L’Afrique fête partout ses cinquante ans d’indépendance. Dans au moins dix sept Etats situés en Afrique au sud du Sahara, dont le Sénégal, les cinquante ans mobilisent. On chante, on danse. Comme on a toujours fait. Dansons et chantons ! C’est quand même une partie de nous et de notre culture. Gardons-nous cependant de ne pas croire qu’il suffit de cela pour célébrer ce cinquantenaire. Pensons aussi que l’Afrique a engagé son développement depuis plus d’une cinquantaine d’années et que le bilan qu’elle exhibe à cet effet est peu reluisant. C’est un doux euphémisme que de parler ainsi.
En vérité, le constat fait ne laisse guère de place à l’optimisme. Les causes du marasme sont multiples. Il y a cependant un facteur qui nous paraît plus décisif que n’importe quelle autre cause, pour apprécier les facteurs bloquants des économies africaines et qui plombent tous les efforts de développement humain sur ce continent. Il s’agit de la gouvernance d’Etat. Pourtant, les diagnostics faits n’accordent guère de place à cette cause dans l’analyse du mal africain. Et pourtant… On peut parier, que dans cent ans, si cette question de la gouvernance n’est pas abordée et considérée dans la pratique dans une autre perspective que celle qui détermine son cours actuel – cette nouvelle perspective qui la débarrasserait de certaines scories-, l’Afrique s’enfoncera davantage dans le sous-développement. Un sous-développement déshumanisant qui explique la décadence et la déchéance humaines dans lesquelles se trouve encore engluée la presque totalité des peuples de ce continent. Ce n’est pas faire de l’afro-pessimisme que de s’exprimer ainsi.
Pour parler du Sénégal, on peut considérer que depuis les premières années des indépendances, les décideurs politiques ayant pris en charge, à la suite du colon parti, la conduite du destin du peuple, promettent sans jamais tenir leurs engagements, de sortir les populations des affres du sous-développement qui les condamnent presque à l’état de sous-homme. Et ce, au moment où les autres nations du monde avancent et assurent à leurs populations le bien être social et économique. L’Afrique en général et notre pays en particulier se caractérisent par leur retard dans tous les domaines de la vie, surtout en matière de développement économique et social.
Nul ne disserte plus presque sur ce retard, sinon pour en donner les raisons majeures et en expliquer les causes profondes. L’état de sous-développement est général dans le pays et le désespoir est tel que chaque citoyen de ce pays semble avoir perdu tout espoir de sortir de ce mal endémique qui bouche l’avenir à des millions d’êtres humains privés du minimum vital. Les causes de ce marasme généralisé sont nombreuses et diverses. Depuis cinquante ans, les analyses les plus savantes et les plus documentées ont listé et analysé de telles causes, en faisant l’effort de les replacer toutes dans leurs dimensions réelles, tant du point de vue historique, politique, culturel, social, sociologique, etc. On a ainsi souvent expliqué le mal du continent par la sortie d’une longue ère coloniale qui a laissé sur place une économie extravertie et désarticulée. On a aussi enseigné que le sous-développement de ce continent est le résultat de la rareté des ressources financières et technologiques utiles et indispensables, nécessaires pour construire les infrastructures sur lesquelles doivent reposer les leviers de l’économie.
Par ailleurs, ont été également mises en cause les options politiques fondamentales et les orientations économiques majeures qui ont été mises en œuvre à la suite du départ du colonisateur. A ce sujet, on aura surtout fait remarquer que les ruptures majeures politiques n’ont pas été opérées, pour assurer à nos pays une autre base de développement pensée en fonction des besoins endogènes et des intérêts stricts de l’Afrique. De façon on ne peut plus commode, on évoque toutes les causes exogènes à l’Afrique pour expliquer son retard. Nous affichons cette posture, car nous avons souvent peur de nous mettre face à nous-mêmes et d’assumer avec courage notre part de responsabilité dans le retard de ce continent. Nous nous défaussons trop facilement sur les autres, en particulier sur les occidentaux, pour soulager nos consciences meurtries, en les accusant de tous les péchés d’Israël, pour excuser nos propres fautes.
La gouvernance en vigueur dans notre pays est fondée principalement sur des mécanismes d’accaparement du bien public et d’appropriation privative des moyens et des ressources de l’Etat. Le détournement des fonds du trésor de l’Etat, la corruption dans l’exercice des fonctions publiques, le pillage ne sont pas interdits, sauf quand tu ne le fais pas prudemment et que tu te fais prendre ! Ailleurs en Afrique où les cinquante ans d’indépendance sont célébrés, ce système est bien connu. Ceux qui ne peuvent pas pratiquer la prédation dans les caisses publiques, la pratiquent dans le cadre de leur service, ou surtout sur le dos des administrés et des populations en général. Il n’est point besoin d’aller ailleurs en Afrique, exhumer par exemple le régime de Mobutu pour fonder l’argumentaire qui sous-tend ce propos.
Dans l’ouvrage que j’ai publié en 2009 et intitulé Contes et mécomptes de l’Agence nationale de l’Organisation de la Conférence Islamique (Anoci) j’ai pu montrer comment le régime du président Abdoulaye Wade, issu en mars 2000 d’élections libres et démocratiques, organise un pillage systématique de la nation autour de certains amis et proches du pouvoir. Exemple : pour construire des villas dites présidentielles et pour assurer la réfection d’un hôtel construit dans les années 90 pour le compte de l’Etat, son père lui (Karim) a remis une somme totale de 52 milliards de FCfa qui n’ont pas servi à construire de telles villas, ni à réfectionner l’hôtel en question. Cette somme d’argent engloutie on ne sait où, aurait pu servir à la construction d’une vingtaine d’hôpitaux régionaux pour répondre aux besoins de soins de plus de la moitié de la population du pays. Le coût moyen d’un hôpital régional entièrement équipé au Sénégal est estimé à 4 milliards de francs FCfa.
Abdou Latif COULIBALY
lagazette.sn
De façon on ne peut plus commode, on évoque toutes les causes exogènes à l’Afrique pour expliquer son retard. Nous affichons cette posture, car nous avons souvent peur de nous mettre face à nous-mêmes et d’assumer avec courage notre part de responsabilité dans le retard de ce continent. Nous nous défaussons trop facilement sur les autres, en particulier sur les occidentaux, pour soulager nos consciences meurtries, en les accusant de tous les péchés d’Israël, pour excuser nos propres fautes.
Exemple : pour construire des villas dites présidentielles et pour assurer la réfection d’un hôtel construit dans les années 90 pour le compte de l’Etat, son père lui (Karim) a remis une somme totale de 52 milliards de FCfa qui n’ont pas servi à construire de telles villas, ni à réfectionner l’hôtel en question. Cette somme d’argent engloutie on ne sait où, aurait pu servir à la construction d’une vingtaine d’hôpitaux régionaux pour répondre aux besoins de soins de plus de la moitié de la population du pays. Le coût moyen d’un hôpital régional entièrement équipé au Sénégal est estimé à 4 milliards de francs FCfa.