Un boulevard pour La Palice et Wade saura où se tenir. Le président de la République n’aura pas la naïveté de croire que ce que ses ministres et lui se sont dit hier a emporté l’adhésion de tous ceux qui les ont écoutés. En fait, la première vérité est que bien des Sénégalais ont passé la journée d’hier mercredi à zapper, chaque fois que, dans leur recherche, ils sont tombés sur la RTS.
Pour ce qui devait tenir lieu de séminaire, on a eu droit à un format assez insolite. Un séminaire est une rencontre d’experts et de participants invités à échanger sur un thème introduit par un ou plusieurs panélistes. Hier ce qu’il y a eu de commun à tous les intervenants, c’est l’objectif final : convaincre que le pouvoir libéral a eu des résultats en rien comparables à ceux de son devancier de quatre décennies, jusqu’en 2000. Les socialistes apprécieront. Tous ceux qui rêvent de conjuguer Wade au passé ont tout le temps de « démontrer » que les Libéraux ont « échoué ». Nous sommes sur le terrain politique ; l’âpreté de l’adversité n’autorise pas de s’abstenir. C’est platement « oui » ou radicalement « non ». Les Sénégalais qui voudront se mettre entre ces deux extrêmes n’en auront que le tournis. D’abord celui que n’a pas manqué de leur donner la débauche de chiffres. Enseignement supérieur, Education Nationale, Agriculture, Santé, Energie, etc. plus qu’une calculette, c’est un ordinateur et un bon logiciel de comptabilité qu’il faudra pour ne pas se perdre dans les statistiques dévoilées hier.
Et le plus attendu des départements porte un nom avant d’être un ministère. D’ailleurs, au moment de l’inviter à exposer, le modérateur des travaux a donné la parole à « Karim » plutôt qu’au ministre d’Etat. Ce dernier n’a pas fait moins que ceux qui l’ont précédé ou succédé au micro. Des chiffres, beaucoup de chiffres et une réponse en-deçà des attentes, pour une question aux allures de ritournelle : à quand la fin des perturbations dans la distribution de l’électricité ? La réponse a été trop technique pour permettre au commun des usagers de se retrouver dans la terminologie. Entre « pannes de réseaux », « installations défectueuses » « perturbations dans la distribution » et assurance de « disponibilité du combustible pour une période de 35 jours au moins », le consommateur ne voit que le résultat. Il ne s’est pas entendu dire qu’il va bientôt avoir du courant en permanence.
Le Ministre d’Etat en charge de l’Energie a beau aligner des indicateurs rassurants et répété des quarts d’heures durant, que son traitement des dossiers a convaincu les partenaires au développement, rien n’y fait. Et c’est tout le problème du gouvernement, dans l’image qu’il veut projeter de lui-même auprès de l’opinion. Les toujours critiques n’ont pas bougé de leurs positions d’avant le début de ce qu’ils ont généralement qualifié de « spectacle ennuyeux ». Les déjà convaincus n’attendaient que le baisser de rideau pour applaudir à tout rompre. Quand les positions sont aussi tranchées dans l’opinion, quasi sans considérations des contenus des messages, on peut se demander s’il était utile de se payer un moment de communication comme en a abrité hier le Méridien Président.
Mais on ne peut raisonnablement pas reprocher à un gouvernement de communiquer sur ses réalisations. Ses adversaires ne se privent de toute façon pas de mettre en exergue les points d’insatisfaction de la demande sociale. Surtout que l’opposition sénégalaise et ceux qui tirent dans la même direction ne sont pas avares de mots pour mieux insister sur « la carence et l’incompétence » des Libéraux.
Deux secteurs semblent être le point d’Achille pour Abdoulaye Wade, président depuis 2000 : l’Agriculture et l’Energie. Le tableau reluisant présenté par le ministre Abdou Khadim Guèye ne suffit pas à convaincre que le paysan sénégalais vit mieux. S’est-il appauvri ? Pas au vu du rapport présenté par le ministre ayant mission d’améliorer les conditions de vie du monde rural.
Le ministre d’Etat en charge de l’Energie a avoué une chose « je ne dis pas qu’il n’ y aura plus de délestages ». On retombe sur ses pieds. La constante est que l’électricité manquera encore aux ménages, aux entreprises et aux services ; ce qu’il fallait dire. Les promesses restent ce qu’elles sont. Elles ont quand même été accompagnées de prise à témoin parmi les partenaires au développement. La Coopération internationale a ouvert de nouvelles pistes par la diversification des intervenants : Inde, Chine, Corée du Sud, Brésil et de plus en plus, le déjà traditionnel Japon. La France et les Etats-Unis ont-ils des raisons de se faire des soucis ? Karim Wade les a amplement cités au nombre de ceux qui aident dans la réalisation des infrastructures. Les déjà achevées et celles à venir.
Autre ministre d’Etat, d’autres lauriers : Abdoulaye Diop tient bien la maison. La preuve par son rang de « meilleur ministre des finances… » et la « pluie de milliards » qui tombent sur le Sénégal. Le Trésorier en chef a révélé le secret : le président de la République aurait déjà dit à ses ministres que « l’argent existe, il faut savoir aller le chercher ». Diop a su mettre la théorie en pratique. Wade et son ministre d’Etat ne se sont pas privés de faire un clin d’œil aux dubitatifs : ceux qui mettent leur argent dans les projets développés par le gouvernement du Sénégal ne sont pas des philanthropes. Ils savent leurs investissements sécurisés. Parce que le département de l’Economie et des Finances se porterait, au moins, comme le ministère de Modou Diagne Fada. Ce dernier a enregistré des succès attestés par la communauté des bailleurs de fonds. Mais l’atteinte des Objectifs du Millénium pour le Développement (OMD) demande d’autres substantiels efforts.
Dans le chapiteau aux allures de fournaise installé au Méridien Président, le défilé d’hier a pris des heures, le discours se refusant à la monotonie, le modérateur aux anges. A l’arrivée, Wade obtient un premier résultat. Il a repris l’initiative après avoir, des mois durant, été contraint de jouer dans son camp. Le voila parti à l’offensive. Pourvu que son réveil ne soit pas tardif, alors que l’arbitre a les yeux rivés sur son chrono.
Par Ibrahima Bakhoum