effet, la Chine n’investit jamais en Europe, en Amérique ou même dans d’autres régions du monde en imposant des ouvriers chinois pour la conduite des travaux, surtout que tels ouvriers sont pour nombre d’entre eux des bagnards envoyés à l’étranger pour purger des peines pour des infractions criminelles. Certains de ces détenus, à leur libération, sont aidés pour s’implanter sur le sol africain. La Chine développe une politique d’incitation de certaines catégories de sa population à s’installer à l’étranger. Des aides gouvernementales sont prévues à cette fin et les candidats privilégiés sont les Chinois qui ont de la peine à se réaliser dans leur propre pays. Les ambassades africaines à Pékin, qui leur délivrent des visas, sont bien conscientes de ce phénomène, mais l’attrait des investissements faciles fait qu’aucun discernement n’est de rigueur. On dénombre déjà un million de Chinois sur le sol africain, ce qui donne l’air d’une «colonisation» démographique qui s’installe. Des problèmes sociaux se posent avec les immigrés chinois et les populations autochtones africaines. Certaines mafias et des milieux interlopes chinois élargissent leurs tentacules en Afrique.
L’Afrique doit donc s’interroger sur ses relations avec la Chine, car elle est en train de fragiliser sa posture au point de retomber dans les mêmes déséquilibres, comme dans ses relations avec l’Occident. Les matières premières tirées des sols africains sont exportées vers la Chine dans les mêmes conditions que naguère vers l’Europe. Les générations passées ont tant décrié l’inégalité des termes des échanges entre l’Afrique et l’Europe, que nous devons apprendre de nos erreurs passées. Il ne doit pas encore être question de nourrir un quelconque intégrisme de souveraineté nationale, mais les rapports internationaux voudraient que les Etats traitent en égale dignité alors que l’Afrique se met toujours dans une logique de tout attendre des autres. Des élites africaines ont vécu comme une humiliation qu’il avait fallu que la Chine fasse cadeau d’un immeuble pour abriter le siège de l’Union africaine à Addis Abeba. Comment voudrait-on que la Chine puisse nous respecter dans ces conditions ?
Dans de nombreuses régions d’Afrique, des contrats scandaleux ont été signés avec des firmes chinoises. Dans un grand pays d’Afrique centrale par exemple, une compagnie chinoise a eu à réaliser une route à travers la forêt, et la contrepartie consentie par le gouvernement hôte a été de lui concéder une emprise de 250 kilomètres, de part et d’autre de la route. L’entreprise chinoise aura la latitude de disposer de toutes ressources trouvées dans cette superficie. On ne compte plus les scandales impliquant les firmes chinoises en Namibie, en Afrique du Sud, en Ouganda, en Zambie, au Gabon, en Angola et au Soudan.
Comme pour mieux sécuriser ses investissements en Afrique, la coopération chinoise commence à investir le terrain militaire. Le Soudan abrite déjà une forte présence militaire chinoise qui, entre autres missions, pourrait veiller sur la sécurité des puits pétroliers exploités par des firmes chinoises. Si on n’y prend garde, cette coopération aux devers amicaux se transformera en coopération entre la souris et le chat.
Madiambal Diagne
lequotidien.sn