Cheikh Anta Diop: Notre maître à penser. (Par Ibrahima Traoré)

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Quand nous parlons de cet homme il nous est difficile de faire l’économie langagière d’une phraséologie dithyrambique et d’un portrait élogieux, une attitude qui témoigne d’emblée d’un parti pris carrément assumé voire d’un choix affirmé d’opter pour l’apologie. Qu’on se le tienne pour dit : nul ne saurait trouver de mots assez puissants, d’hommages assez suffisants pour honorer l’un des plus grands savants que le 20éme siècle nous ait offert. Jamais dans l’histoire de l’humanité un savant n’avait maitrisé autant de domaines et emmagasiné autant de connaissances. Sa conception du savoir était aristotélicienne : Cheikh Anta symbolisait la totalité du savoir et le savoir de la totalité. Oui, Cheikh était un intellectuel intégral, tout à la fois : physicien, historien, anthropologue, linguiste, sociologue, philosophe, chimiste, politique et j’en passe. L’homme ne se fixait aucune limite intellectuelle et élargissait sans cesse le champ des possibles par son insatiable soif de connaissance.

D’une part, sa ténacité, son travail acharné, son honnêteté intellectuelle ; et d’autre part, son refus catégorique des compromis, son incorruptibilité, son intrépidité sans défaillance ; tout cela a hissé cet homme au sommet de l’intelligentsia mondiale. Il incarne l’intellectuel non galvaudé, qui a su rester pur, authentique et digne.
Là où passe la puissance cérébrale de Cheikh, la falsification historique trépasse. La pensée Diopienne ne se limitait pas seulement à réfuter des thèses bancales, à contester des pensées ou à s’attaquer à des lieux communs fortement enracinés dans le tréfonds mais elle démolissait leurs soubassements en bouleversant les paradigmes qui les sous-tendent grâce à un arsenal théorique issu de différents champs de savoir dans une approche holistique et globalisante exclusivement scientifique et débarrassée de toute idéologie. Cheikh avait l’art de rendre les théories de ses adversaires caduques, désuètes et surannées tellement la différence de niveau qui existait entre ces derniers et lui était grande : il ne trouvait pas d’interlocuteurs valables qui pouvaient faire le poids. C’est la raison pour laquelle, il serait plus judicieux d’ailleurs de dire que Cheikh a permis plus de renouveler la pensée que de l’approfondir.

Certains savants, certainement par idéologie – pour ne pas dire par consanguinité – étaient très allergiques aux thèses de Cheikh Anta DIOP (Jean Marie LEPEN a même tenté de l’agresser physiquement) qu’ils ont contestées énergiquement. Que n’ont-ils pas essayé pour étouffer et combattre cette pensée émancipatrice et fondamentalement solide en y mettant une chape de plomb. Mais étant donné qu’on ne peut arrêter la mer avec ses bras, Cheikh, à force d’abnégation et de preuves scientifiques irréfutables et irrécusables, finit par faire prendre à l’égyptologie un tournant historique et à faire admettre à la communauté scientifique occidentale (qui avait essayé de cacher l’origine négro-africaine de la civilisation égyptienne), que l’Afrique n’est pas seulement le berceau de l’humanité mais qu’elle est également celle de la civilisation. N’en déplaise aux savants qui avaient sciemment falsifié l’histoire par complaisance et pour justifier des entreprises sordides : l’esclavage et la colonisation.
En contestant le schéma hégélien qui voudrait exclure l’Afrique de l’histoire, il met en exergue l’apport de celle-ci à la civilisation universelle et démontre que cette Afrique, aujourd’hui méprisée, a pourtant offert à l’humanité tous les éléments de la civilisation. Cet apport pluriel et multidimensionnel est présent dans de nombreux domaines : la métallurgie, l’écriture, les sciences (mathématiques, astronomie, médecine, …), les arts et l’architecture, les lettres, la philosophie, les religions révélées (judaïsme, christianisme, islam), etc. L’Egypte a été l’initiatrice de la Grèce semi-barbare dans tous les domaines car la Grèce était réfractaire à la science, d’ailleurs elle n’a jamais contesté l’Egypte comme mère des sciences d’autant plus que ses plus grands savants (Aristote, Pythagore, Thales, Démocrite…) ont été formés en Egypte. Outre la dénonciation de la falsification de l’histoire de l’humanité, Cheikh Anta Diop dans ses travaux met l’accent sur quatre chantiers :

1 LA RESTAURATION DE LA CONSCIENCE HISTORIQUE AFRICAINE :
“Dans la mesure où l’Égypte est la mère lointaine de la science et de la culture occidentales, comme cela ressortira de la lecture de ce livre, la plupart des idées que nous baptisons étrangères ne sont souvent que les images, brouillées, renversées, modifiées, perfectionnées, des créations de nos ancêtres : judaïsme, christianisme, islam, dialectique, théorie de l’être, sciences exactes, arithmétique, géométrie, mécanique, astronomie, médecine, littérature (roman, poésie, drame), architecture, arts, etc. […] Autant la technologie et la science moderne viennent d’Europe, autant dans l’Antiquité, le savoir universel coulait de la vallée du Nil vers le reste du monde, et en particulier vers la Grèce, qui servira de maillon intermédiaire. Par conséquent aucune pensée, n’est, par essence, étrangère à l’Afrique, qui fut la terre de leur enfantement. C’est donc en toute liberté que les Africains doivent puiser dans l’héritage intellectuel commun de l’humanité, en ne se laissant guider que par les notions d’utilité et d’efficience.”
« L’Africain qui nous a compris est celui-là qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti naître en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion. » (C. A. Diop, Civilisation ou Barbarie, 1981).

  1. Le rétablissement de la continuité historique :
    Cheikh Anta Diop met l’accent sur la nécessité de rétablir dans l’espace et dans le temps l’évolution des sociétés et États africains, notamment de la préhistoire au XVIème siècle, période la plus méconnue. Cheikh Anta Diop souligne dans ses écrits que la recherche socio-historique est loin d’être conçue comme un repli sur soi ou une simple délectation du passé.
    L’étude socio-historique des civilisations africaines permet d’identifier les valeurs qui ont fait leur grandeur et les facteurs ayant engendré leur déclin, d’élaborer les stratégies pour le développement du continent.
  2. La construction d’une civilisation planétaire :
    Cheikh Anta Diop se donne comme objectif de contribuer “[…] au progrès général de l’humanité et à l’éclosion d’une ère d’entente « 
    «Le climat, par la création de l’apparence physique des races, a tracé des frontières ethniques qui tombent sous le sens, frappent l’imagination et déterminent les comportements instinctifs qui ont fait tant de mal dans l’histoire. Tous les peuples qui ont disparu dans l’histoire, de l’Antiquité à nos jours, ont été condamnés, non par une quelconque infériorité originelle, mais par leurs apparences physiques, leurs différences culturelles […],. Donc, le problème est de rééduquer notre perception de l’être humain, pour qu’elle se détache de l’apparence raciale et se polarise sur l’humain débarrassé de toutes coordonnées ethniques.” (C. A. Diop, “L’unité d’origine de l’espèce humaine”, Colloque « Racisme, Science et Pseudo-Science », organisé à Athènes par l’UNESCO en 1982)
  3. La renaissance africaine :
    Pour lui, l’instauration d’un État fédéral relève d’une urgence continentale car seul cet ensemble géopolitique serait de nature à sécuriser, structurer et optimiser le développement du continent africain qui doit être basé sur une politique de recherche scientifique efficiente : “L’Afrique doit opter pour une politique de développement scientifique et intellectuel et y mettre le prix ; sa vulnérabilité excessive des cinq derniers siècles est la conséquence d’une déficience technique. Le développement intellectuel est le moyen le plus sûr de faire cesser le chantage, les brimades, les humiliations. L’Afrique peut redevenir un centre d’initiatives et de décisions scientifiques, au lieu de croire qu’elle est condamnée à rester l’appendice, le champ d’expansion économique des pays développés ”

En plus d’être un illustre savant, assurément l’un des plus emblématiques que l’Afrique nous a offert, il était profondément et fondamentalement humaniste et se donnait comme objectif d’amorcer le processus de réconciliation de l’humanité avec elle-même. Il rappelait ceci : « Nous aspirons tous au triomphe de la notion d’espèce humaine dans les esprits et dans les consciences, de sorte que l’histoire particulière de telle ou telle race s’efface devant celle de l’homme tout court. On n’aura plus alors qu’à décrire, en termes généraux qui ne tiendront plus compte des singularités accidentelles devenues sans intérêt, les étapes significatives de la conquête : de la civilisation par l’homme, par l’espèce humaine tout entière ».
Sans nécessairement prendre toutes les thèses de Cheikh Anta Diop comme « parole d’évangile » ou des vérités absolues qui ne doivent même pas faire l’objet de remise en question, force est de constater que la quasi-totalité de celles-ci sont difficilement réfutables. Et ce malgré cette cohorte de chercheurs marquée par un « ethno-nationalisme racialisant » qui ont du mal à reconnaitre le savant dans ce visage défiguré par la violence raciale, ridé par la brutalité et l’animosité de l’esclavage, altéré par le fait colonial.
À cette cécité congénitale s’ajoute sinon le refus, du moins la difficulté, d’imaginer l’histoire comme une œuvre commune et comme une addition de l’apport de chaque peuple. D’où la nécessité de vaincre les obstacles qui empêchent le développement de l’Afrique, menacent sa sécurité et hypothèquent sa survie afin qu’elle ne fasse pas les frais du progrès humain : froidement écrasée qu’elle serait par la roue de l’histoire.
Grâce à Cheikh, la thèse de l’Européocentrisme, ce narcissisme occidental et son corollaire, le nombrilisme culturel, est battue en brèche et rendue caduque.

S’il fallait retenir un seul conseil de Cheikh nous opterons pour celui-ci « A formation égale, la vérité triomphe. Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents (…) et arrachez votre patrimoine culturel. Ou alors traînez-moi dans la boue, si quand vous arrivez à cette connaissance directe vous découvrez que mes arguments sont inconsistants, c’est cela, mais il n’y a pas d’autre voie. »

6 Commentaires

  1. Cheikh Anta était simplement le meilleur. Il faut que les Sénégalais prennent le temps de lire ces écrits. Une énorme fierté pour tout le continent!

  2. Il est plus qu’impératif que la jeunesse Sénègalaise lise et étudie l’oeuvre de Cheikh Anta Diop. Une fois qu’on étudie son oeuvre, le reste coule de source. Par reste, j’entend le fait de sentir une nouvelle personne naître au sein de soi…..comme décrit dans le texte.

  3. L’avoir isolé, muselé, mis en quarantaine,étouffé, le laisser mourir a petit feu, Voila la faute primordiale que nous expions de nos jours et pour longtemps. Les peuples payent a prix fort ce genre de crime s’ils ne savent pas saisir a leur profit les instruments que la Providence mis à leur service .

  4. Eh oui, et son sort fut aussi funeste que celui de Blaise Compaoré ou tant d’autres hommes bien éveillés. A qui la faute ?? Il me semble qu’il faut pas chercher très loin. Il suffit juste de tourner la tête, car s’il s’agit de niveler vers le bas ou de poser un boulet à la cheville du compagnon qui avance plus vite que soi il me semble que personne ne nous égale dans ce domaine. Comme quoi on ne sais pas reconnaître La personne a sa juste valeur au moment voulu, il est beaucoup plus facile d’ériger une stèle sur une tombe.

  5. Le gros problème avec les disciples de CAD, c’est qu’ils ne font que s’extasier devant l oeuvre du Cheikh dans une attitude béate et totalement contre productive de contemplation stérile. S’ils ne montent pas la garde devant le caveau dans l’attente d’éventuels profanateurs au risque d’en créer de toutes pièces (Boris vs Bachir). En continuant encore à vous lamenter du sort cruel réservé à CAD sans essayer de traduire en actes ses théories, vous perpétuez une cruelle persécution outre tombe

    • Une erreur de jugement.Il s’agit ici d’une revue de sa pensée, de rappel historique de notre patrimoine culturel commun et de leçon universelle d’histoire et non de contemplation béate partisane

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