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Comment le pouvoir orchestre-t-il la fraude électorale ?

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 Alors que l’opposition a son attention focalisée sur la question de la recevabilité de la candidature d’Abdoulaye Wade à la présidentielle de février 2012, il s’en passe en catimini des choses qui risquent de vider le scrutin de son enjeu et garantir d’emblée la victoire du camp présidentiel. A Touba, l’un des principaux réservoirs de suffrages du pays, se met en place un dispositif particulièrement sophistiqué de gonflage des listes électorales et d’orchestration d’un irrattrapable écart de voix au profit du candidat au pouvoir. En dehors de toute forme de contrôle de l’opposition, des missions s’y attellent depuis plusieurs semaines à établir des cartes nationales d’identité et à inscrire leurs titulaires sur les listes électorales. Des milliers de personnes dépourvues de papiers sont dotées d’actes de naissance à l’occasion d’audiences foraines pour l’organisation desquelles une somme de 50 millions de francs cfaa été remise au président du conseil rural.
Des transferts massifs de personnes et des enrôlements à flux tendu ont aujourd’hui abouti au chiffre hallucinant de 150 000 nouveaux inscrits. Ajoutés aux électeurs de l’ancienne liste, ces nouveaux venus font de la ville sainte l’une des plus importantes circonscriptions électorales à côté de Dakar et de Thiès. Toute la stratégie du chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, consiste à s’arroger les suffrages de ce bétail électoral de manière à distancer irréversiblement ses adversaires. Réunis le 8 août, les leaders de Bennoo Siggil Senegaal, le Comité électoral national de ladite coalition et le Comité de lutte et d’action pour la régularité et la transparence des élections ( Clarte, qui fédère toute l’opposition et la société civile) ont décidé d’envoyer des experts dans la ville sainte pour s’enquérir de la réalité de ce qui s’y passe et proposer des moyens de le contrer.
Mais le pouvoir n’a pas que cette corde à son arc. L’autre stratégie qu’il déploie pour garder la haute main sur le processus consiste à affaiblir le comité de veille, structure paritaire censée le baliser. Formé de cinq membres de la mouvance présidentielle et cinq autres issus de l’opposition, le comité de veille a besoin d’un budget de 450 millions de francs cfa pour fonctionner. Quand il en a touché un mot au chef de l’Etat, celui-ci l’a dirigé vers le Premier ministre qui l’a aiguillonné à son tour vers le ministre des Finances. Abdoulaye Diop n’a pu débloquer que 150 millions. N’est-ce pas l’Etat du Sénégal qui avait interdit au comité de veille de solliciter l’assistance de l’étranger, estimant devoir financer ses élections pour sauvegarder la dignité nationale ? Dépourvu de moyens, le comité de veille a remarqué l’absence de représentants des partis au sein des commissions administratives d’inscription qui se retrouvent ainsi de facto sous le contrôle exclusif d’agents dépendants du candidat au pouvoir. Le comité de veille a également et surtout noté que beaucoup de cartes d’électeur issues des refontes de 2006-2007 n’ont pas été récupérées par leurs propriétaires. Ces cartes sont susceptibles d’être utilisées pour bourrer des urnes. Si elles ne sont pas distribuées, les représentants de l’opposition au sein du comité de veille suggèrent qu’elles soient détruites avant l’élection.
Si les différentes manœuvres sont déjouées, le régime risque de réitérer la rétention de bulletins de vote comme en 2007. Thiès, le fief d’Idrissa Seck avait, par exemple, été très peu approvisionné en bulletins de ce candidat au cours de la présidentielle écoulée. C’est ainsi que l’opposition a décidé de réclamer que le vote se déroule sur la base d’un bulletin unique, plus transparent et plus économique. L’argument qu’on lui avait servi il y a cinq ans, à savoir qu’il était trop tard pour le fabriquer, ne peut plus prospérer cette fois-ci où la requête va être formulée à temps.
L’autre réservoir de fraude c’est celui des militaires qui votent avant les civils. Pour éviter que les urnes, gardées au ministère de l’Intérieur, ne fassent l’objet de manipulations, Clarte va exiger que civils et militaires votent le même jour.
Mais la carte maîtresse du pouvoir est sans nul doute son ministre de l’Intérieur, patron de l’administration territoriale. L’opposition va récuser le ministre chargé des Elections, qui est un simple faire-valoir à ses yeux, et exiger la nomination d’une personnalité militaire ou civile neutre pour encadrer l’organisation de l’élection confiée à la Commission électorale nationale autonome (Cena).
Le pouvoir veut laisser sur le bord de la route 1,3 millions de jeunes dont il est sûr de ne pas pouvoir obtenir les suffrages. Ses adversaires s’y opposent, qui vont proposer un report de la date de clôture des inscriptions jusqu’à fin septembre.
Le pouvoir d’Abdoulaye Wade actionne divers leviers pour tourner le jeu en sa faveur. « Le pouvoir organise sa victoire et non une élection », en a déduit Massène Niang, leader du MSU, lors de la réunion du 8 août. Le laissera-t-on faire ? Jusqu’où ira l’opposition pour gripper la machine à frauder mise en place par le régime  ?

(Par Cheikh Yérim Seck).

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