Une réaction attendue, chaque fois qu’on ose la crise au Sénégal, est le fameux « Yag baoul dara » (NDLR rien n’est à l’épreuve du temps dans le sens, il ou elle va céder aux sirènes du pouvoir aussi). Elle parle parce qu’elle veut sa part du gâteau! Pas que cela m’offusque, mais cette propension à réduire l’engagement politique ou tout simplement citoyen à un moyen de réussite sociale me hérisse au plus haut point. Cela se reflète consciemment, ou inconsciemment, dans nos discours; quand une personne est nommée à un poste de responsabilités, les expressions qui accueillent la nouvelle sont assez édifiantes : » sa liguédiou ndeye la, teed nga »*, tu critiques une démarche « dafa sokhor » (aigri, méchant), ou « il n’est pas convié au banquet donc crache sur la soupe » (lekhoul si thiéré dji dafa siy kheup souf)… Tout renvoie à l’idée de gâteau, de convoitise, de butin et de partage. On met rarement en avant les notions de responsabilités, d’espoirs placés en soi, d’attentes à combler. Un ami, très croyant et qui se plaît à confondre ma rationalité avec de l’agnosticisme, a souvent tendance à me répéter que le pouvoir est un décret divin. Je veux bien le croire, en autant qu’il puisse comprendre que la destinée, ou « main de Dieu » passe par l’espoir que le peuple place en toi. Un espoir qui se traduit en votes qui amènent nos présidents « biens élus » au pouvoir et qu’ils s’empressent souvent d’oublier.
On a tous connu nos présidents « marcheurs », « grévistes de la faim », harangueurs de foules pour les mobiliser contre une injustice, quand ils étaient dans l’opposition. Ce qui est étonnant, c’est comment ils virent casaque dès qu’ils accèdent au pouvoir. Interdisant marches et rassemblements, envoyant gaz lacrymogène et jets d’eau sur les opposants de l’heure. Mais quelle folie et quelle mémoire courte! L’histoire semble bégayer encore au Sénégal et les mêmes causes vont produire les mêmes effets. C’est imparable!
On présente toujours le Sénégal comme une grande démocratie; si c’est encore le cas, elle est actuellement mal en point mais la chose qui, pour moi, est acquise, c’est la maturité du vote. Pas une maturité démocratique, comme on pourrait s’y attendre, mais une conscience populaire du vote, de l’importance d’exprimer sa voix, de sanctionner ou d’appuyer et même de consoler. Oui, je pense que mes concitoyens aiment bien panser les plaies de nos politiciens malmenés, ce qui amène souvent à penser que le futur président est toujours l’opposant le plus persécuté, celui dont le peuple identifie l’injustice comme la sienne. La chose triste là-dedans est que nous risquons souvent d’avoir des présidents mal élus. Mal élus dans le sens que le vote populaire est d’abord contre celui en place et en faveur, soit du maltraité ou du premier opposant à se pointer au second tour. Cela donne des fausses majorités avec des pourcentages élevés au second tour qui sont rarement des plébiscites mais plutôt l’expression du ras-le-bol général.
Si on revisite l’histoire politique au Sénégal, Senghor l’a connue pas mal tranquille, jouant avec l’opposition et sa grande connaissance des composantes de la société sénégalaise pour tirer son épingle du jeu et a eu l’intelligence de partir avant que cela ne soit trop tard. Diouf, héritier installé, même s’il n’était pas le favori en son temps, a pris ses aises, épatant la galerie à l’international et ne s’occupant pas vraiment de ce qui se passait dans son pays et au sein de son administration. Il a laissé les caciques de son parti mener le jeu comme ils le voulaient; des caciques qui, c’est hallucinant, plus de 20 ans plus tard, sont avec l’actuel pouvoir. J’ai envie des fois de dire : pincez-moi, je rêve! Un mauvais rêve. Des barons de la politique qui sont vraiment comme des phœnix, renaissant de leurs cendres avec souvent un plumage différent. Je me souviens que chaque fois que les jeunes excédés sortaient dans la rue, que la population manifestait son mécontentement, à la maison, un vrai vivier politique en son temps, ma mère soupirait l’air de nous dire : calmez-vous et la phrase immanquable « Sénégalais meunn naniou fall mais douniou folli » (Ndlr le Sénégalais est prompt à élire quelqu’un mais rechigne à le démettre…). Un jour de l’an 2000, les Sénégalais ont décidé de tirer la carte « folli« * pour Diouf, ce qui s’est traduit par Sopi*, pour Abdoulaye Wade. Un Sopi attendu, espéré par le peuple. Un peuple qui sera encore déçu et qui verra les habitués aux lambris du pouvoir se ramener, accueillis par le vainqueur dans un laps de temps. Un vainqueur qui, ayons la franchise de le dire, s’est séparé de la coalition qui l’avait pourtant mené au pouvoir, créant de nouvelles alliances, régissant le pays, son parti et ses alliés selon son bon vouloir. Il a aussi réalisé de belles choses, je vous l’accorde et, cerise sur le gâteau, à créé une flopée de nouveaux riches, le milliard devenant le nouveau barème pour établir sa fortune. Wade et son entourage, pour ne pas dire sa cour, n’ont pas cru que ce peuple qui les avait portés au pouvoir, pouvait les démettre comme cela, au détour d’un vote. Lui, comme son parti, misant sur le pouvoir de l’argent, des porteurs de voix et autres guides religieux. Deux choses qui n’ont plus de prise sur le peuple, sinon Abdoulaye Wade n’aurait jamais perdu face à Macky Sall qui faisait office de petit poucet martyrisé. Le pouvoir des porteurs de voix que sont les marabouts s’effrite, mis à mal par une trop grande implication politique, des revirements spectaculaires, si ce n’est la neutralité la plus sage. Le pouvoir de l’argent corrupteur a aussi été apprivoisé, les plus forts résistants et les autres, que je ne me donne surtout pas le droit de condamner, ayant compris qu’il faut juste encaisser et, le jour décisif, aller exercer son vote, tout aussi décisif. Cela ne prenait pas trop de réflexion, ou la tête à Papineau, comme on dit au Québec, pour comprendre que la source n’allait jamais se tarir tant que la politique serait pratiquée de la même manière au Sénégal. La personne qui vient remplacer le précédent mettra, elle aussi, la main à la poche et la dîme sera alors toujours là… C’est un peu jouer à qui perd gagne. Laissons-les donc croire ce qu’ils veulent. Tous les mêmes aurait dit l’autre.
Oui, l’histoire semble malheureusement bégayer au Sénégal. La moyenne d’âge a peut-être pris un coup de jeune dans les sphères de la politique, mais pas les bonnes vieilles pratiques. Les affranchis de la persécution par le vote d’une majorité ulcérée semblent souffrir d’une amnésie incompréhensible. Des calculs savants sont élucidés, suivant le syndrome du novice millionnaire, multipliant les gains, ici des voix, au gré de projections fantaisistes qui ont comme seul soubassement un désir ardent de rester au pouvoir. On oublie qu’au Sénégal même une solide base politique, comme le PS et le PDS l’ont eu, ne garantit aucunement la réélection. Le peuple sanctionne, au-delà de toute partisanerie; s’il est mécontent, tu passes à la trappe. Et apparemment il n’est pas heureux! La relative jeunesse de l’actuel président nous aurait fait penser que les choses allaient changer mais c’est vraiment loin d’être le cas. C’est toujours le même type de pouvoir, de gouvernance, engoncé dans des habits confortables, de plus en plus coupé du peuple. Un peuple à qui on intime l’ordre de se taire et de respecter les institutions. Des institutions qui sont pourtant tributaires de ce peuple, à qui elles doivent respect et des comptes clairs alors qu’on a tendance à nous faire croire le contraire. Dans une démocratie qui se respecte un fonctionnaire n’est pas radié pour avoir alerté sur des irrégularités, au contraire, il en a l’obligation, s’il est au courant de pratiques illégales, sinon ce serait de la complicité. Pris dans un scandale ? Tu démissionnes. Des accusations de corruptions ? Une commission d’enquête est créée pour tirer l’affaire au clair. Il ne faudrait pas nous amener à confondre devoir de réserve et complicité. Il faut toujours savoir quand cela s’applique et rendre des comptes.
Il faut redéfinir les règles, la politique étant effectivement un métier, n’en déplaise à ceux qui veulent véhiculer le contraire. Nous savons tous qu’il y a trop peu de vertu dans la chose, encore moins de philanthropie, alors essayons plutôt de nous atteler à réguler de la bonne façon. Apportons une régulation claire notamment pour le financement des partis politiques avec des plafonds, des règles de contribution, des lois sur le lobbyisme; les salaires et budgets des élus et autres ministres, bien définis, avec obligation de les rendre publics. Une loi conséquente d’accès à l’information et une obligation de rendre des comptes seraient aussi les bienvenues, mais pour ces derniers points cela prend un pouvoir législatif et judiciaire pas mal indépendant de l’exécutif ce qui, aujourd’hui, n’est absolument pas le cas. Une panoplie de mesures peut encore être mise en place, rien de neuf sous le soleil, on ne crée rien, juste les conditions d’une vraie bonne gouvernance. Le jour où le Sénégal expérimentera la cohabitation, il y aura peut-être un véritable changement. En attendant, on fait quoi ? On prend les mêmes et on recommence?
Khady Sow
Joker : dans le sens d’élément inattendu qui se révèle déterminant dans le succès d’une entreprise
* » sa liguédiou ndeye la, teed nga » : Les fruits des ‘’sacrifices’’ de ta maman, t’as réussi (réussite sociale)
* »folli» : démettre
* »Sopi » : changement
Article intéressant. juste deux choses à corriger. Quand vous dites que Senghor a eu l’intelligence de partir avant qu’il ne soit trop tard c’est soit parce que vous ne maitrisez pas les dossiers « non élaborés dans la place publique » ou bien vous avez fait un lapsus. secundo
La politique n’est pas un métier!