19 mars 2000-19 mars 2010, il y a 10 ans s’abattait sur le Sénégal un tsunami démocratique, ravageant tout sur son passage, surprenant les uns, confortant les autres dans leur position. En tout état de cause, mettant le Sénégal, une démocratie jusque-là sans alternance, dans le cercle des pays installés confortablement et (définitivement ?) dans le cercle des pays respectés. Au lieu de faire le bilan d’une alternance que tous les Sénégalais vivent, ressentent et voient au jour le jour et que chacun apprécie selon qu’il est pour ou contre le pouvoir en place, « L’As » a préféré interpeller certains acteurs directement impliqués par le tournant décisif et spectaculaire que notre pays a connu il y a 10 ans. Pour nous expliquer ce qu’ils ont vécu dans leur chair et dans leur sang, au plus profond d’eux-mêmes la défaite ou la victoire du 19 mars. Ont-ils pleuré, ont-ils dansé, ont-ils crié de joie, ont-ils préféré aller prier pour rendre grâce à Dieu, Me Aïssata Tall Sall, Djibo Leyti Kâ et Ousmane Masseck Ndiaye expliquent le jour le plus long du Sénégal depuis 1960.
Aïssata Tall Sall (PS)
Pour nous socialistes, le 19 Mars commence en réalité dès le 27 Février 2000.
En effet, les résultats du premier tour de l’élection présidentielle avaient déjà fait sonner l’alerte au Directoire de Campagne du Président DIOUF. Pour autant, rien n’indiquait la déferlante SOPI du 19 Mars. A Podor où je me trouvais pour le vote, tout semblait calme, serein et tranquille. Il est vrai que les Foutankés s’étaient largement exprimés pour DIOUF et l’avaient porté à la victoire dès le premier tour. Je quittai Podor rassurée, quoique quelque peu préoccupée quant au reste des résultats.
A Saint-Louis, l’effervescence dans les rues m’enseigne que quelque chose d’inhabituel se produisait. Les passants du Pont Faidherbe, comme pris par on se sait quelle angoisse existentielle, le poste radio scotché à l’oreille, me disaient dans le silence de leur regard inquisiteur (surtout lorsqu’ils me reconnaissaient) que le changement était bien possible et même en cours de se réaliser.
Que faire alors ? Appeler au téléphone ? attendre d’arriver à Dakar pour voir, entendre, jauger, comprendre et agir ?
Tout cela se bousculait dans ma tête, parfois en symbiose, souvent en pleine contradiction. Un sourd, lourd et mauvais pressentiment m’envahit. Pour combien de temps ? Je ne saurais le dire.
Pourtant il faut se ressaisir, s’armer de conviction, d’action et d’optimisme. Aussi, je ne pouvais me laisser gagner et abattre par l’échec. La route fut le chemin de la réflexion, voire de l’introspection.
Une fois à Dakar, je montai au Palais de la République vers 23 heures ou un peu avant minuit. La bande FM explosait avec les résultats du monde rural que nous guettions avec espoir et anxiété : Kolda – Vélingara – Kédougou – Bignona. Peine perdue ! ceux-là aussi n’annonçaient pour nous rien de bon.
Au Palais de la République, l’évidence s’imposait ; et dans ce sanctuaire du pouvoir, il m’est confirmé que celui-ci était perdu.
Demain, il fera jour et nous attendrons le verdict du Conseil Constitutionnel. Trop tard, DIOUF se substitua à la Haute Juridiction.
Le 20 Mars, vers 11 heures, au siège du Directoire où je me trouvais avec d’autres camarades, quelques informaticiens et l’équipe de Jacques Séguela, un concert strident de klaxons, de taxis et de motocyclettes nous extirpa de nos réflexions.
« Que se passe-t-il », interrogea une jeune fille de l’équipe Seguela, toute paniquée à l’idée d’un déferlement de violences annoncées si WADE ne remportait pas l’élection.
En fait, DIOUF venait de féliciter WADE à travers les ondes de Sud Fm.
Le 19 Mars se termina ainsi le 20 Mars à 11 heures.
« Tout est fini ? », interroge quelqu’un. « Non, tout commence puisque tout est à refaire », répondis-je avant de dévaler les escaliers.
Optimiste , je me convaincs que tout n’était pas perdu puisque le Parti Socialiste avait collecté 41% des suffrages, contrôlait l’Assemblée Nationale et le Sénat, restait un Parti fort et organisé, le plus fort et le plus organisé ! C’était hélas sans compter avec la transhumance, cette face hideuse et honteuse de la politique, celle brutale et violente du début, comme celle plus cynique et insidieuse de ceux qui ont rejoint plus tard sous les prétextes les plus sordides. C’était surtout sans compter avec l’ambition des nouveaux maîtres de domestiquer les institutions et de les tailler à leur mesure. C’était enfin sans compter avec l’acharnement mis par le pouvoir à anéantir le Parti Socialiste et les socialistes avec.
Ainsi, le 19 Mars se prolongea au plus loin et au plus profond que l’on ne pouvait imaginer.
Alors, peur ou tristesse ? Rien de tout cela !
Seulement la déception devant l’incroyable gâchis d’un beau jour de démocratie devenu une plaie au cœur de notre système politique. Mais, en optimiste incurable, je porte la forte conviction que cette plaie guérira par un autre « 19 Mars » qui, cette fois, je l’espère du fond de mon être, annoncera la rédemption de la République et le printemps de la Démocratie.
Alors, un jour à oublier ? Certainement pas ! Mais un jour à méditer sur ce qui nous l’a valu mais surtout un jour à se réarmer pour les combats présents et à venir au bénéfice exclusif du Sénégal.
DJIBO KA, SECRETAIRE GENERAL DE L’URD
« J’étais très inquiet, très préoccupé, profondément préoccupé »
Depuis 1973, je vote toujours à Linguère. Le 19 mars, vers 15 heures, j’étais en route pour Dakar et je me suis arrêté à Touba pour faire le plein. Dès cet instant, j’ai su que Wade allait gagner, parce que ce que j’ai vu à Touba, je ne l’ai jamais vu auparavant. Je suis arrivé à Thiès vers 17H30. A 18 heures, à l’entrée de Bargny, j’ai entendu sur une radio privée les premiers résultats des bureaux de vote d’une communauté rurale à Kolda. Partout, Wade était devant. Dès l’instant que Wade prenait le monde rural, j’ai dit que la cause est entendue. Pourquoi ? Parce que de tradition, l’électorat de Diouf est du monde rural. Vers 22 heures, j’étais chez moi avec mon épouse, mes amis, et nous suivions toutes les radios. C’est pourquoi, je voudrais rendre hommage aux radios privées qui ont diffusé en temps réel les premières tendances. Dès cet instant, tout le monde savait que les dés étaient pipés. Jusqu’à minuit, on suivait les radios. J’ai senti en ce moment précis, non pas de la peine parce que Diouf perdait et que j’avais appelé à voter pour lui, mais que quelque chose de profond allait se dérouler dans mon pays. Je me suis dit : « pourvu que cela se passe dans la paix ». Ce n’était pas évident que cela se passât dans la paix. Cette nuit-là, je me suis couché très tard, j’ai dormi vers 3 heures du matin. Cette nuit du 19 mars, les gens sont venus de partout, sont restés jusqu’à minuit et sont partis. Je suis resté seul avec mon épouse dans ma chambre pour suivre les radios. Le lendemain matin à 7 heures, après avoir écouté Rfi à 6H30, je suis passé aux radios privées locales.
Comme d’habitude, le ton était général, mais Dakar n’était pas encore en effervescence. Pour moi donc, j’ai la paix que je souhaitais pour mon pays. J’étais très inquiet, très préoccupé, profondément préoccupé parce qu’en Afrique, les choses ne se passent pas toujours comme cela.
« Diouf était très serein »
Le 20 mars à 11H30, j’étais à la maison, sur la terrasse avec beaucoup de gens. J’ai entendu sur une radio privée que Diouf a appelé Wade. Immédiatement, j’ai dit Al Hamdoulilahi ! C’est ainsi que j’ai pris mon téléphone pour appeler Diouf et je lui ai dit que j’avais entendu la nouvelle et qu’il avait très bien fait. Diouf était très serein. Avant de terminer, il m’a beaucoup remercié. C’est ensuite que j’ai appelé le Président Wade qui venait d’être élu, même si ce n’était pas encore proclamé officiellement. Je l’ai félicité très chaleureusement. Sur ce, il m’a dit : « on se verra plus tard ». Voilà ce que j’ai vécu entre le 19 et le 20 mars. J’ai poussé un grand soupir parce que le pays venait de franchir, dans la paix, une étape historique fondamentale. Je savais bien que Wade pouvait gagner, qu’il allait même gagner. Je le savais bien, mais cela ne m’a pas empêché, le 14 mars, d’appeler à voter Diouf, parce qu’il a accepté mon programme.
« Mon soutien à Diouf ? : un acte de folie philosophique »
Objectivement, j’étais conscient que Diouf pouvait perdre. Même s’il avait gagné, il ne pourrait pas gouverner, et pourtant je l’ai soutenu mordicus, contre vents et marées. C’est ce que j’appelle un acte de folie philosophique. Les gens n’ont rien compris. L’histoire est pleine d’enseignement, ce n’est pas la peine d’aller plus loin. Je ne me suis jamais inquiété pour mon avenir politique parce qu’il est entre les mains de Dieu. Un homme politique doit poser des actes de courage. Ma femme m’a beaucoup encouragé, non pas pour soutenir Diouf. Elle était même contre Diouf, elle m’avait demandé d’appeler à voter Wade, je n’ai jamais dit oui, parce que j’avais un programme et Diouf avait accepté de le prendre en charge. Mon avenir étant entre les mains de Dieu, j’étais très solide moralement. Je n’ai jamais eu peur de ce que j’ai fait. C’est le 20 mars que j’ai commencé, vraiment, à respirer, car je me demandais si autour de Diouf, il n’y aurait pas des extrémistes qui le pousseraient à commettre l’irréparable. Connaissant Abdou Diouf et son sens élevé de la République, je me suis dit qu’il ne commettra pas d’acte de nature à faire basculer le pays dans le chaos. En effet, il ne l’a pas fait.
OUSMANE MASSECK NDIAYE
« Omar Sarr et moi étions seuls contre tous… »
« C’est un sentiment de fierté et de satisfaction d’avoir appartenu à un parti et d’avoir cru en un homme pendant plusieurs décennies, épousé ses idées et être arrivé au bout de notre lutte en portant cet homme à la tête du pays. Sentiment de satisfaction, parce que j’étais responsable du parti à Saint-Louis, avec mon frère Omar Sarr et malgré toutes les difficultés, les menaces du Pouvoir, nous avons su tenir la barre dans notre région et gagner largement alors que nous deux, nous étions seuls contre tous. C’est le 19 mars qu’on a compris que nous avons une lourde responsabilité : poursuivre derrière Wade le travail commencé. Aujourd’hui, nous ne nous sommes pas trompé sur l’homme puisque beaucoup de Sénégalais apprécient son travail, ses réalisations dans les domaines, des infrastructures de l’Education, de la Santé et c’est cela la base de la lutte contre la pauvreté. C’est pourquoi, en célébrant les dix ans d’alternance, nous ne pouvons qu’être fier du Président pour tout cela ».
Lasquotidien.info