Alors que le pays est en pleine campagne pour la présidentielle, la personnalité de Chantal Biya, la Première dame, apparaît comme un atout indispensable pour maintenir en place le régime de son mari.
uin 2011, à Mvomeka’a dans le sud du Cameroun, plus de 200 artistes sont réunis dans la résidence privée du couple présidentiel. Prenant pour prétexte la fête de la musique, ils sont venus chanter les louanges du président Biya, ils sont venus prier le chef de l’Etat sortant de se porter candidat pour un nouveau mandat de sept ans à la tête du pays. Message entendu depuis lors, puisque le président camerounais bat aujourd’hui campagne, en face de 22 autres concurrents, pour le scrutin du 9 octobre. Les salamalecs terminés, les artistes chauffent la grande place de Mvomeka’a, le village natal de Biya, et donnent un concert de flagornerie jusqu’à l’aube, avec au milieu de la piste de danse pendant plusieurs heures, Chantal Biya, la Première dame du Cameroun, en personne.
Une enfant de la forêt
Cet événement est inédit dans l’histoire du pays, où on n’avait jamais vu autant de musiciens se transformer en griots politiques. De même, la course cycliste internationale baptisée Chantal Biya qui s’est courue fin septembre sur les routes parfois cahoteuses du Cameroun, en pleine campagne électorale, n’a pas fini de susciter commentaires, critiques et moqueries. Dans tous les cas, ces deux événements constituent les derniers hauts faits d’armes de celle que tous les Camerounais appellent, affectueusement ou non, «Chantou». L’épouse de Paul Biya possède une grande capacité à briser les codes et le formalisme, comme lorsque du haut de ses escarpins, elle danse du bikutsi (rythme traditionnel du Cameroun) avec les musiciens qu’elle a personnellement invités pour venir flatter son président de mari. Et cela fait d’elle, l’un des personnages les plus populaires, au côté des légendes du football comme Roger Milla ou Samuel Eto’o. Bien loin d’ailleurs devant Biya lui-même, qui tient pourtant les rênes du pays depuis maintenant 29 ans.
Pourtant, lorsqu’elle naît en 1970 à Dimako, un petit bled perdu dans l’immense forêt de l’est du Cameroun, rien ne prédestine Chantal Vigouroux à devenir une pièce essentielle de l’appareil d’Etat. Son père, Robert Vigouroux, est un forestier français. Sa mère, Rosette Ndongo, est encore lycéenne à l’époque. La jeune Chantal est élevée par ses grands-parents maternels, avec la modestie des moyens des ouvriers postcoloniaux des années 70. S’ensuit alors une vie de débrouille qui la conduit quelques années plus tard à Yaoundé, la capitale, où elle écume les endroits chics fréquentés par les barons du pays, quand elle ne sert pas de modèle à des stylistes qui tentent péniblement de se faire une carrière. «Chantou» arrive au cœur du pouvoir, vraisemblablement sans trop y avoir jamais pensé, alors qu’elle n’a que 24 ans.
Sa rencontre avec Biya
Lorsque Paul Biya épouse Chantal Vigouroux en secondes noces, en 1994, les supputations vont bon train sur l’origine de leur rencontre. Certains racontent vite que le président l’aurait ravie à un de ses courtisans. D’autres encore évoquent le passé prétendument dissolu de cette jeune femme et ses manières, il est vrai à ce moment-là, peu coutumières des usages du protocole républicain. Même la journaliste belge Beatrix Verhoeven, dans une biographie pour le moins dithyrambique qu’elle lui consacre en 2008 (Chantal Biya, la passion de l’humanitaire, éd. Karthala), rappelle seulement que «le mariage avec Paul Biya fut ce qu’il y a de plus sobre et de plus discret».
Mais c’est Michel-Roger Emvana, auteur d’une biographie de Paul Biya, Les secrets du pouvoir, chez Karthala, qui raconte l’histoire:
«Ils se sont rencontrés au cours d’une des nombreuses fêtes que le président donne souvent à Mvomeka’a. Chantal y était invitée, parce qu’elle était très amie de feue Elise Azar, la femme d’un neveu de Paul Biya.»
Ils se seraient ensuite fréquentés pendant plus d’un an dans une discrétion dont Paul Biya a le secret; avant d’officialiser leur union par un mariage civil et religieux que relate Beatrix Verhoeven, dans un lyrisme un peu gênant. La presse privée, dans ces années qui suivent le retour du multipartisme, ne fait quant à elle aucun cadeau à la nouvelle Première dame lorsqu’elle apparaît au grand public le 20 mai 1994 à l’occasion d’un banquet au palais de l’Unité (résidence officielle du chef de l’Etat).
Les commentateurs insistent sur le contraste avec le raffinement et l’élégance de Jeanne-Irène, la première épouse de Biya, décédée deux ans plus tôt. Ils imaginent que «Chantou» ne sera qu’une potiche: elle a des manières un peu gauches, vient d’un milieu modeste et elle a très peu d’instruction. Autant d’a priori qui amènent les adversaires de Biya à reporter leur fiel sur la nouvelle épouse du président.
Le goût du pouvoir
Un peu comme l’appétit vient en mangeant, le goût du pouvoir s’acquiert en l’exerçant ou tout au moins, en en fréquentant les allées. De la jeune femme un peu maladroite que les Camerounais ont souvent vu lors des cérémonies officielles, Chantal Biya est devenue le socle sur lequel repose le régime de Yaoundé.
«En 17 ans, elle fini par instaurer un véritable système de cour. Aujourd’hui, qu’on veuille se l’avouer ou non, elle fait et défait tous les dignitaires du régime. Elle est allégrement tombée dans tous les travers du clanisme et du népotisme car, on voit bien qu’un certain nombre de postes clés dans la haute administration, les sociétés parapubliques et même dans le gouvernement sont tenus par des personnes originaires de sa région natale dans l’Est», affirme sans sourciller Etienne Tchapda, enseignant en sciences politiques à l’université de Yaoundé.
L’apparente timidité de la Première dame camerounaise ne cacherait, selon le politologue, qu’un tempérament de feu. Elle fait par exemple muter, loin à New York, un ancien chef du protocole d’Etat pour le faire remplacer par un ami proche, aujourd’hui fidèle parmi les fidèles. De la même façon, un journaliste à la télévision nationale dont on dit qu’il serait un cousin éloigné de Chantou, est propulsé du jour au lendemain, directeur adjoint du cabinet civil de la présidence. Excusez du peu! Et tous les autres courtisans se battent pour gérer ne serait-ce qu’un modeste pan de ses multiples projets humanitaires. La Fondation Chantal Biya, le Cercle des amis du Cameroun, l’ONG Synergies africaines et le Centre international de référence Chantal Biya, consacrés à la lutte contre le sida, les Ecoles des champions qui s’ouvrent un peu partout dans le pays pour les enfants déshérités, les innombrables sacs de riz et autres victuailles qu’elle offre à tour de bras aux populations des zones rurales et toute l’attention qu’elle porte aux orphelins… Si l’on en croit Beatrix Verhoeven, le Cameroun aurait trouvé sa «Mère Teresa».
Comme son époux, Chantal Biya s’exprime peu. Mais au Cameroun tout le monde parle d’elle. Surtout pour commenter son activisme un peu débordant dans le domaine de l’humanitaire. Et pour dénoncer sa mainmise sur l’appareil de l’Etat. Des critiques que Chantal Biya ne semble pas toujours prendre avec la candeur que l’on peut lire sur son visage. Bertrand Teyou, journaliste et écrivain camerounais en a fait les frais, après avoir publié un pamphlet en 2010. La Belle de la République bananière (éd. Nation libre) a valu à l’auteur d’être emprisonné dans les geôles de la prison de Douala, la capitale économique. Avant d’être libéré en mai 2011, officiellement pour des raisons de santé.
«Je n’ai aucun reproche à adresser à l’épouse du président, mais je refuse de vivre dans ce pays où elle exerce un pouvoir excessif sur la vie des citoyens. Je ne supporte pas le fait que notre pays soit ravagé par la corruption et que personne ne réagisse pour s’élever contre cela et changer les choses», écrit Bertrand Teyou.
L’as de pique du président
Mais au-delà de tous ces travers dans lesquels tombent fatalement toutes celles dont les époux sont au pouvoir depuis trop longtemps, Chantal Biya fait surtout parler d’elle pour ses tenues vestimentaires extravagantes et sa coiffure exubérante. Un style sur lequel les projecteurs du monde entier se sont braqués en 2009, à l’occasion de la visite du pape Benoît XVI au Cameroun. «Chantou» avait alors fait étalage de toilettes qui oscillaient entre le ridicule et le pathétique, amenant le journal britannique Daily Mail à la classer parmi les Premières dames les plus glamour. Un classement dont on ne sait toujours pas s’il s’agissait d’une mauvaise blague.
Qu’à cela ne tienne, des observateurs estiment que tout cela est bien organisé. La trop grande présence de Chantal Biya sur le terrain, ses actions sociales et humanitaires, appréciées ou non, permettent de faire oublier les absences longues et répétées de Paul Biya du territoire national, et d’étouffer les critiques de l’opposition, sur cet homme qui, à 78 ans, s’apprête selon toute vraisemblance, à remporter la présidentielle du 9 octobre. C’est ce que pense le politologue, Etienne Tchapda:
«Depuis toujours, elle mène une campagne au long cours pour son mari. Elle est présente sur le terrain et sait parler aux couches populaires. Qu’on l’aime ou pas, elle attire l’attention et permet de faire oublier les rancœurs que soulève l’inaction de son mari à la tête de l’Etat et l’extrême précarité dans laquelle son régime a plongé les Camerounais.»
avec Raoul Mbog