Faiseurs de miracles ou marchands d’illusion ? En tout cas, les charlatans qui peuplent les alentours du stade Iba Mar Diop sont très fréquentés, pour diverses raisons. La plupart d’entre eux sont originaires du Niger ou du Nigeria.
Lorsqu’on longe le stade Iba Mar Diop, de petites tentes sur lesquelles sont accrochés des gris-gris sous forme de cordes avec des nœuds, des queues de bœuf entourées d’un morceau rouge à l’extrémité, s’offrent à la vue. Sous l’une des plus grosses tentes, il y a de petits sacs en toile qui contiennent de la poudre d’écorces d’arbre ou de racines de différentes couleurs. A côté, sont étalées des peaux de crocodile, de chèvre, de lion, de chien, d’hyène ou d’autres animaux rares. Il y a aussi des têtes de coqs revêtues d’un morceau de tissu rouge cousu avec des cauris et d’autres sortes de fétiches faits avec des têtes de chacal ou de quelques animaux bizarres. Les os, les cornes, de grandes plumes noires, etc. complètent ce décor impressionnant. La prédominance du rouge donne plus de relief à ce tableau. Le maître des lieux, Souaïb Cissé, se définit comme moitié sénégalais, sans doute pour avoir passé une bonne partie de sa vie au Sénégal. Il se présente comme un guérisseur traditionnel capable de soigner « toutes sortes de maladies inconnues de la médecine moderne ». Bizarrement, il parle de maux de ventre, de maux de tête, d’hémorroïde, de diabète… Bref, des maladies qui reviennent fréquemment de la bouche des guérisseurs traditionnels. Ce charlatan vend aussi des gris-gris qui, dit-il, protègent contre les sorciers et les mauvais esprits. Selon lui, n’est pas charlatan qui veut. « Il faut disposer d’un savoir ésotérique. Moi, j’ai hérité ce savoir de mon père qui le tient de mon grand père, etc. », explique Souaïb Cissé.
Ismaïla Cissé, lui, dit ne travailler qu’avec le Coran. « C’est pourquoi, en bon musulman, je ne jette jamais de mauvais sort à autrui », avance-t-il. Il dispose de la même panoplie d’objets aussi bizarres les uns que les autres : de petites bouteilles qui contiennent des fils de coton avec un morceau rouge et un cauri, les mêmes fétiches aux formes effrayantes ornent sa table. Avec un wolof approximatif -il est haoussa nigérien comme bon nombre de ses voisins qui sont sur les lieux-, il explique qu’il ne fixe pas d’avance ses honoraires. A l’exception du médicament qui stimule la virilité pour lequel il réclame au bas mot 40.000 Fcfa.
Cadenas magique pour amoureux
La clientèle qui fréquente ces charlatans établis aux alentours du stade Iba Mar Diop, est constituée de tous les segments de la société : hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, tous viennent consulter ces spécialistes du destin. Rien de surprenant à cela dans une société où l’on croit foncièrement aux forces occultes, où l’on n’entreprend rien sans aller voir le charlatan du coin, véritable intermédiaire entre l’homme et l’invisible. « Même des émigrés viennent nous voir pour chercher protection ou la bonne marche de leurs affaires », confie Ismaïla Cissé. Toutefois, d’après lui, ses plus fidèles clients sont les amoureux, particulièrement les jeunes filles qui sollicitent régulièrement son savoir pour apprivoiser le cœur du (de la) bien-aimé (e). Pour cela, indique-t-il, le client doit fournir quelques renseignements sur la personne aimée et donner un peu de temps au charlatan. Le talisman magique est un petit cadenas que l’on referme en prononçant le nom de la personne désirée. « Et là ça fait mouche, elle te suivra comme un chien suit son maître », assure le charlatan. Visiblement très sûr de son pouvoir mystique, il se dit prêt à rembourser intégralement la somme payée si le procédé ne marche pas.
Mais à notre passage le matin, la clientèle est plutôt rare. Seules quelques dames s’arrêtent sous ces tentes et achètent qui une petite corne de chèvre, qui quelque poudre d’écorces d’arbres rares. Pour des raisons qu’elles n’ont pas voulu dire. Beaucoup de charlatans nous accueillent d’un sourire condescendant, appréhendant un potentiel client, mais dès que nous commençons à poser des questions, le front plissé, ils se réfugient derrière la barrière de la langue. « Je ne comprends que le haoussa », nous répond (en français) un vieux, les yeux rivés sur un gris-gris qu’il est en train de coudre avec dextérité. Son voisin a eu la franchise de nous dire qu’il ne s’intéresse qu’à ceux qui lui donnent de l’argent, visiblement frileux quand il s’agit de parloter avec ses autres spécialistes de la parole (les journalistes), trop curieux, qui s’intéressent à tout.
Le talent d’un charlatan se mesure à l’aune du degré de fréquentation de la clientèle. La forte concurrence laisse très souvent les inexpérimentés sur le carreau. « J’ai fait un an ici, mais le travail ne marche pas », se plaint un jeune ressortissant nigérien. Un euphémisme pour dire qu’il a du mal à trouver sa place. « Mais on ne peut pas changer de travail du jour au lendemain », dit-il, stoïque. En revanche, d’autres disent ne pas se plaindre. Par ailleurs, il y en a qui ne s’occupent que du négoce : aller chercher la marchandise rare et la revendre aux autres, confie Souaïb Cissé. Beaucoup d’organes d’animaux rares sont importés de la sous-région. Un véritable trafic qui devrait attirer l’attention des amis de la nature.
SERIGNE SAMB « MBORO », TRADIPRATICIEN : Dépositaire des angoisses et espoirs de naufragés de la vie
Légataire du savoir de ses ancêtres, Serigne Samb « Mboro » se met en porte à faux des pratiques maléfiques auxquelles se livrent les charlatans. Ceux qui jettent un mauvais sort à autrui pour de l’argent, dit-il, oublient qu’ils rendront compte à Dieu un jour, avertit-il.
Entouré d’une foule de curieux, un homme à l’âge assez avancé, trônant au milieu d’objets hétéroclites, s’active à vanter les mérites de ses produits. On est en plein Gamou de Tivaouane, et dans le choc des décibels de chants religieux tidianes de tous bords, viennent s’ajouter les voix de cet homme et d’autres tradipraticiens établis à côté de lui. Sur sa natte, se côtoient une patte d’hyène finement découpée en petit morceau à la demande du client, un cadavre d’un oiseau charognard, des lambeaux de peaux de divers fauves, des fruits sauvages, des feuilles, des écorces de divers arbres du pays, etc. Les pièces tombent sur la natte et des produits finissent dans les mains des clients rassurés par les paroles de ce vendeur de marchandises peu ordinaires. Des produits censés assurer le rendez-vous tant désiré avec la chance ou aux vertus protectrices contre le mauvais œil, les mauvaises langues ou « thiat », l’envie, la jalousie, la sorcellerie, l’empoisonnement, etc. Nous sommes aux frontières du naturel, en plein dans ce monde peu ordinaire dans lequel l’homme africain se réfugie souvent quand la dure réalité n’explique plus tout.
Notre homme est très affairé, il consent à nous donner rendez-vous chez lui, à Dakar. Précisément à Guédiawaye, à quelques encablures du Cem Canada. Chez lui, dans une cour au sable bien propre, attendent deux clientes. Elles affichent une totale timidité. Le maître des lieux s’appelle Serigne Samba « Mboro ». Lorsque notre tour arrive, cet originaire de la localité de Mboro nous reçoit dans une chambre modeste, agrémentée de photos de Serigne Abdou Lahat Mbacké. Cette fois, il est assis à côté de papiers portant des caractères arabes. « Mon travail de tradipraticien touche les sciences coraniques et traditionnelles », avertit-il. Aujourd’hui, dit-il, la génération nouvelle a la redoutable tâche de garder intacte cet héritage et, mieux, de l’améliorer. Le Coran, il l’a appris à partir de l’âge de sept ans et a fini son apprentissage 14 ans plus tard. Le livre saint, « c’est des secrets et des bienfaits » avec lesquels on peut soigner et régler les problèmes des gens, estime-t-il. Vêtu d’un grand boubou imposant, le sourire rassurant, il ajoute : « Si Dieu a fait descendre le Coran sur Mohamed (psl), ce n’est pas seulement pour que nous l’apprenions par cœur, mais pour que nous nous en servions. Mon maître m’a appris des secrets, mais j’ai fait aussi des recherches personnelles auprès d’autres détenteurs du savoir », dit-il. Pour Serigne Samba « Mboro », le savoir, c’est un vaste champ où chacun cultive son lopin.
Lèye et Niasse, les patronymes des arbres
A côté des vertus du Coran, il s’appuie sur les connaissances traditionnelles. Les vertus des arbres sont des connaissances que lui a transmises son père Saliou Samb « Mboro », qui les a héritées de son père… L’arbre est au cœur de ce savoir. « Tout arbre qui existe dans ce pays, je peux dire son utilité », se prévaut le tradipraticien. A force de caracoler derrière son père sollicité un peu partout, il a acquis des connaissances en pharmacopée traditionnelle. C’était une quête du savoir dans l’humilité et l’obéissance aveugle, c’est la célèbre « tarbiyou » du talibé. Aujourd’hui, les arbres n’ont presque plus de mystère pour lui. L’arbre ayant ses secrets, il faut parfois un rituel pour l’approcher. L’homme nous sert une incantation faite de mots arabes et wolofs, il s’agit du « diatt » qui neutralise les forces maléfiques. « On fait cette incantation pour couper les racines d’un arbre. C’est une façon de saluer l’arbre. Chaque arbre a un prénom et un nom. Il n’y a que deux noms pour les arbres, s’il s’agit d’une variété douce et sans épine, cet arbre a comme nom Lèye. Mais si c’est un arbre amer et épineux, son nom est Niasse », explique Serigne Samb « Mboro », assis les jambes croisés, les yeux rayonnants de plaisir de livrer ces quelques connaissances héritées de ses ancêtres.
Son grand-père, dit-il, drainait les foules à cause d’une trouvaille : le « sa thiambène », un talisman qui porte le nom Samb de leur famille. « Quand on porte le ‘’sa thiambène’’, on est protégé contre le ‘’thiat’’ et les ‘’rab’’ (esprits surnaturels) ». Le talisman agit comme un boomerang en renvoyant un mauvais sort à son auteur ou commanditaire, assure-t-il. Le « dém délou » ou « dém dikk », c’est aussi une trouvaille de ses ancêtres. Comme son nom l’indique, il assure au voyageur un retour à son lieu de départ, quel que soit l’objet ou le risque du déplacement (guerre, voyage en mer, zone d’épidémie, etc.).
« Les jeteurs de sort oublient Dieu »
Comme tout tradithérapeute, Serigne Samba « Mboro » reconnaît que certains clients le sollicitent parfois pour des tâches maléfiques. « Mais, rassure-t-il, je n’accepte jamais de faire ce genre de travail ». Sa conscience de musulman lui interdit cela, ajoute-t-il, car « tôt ou tard, on fera face à Dieu. Ceux qui font ce genre de choses oublient leur face-à-face avec Dieu ». Devant ces cas de figure, il explique qu’il calme d’abord le client, prend la peine de lui expliquer les méfaits de ce genre d’agissement. « A l’arrivée, le client peut faire marche arrière lorsqu’il se rend compte qu’il allait commettre du mal à son prochain », ajoute-t-il. « Dieu a fait descendre le Coran pour que nous nous en servions bien, mais pas pour faire du mal avec », avertit-il. Il est aussi le confident des amoureux, des coépouses aigries, à chaque fois, dit-il, il essaie de les raisonner. Et quand un amoureux vient pour une cause juste, il est prêt à l’aider.
Dans son arsenal, on trouve, hormis les plantes, des peaux, des crânes, des pattes d’animaux sauvages comme l’hyène. Décidément, cet animal a bien la cote, « sa peau est très utile. L’hyène est un animal chanceux qui fait beaucoup parler de lui, donc qui est célèbre. Il est synonyme de célébrité. C’est la raison pour laquelle certains gris-gris sont couverts de son cuir », explique l’homme. Quid de l’oiseau charognard ? « Quiconque porte l’os de cet oiseau est protégé de la sorcellerie, des mauvaises langues et des maladies », ajoute-t-il. C’est grâce à cette panoplie qu’il gagne sa vie. « Je rends grâce à Dieu, je subviens à mes besoins et à ceux de ma famille avec ce métier. Pourvu que ce soit de l’argent béni », dit-il. Serigne Samb est peu prolixe sur ses tarifs, « quand le client est satisfait, il peut m’offrir n’importe quoi en retour en guise de remerciements », dit-il. Hormis les grands événements, il offre rarement ses services dans la rue. Ave la profusion de charlatans venus de divers horizons, il avertit : « l’habit ne fait pas le moine. Un guérisseur doit être quelqu’un qui fait et enseigne le bien et qui s’interdit de faire du mal ». A son avis, « la crise a poussé beaucoup de personnes à porter le turban de guérisseurs, d’où la profusion de charlatans à Dakar. « Les charlatans étrangers ont été chassés de chez eux par les difficultés de la vie. Parfois, ils font face ici à plus fort qu’eux et ils s’exilent ailleurs ». Au client de savoir distinguer la bonne graine de l’ivraie.
Malick CISS
lesoleil.sn
Ils ne font qu’arnaquer les naïfs! méfiez vous d’eux