Le crépuscule semble se dessiner à pas de géants pour le président de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar (Cciad). En effet, une semaine seulement après l’installation officielle du président sortant de la Cciad par le gouverneur de Dakar, la Division des investigations criminelles (Dic), sur saisine du Parquet, a enquêté puis commencé par interpeller des électeurs de Lamine Niang, qui, lors des élections consulaires à la Cciad, avaient usé de fausses procurations. Deux commissaires à la retraite sont soupçonnés d’avoir falsifié le cachet et la signature de l’officier de police de classe exceptionnelle Khary Sidibé, précédemment en service au commissariat de Bel-Air. Détails du rapport accablant de la Dic, qui vient s’ajouter aux conclusions terrifiantes d’une première enquête déjà déposée sur la table du procureur de la République.
L’euphorie risque d’accoucher d’un abattement. En effet, une semaine après que le gouverneur de Dakar a officiellement installé le président de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar, au motif que celui-ci a remporté les élections consulaires, voilà que le procureur a ordonné l’ouverture d’une enquête qui a déjà accouché, jeudi dernier, d’une série d’interpellations de plusieurs proches de Lamine Niang, chef de file de la liste Disso. Cela fait suite à une énième enquête déclenchée contre X pour faux, usage de faux, usurpation de fonction et escroquerie, diligentée par la Division des investigations criminelles et qui accable des électeurs du patron de la Cciad. Aussi, dans son rapport transmis au procureur dont nous détenons copie, la Dic charge de prime abord les faussaires. «Il a été noté lors du scrutin relatif au renouvellement des instances de la Chambre de commerce dans la sous-section Agriculture et Elevage, qui s’est déroulé le 22 août dernier, une utilisation massive et abusive de procurations vraisemblablement fausses», relève-t-elle. Cette situation, poursuivent les enquêteurs, aurait empêché certains électeurs d’accomplir leur droit civique, du fait que des tiers avaient déjà voté à leur place avec des procurations qu’ils n’ont ni signées ni délivrées. Poursuivant, les enquêteurs informent le procureur qu’un «transport a été effectué auprès du gouverneur de Dakar, pour solliciter une mise à disposition des photocopies de procurations, en vue d’y déceler celles incriminées par les électeurs cités, qui se sont plaints que des personnes munies de fausses procurations aient voté à leur place». Sur place, précisent les limiers, «ladite autorité administrative a mis à la disposition des enquêteurs huit copies de procuration autres que celles intéressant l’enquête. Et à l’examen, quatre de ces procurations seraient certifiées au commissariat de police de Bel-Air, parce que comportant une signature apposée sur un cachet portant les mentions dudit service». Mais pour authentifier ces documents, la Dic souligne, toujours dans son rapport, qu’un «autre transport a été effectué au commissariat de Bel-Air».
Le commissariat de Bel-Air éclaboussé
Sur les lieux, «les vérifications étant effectuées en présence constante du commissariat de police, chef de service, ont permis de constater que les copies de procuration censées être délivrées par ce service n’ont pas été enregistrées dans le registre de signatures communément appelé registre des certifications matérielles», relatent les enquêteurs. Entendu par ces derniers, l’officier de police de classe exceptionnelle Khary Sidibé accuse X.
Il convient de préciser que, d’après les investigations de la Dic, les 19 et 20 août 2010, au moment de la signature des documents incriminés, le commissaire de police Sanou Diouf (actuel patron de la police de Bel-Air) n’avait pas encore pris service. La passation de commandement avec son prédécesseur, Mme Khary Sidibé, a eu le 25 août dernier. D’ailleurs, devant les enquêteurs, celle-ci confirmera que les dates de signature des procurations ont effectivement coïncidé avec une période pendant laquelle elle dirigeait encore ce service. Mais elle a tenu à préciser, dans le rapport, qu’elle avait instruit tout le personnel placé sous ses ordres de ne pas s’impliquer dans la délivrance de quelque document que ce soit ayant trait aux élections de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar et d’orienter les gens vers le Commissariat central de Dakar.
Quid de la signature apposée sur les procurations à elle présentées ? Là, sans chercher midi à quatorze heures, la commissaire de police se veut formelle. «Cette signature n’est pas la mienne», dit-elle. Pour sa défense, Mme Khary Sidibé ajoute : «Le signataire de ces procurations incriminées aurait certainement profité du fait que j’étais en instance de quitter mon service pour cause d’affectation. Et au regard de ces procurations, leur auteur a volontairement transgressé les instructions verbales mais fermes que j’avais données en ce sens».
Invitée par les enquêteurs à s’expliquer sur l’organisation de la certification matérielle dans le service qu’elle dirige, l’officier rétorque : «Les intéressés s’adressaient au secrétariat pour justifier leur identité, la présence physique du mandataire et du mandat était exigée et les signatures recueillies dans un registre de spécimens de signatures ».
La gouvernance soupçonnée de rétention de fausses procurations…
Faute d’avoir obtenu toutes les autres procurations comme celles supposées être délivrées par Yacine Sagna, Soda Sy, Bodiel Ndiaye, Fatoumata Sy et Samba Sow, la Dic déclare au procureur : «L’enquête a révélé que l’échantillon mis à ma disposition par l’autorité administrative comporte, tout de même, des procurations dont la légalisation n’a pas été régulièrement enregistrée dans le registre tenu à cet effet. Ainsi, une forte suspicion de faux pèse sur ces documents examinés au Commissariat de Bel-Air». Dans leur conclusion, les enquêteurs informent le parquet de Dakar qu’il «n’a donc été possible d’identifier formellement tous les électeurs suspects, c’est-à-dire ceux qui auraient voté sur la base de fausses procurations. Or, seule l’exploitation de toutes les procurations utilisées lors dudit scrutin permettrait non seulement de démasquer les présumés faux électeurs, mais aussi et surtout le ou les auteurs de ces faux».
…le Parquet refuse de lui lâcher les basques et lui colle la Dic
Dès que le rapport de la Dic a été déposé au Parquet sous le numéro 525, le procureur, ayant peut-être flairé un vaste réseau de fraude, a décidé de retourner le dossier aux limiers avec une nouvelle réquisition, pour exiger du gouverneur qu’il lui donne toutes les procurations. C’était le 15 septembre dernier. Deux jours plus tard, c’est-à-dire le 17 courant, un lot de 140 procurations a été remis à la Dic qui constate à nouveau qu’il manquait toujours d’autres procurations. Interrogation d’une source policière : «Pourquoi la Gouvernance se garde-t-elle de remettre la totalité des procurations ?» Mystère et boule de gomme. N’empêche, le Parquet, qui n’entend pas faiblir dans sa volonté de faire la lumière sur cette affaire, fait une énième saisine à la Dic par réquisition au gouverneur, pour remettre, au nom de la loi, toutes les procurations. C’était le 21 septembre dernier. Et le lendemain, quelques procurations issues du second tour, dont celles de Mme Lawel Kâ, Mme Aïda Seck, Sokhna Ndiaye, Mme Amy Diouf, Ibra Thiam, ont été remises aux enquêteurs. Tout ce beau monde est soupçonné d’avoir utilisé de fausses procurations et d’avoir voté à la place des électeurs de la liste And Défaraat Cciad sous le numéro 15.400. Ils sont convoqués par la Dic ce lundi matin et risquent gros. Affaire à suivre.
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