PAR MOUTAPHA BOYE
Il dérangeait assurément, le commissaire Cheikhna Keïta ! Le pauvre, il n’avait sans doute pas compris qu’au royaume des ripoux, il valait mieux bouffer comme tout le monde et fermer sa gueule ! Au lieu de quoi, il a choisi de jouer les « Monsieur Propre ». Tant pis pour lui. En tout cas, la sentence n’a pas tardé à tomber sur sa tête. En conseil des ministres, jeudi dernier, il a été purement et simplement démis de ses fonctions de directeur de l’OCRTIS (Office central de répression du Trafic illicite de stupéfiants).
Son crime gravissime ? Avoir dénoncé des choses pas du tout catholiques qui se déroulaient dans ce service. Quelques semaines après son arrivée, en effet, il avait été approché par un Nigérian vivant à Dakar qui lui avait demandé le plus sérieusement du monde de lui revendre la drogue saisie et qui se trouvait dans un gros coffre installé dans son bureau. Il avait failli tomber à la renverse ! Se reprenant, il avait demandé en substance à son interlocuteur s’il se moquait de sa gueule. Pas du tout, lui a répondu tranquillement le Nigérian.
Et d’ajouter : « mais, ça s’est toujours passé comme ça, la drogue destinée à être incinérée chaque année nous était revendue et ce qui était brûlé devant les caméras, c’était de fausses boulettes contenant de la farine ». Après avoir pris bonne note, le commissaire Cheikhna Keïta avait rendu compte — par écrit — à sa hiérarchie. Après quoi, prenant ses responsabilités de flic, il avait fait arrêter le Nigérian non sans l’avoir piégé auparavant de manière à ce qu’il soit pris la main dans le sac.
On s’attendait à ce que ce commissaire sans peur et sans reproche soit félicité par sa hiérarchie et à ce que le ministre de l’Intérieur, le général Pathé Seck, ouvre une enquête à propos des faits — ou en tout cas des allégations — graves portées à sa connaissance. Il n’en a rien été et le pauvre commissaire a été sacrifié sur l’autel de la solidarité de corps. En effet, il lui a été reproché de porter atteinte à l’image du corps. Tu parles, et les brebis galeuses qui, au sein de ce corps, « dealaient » avec des trafiquants nigérians, ils contribuaient à soigner l’image de la Police ?
Cette réaction de la hiérarchie policière et de son chef ne cesse en tout cas d’inquiéter. Ou alors les révélations de Cheikhna Keïta risquaient-elles de mouiller tout un corps ? Une chose est sûre : le pauvre commissaire s’était attaqué à une très grosse proie puisque son prédécesseur à la tête de l’OCTRIS n’était autre que le commissaire Abdoulaye Niang, actuel Directeur général… de la Police nationale !
Une autre chose est également sûre : il se passait de drôles de choses à l’OCRTIS, ce service chargé de traquer les trafiquants de drogue. Car si de temps à autre ses agents opéraient des saisies largement médiatisées, histoire de montrer qu’ils travaillent, la plupart du temps… eh bien, la plupart du temps ils n’arrêtaient aucun délinquant ! Selon ses amis, le commissaire Cheikhna Keïta a découvert des choses gravissimes qui peuvent faire sauter plusieurs fois cette République. Il était donc devenu urgent de le faire dégager.
Une preuve, une seule, des moeurs qui prévalent à l’OCRTIS. Il y a de cela quelques années, une « drianké » demande avec insistance à être reçue par le commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle Saliou Diallo, alors Directeur général de la Sûreté nationale. Une fois dans le bureau du chef des flics, elle lui raconte qu’elle faisait l’objet de menaces de la part d’un inspecteur de l’OCRTIS.
Lequel lui avait prêté la somme de… 50 millions de francs pour ses affaires. Elle en avait remboursé une bonne partie mais était confrontée à des problèmes pour solder le reste. C’est pourquoi le flic la menaçait de lui faire sa peau. Quoi, un inspecteur de police qui peut se permettre de faire des prêts de cinquante millions ? Le sang du brave commissaire Saliou Diallo n’avait fait qu’un tour. Il muta donc illico le flic en question dans un commissariat de brousse, très loin de Dakar, par mesure conservatoire.
Eh bien, dès qu’il quitta la DGSN, le brave inspecteur fut ramené à son service. Bref, il se passe de drôles de choses à l’OCRTIS et il était hors de question qu’un propre comme Cheikhna Keïta y fasse de vieux os ! Sans compter que l’image du corps — entendez la Police — doit être sauf en toutes occasions…
Le Témoin