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Comment résoudre l’équation de l’emploi au Sénégal ? Par Pr Demba Sow

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L’emploi décent est une denrée très rare au Sénégal depuis les années 1980. Beaucoup de jeunes sénégalais, diplômés ou non, sont sans emploi décent. Ils vivent un calvaire insoutenable et sans fin car les pouvoirs publics semblent impuissants face à ce drame que vit au quotidien notre vaillante jeunesse. Les différents pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays ont tous mesuré l’ampleur et la gravité du chômage des jeunes mais leurs traitements à cette bombe à retardement se sont révélés inefficaces à l’épreuve de la pratique. Le pouvoir du Président Abdou Diouf avait imaginé des formules diverses pour caser les diplômés de l’enseignement supérieur que la fonction publique ne pouvait plus absorber. Les experts de l’époque avaient cru que tout diplômé de l’université était un entrepreneur potentiel à qui il ne manquait que des financements pour créer son entreprise. On connait la suite. Tous les projets de création d’entreprises par des « maitrisards » sur financement de l’Etat avaient échoué. Il en a été de même avec le Président Wade qui avait utilisé le même remède contre le chômage que le Président Diouf. Le Président Macky Sall va probablement échouer dans sa lutte contre le chômage des jeunes car il utilise la même thérapie que ses prédécesseurs. Sa nouvelle trouvaille qui est la Délégation à l’Entreprenariat Rapide (DER) va couter cher aux contribuables et ne réglera pas le crucial problème de l’emploi au Sénégal.

Le Président Senghor avait créé le compte K2 pour promouvoir une bourgeoisie nationale capable de créer des entreprises dans tous les secteurs de l’économie pour le développement du Sénégal. A cette fin, des milliers de sénégalais avaient été financés par l’Etat. Au bilan, aucun des bénéficiaires du compte K2 n’était devenu un entrepreneur et finalement ce sont les contribuables qui avaient perdu des milliards de Francs CFA.

L’ouverture d’écoles primaires dans tous les gros villages du Sénégal en 1960, 20 ans après, est à l’origine de l’arrivée massive de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur dans le marché du travail. A cette époque, le Sénégal était en pleine ajustement structurel. La fonction publique n’embauchait plus mais encourager plutôt le départ volontaire à ses salariés. Pour résoudre l’équation de l’emploi des diplômés de l’université, de plus en plus nombreux, le Président Diouf ouvrit une ligne de crédit à la Sona banque pour financer les projets de ces chômeurs de type nouveau. Ayant participé à l’encadrement technique de quelques bénéficiaires de crédit en 1987, j’affirme que cette thérapie du Président Diouf, une idée très généreuse certes, a été un échec. Comme avec le compte K2, le contribuable sénégalais avait perdu encore plusieurs milliards de Frans CFA. Cet échec de l’opération maitrisard est la deuxième preuve qu’un entrepreneur ne se fabrique pas par coups de financement à tout porteur de projet.

Arrivé au pouvoir en 2000, le Président Wade savait que l’emploi des jeunes était une des demandes les plus pressantes des sénégalais. Il créa à l’entame de son magistère le Ministère de la jeunesse pour prendre en charge les préoccupations spécifiques de cette frange très importante de la population sénégalaise. Il semble que cette création correspondait à un besoin réel car ce Ministère existe toujours. Pour l’emploi des jeunes, le Président Wade imita presque fidèlement le Président Diouf. Il créa des agences qu’il confia à des jeunes sans la moindre expérience. Des milliards furent décaissés pour financer des milliers de projets. Au bilan, le Président Wade, comme le Président Diouf, échoua dans sa recherche à juguler le chômage des jeunes. Le contribuable perdit encore des milliards de Francs CFA.

Le Président Sall est très préoccupé lui aussi par l’emploi des jeunes. Il avait promis qu’il créerait 500 000 emplois pendant son quinquennat mais après 6 années au pouvoir, il est loin du compte. Un Conseiller du Premier Ministre a dit récemment, je suis en phase avec lui, que le chômage des jeunes est une bombe sociale au Sénégal. Pour désactiver cette bombe de plus en plus menaçante, le Président Sall a réactivé les méthodes de ses prédécesseurs. Il a supprimé les agences du Président Wade sans les évaluer et en a créé une qui ne semble pas lui avoir donné satisfaction. Il s’est rendu compte sans doute que cette thérapie est inefficace contre cette maladie gravissime de notre société alors que des milliards du contribuable ont été encore décaissés pour financer des projets sans lendemain. Le contribuable a encore casqué. La dernière trouvaille du Président Macky Sall pour venir à bout du chômage des jeunes, est d’accélérer la cadence du financement de l’entreprenariat. Une ligne de crédit de 30 milliards de Francs CFA aurait été confiée à la Délégation à l’Entreprenariat Rapide. La DER est chargée de financer les projets bancables que les jeunes demandeurs d’emplois lui soumettront. Cette nouvelle trouvaille de l’Etat qui est le clone parfait des thérapies des présidents Diouf et Wade n’atteindra pas ses objectifs pour au moins 2 raisons. En matière de création d’entreprises, la rapidité est synonyme d’échec. Les géniteurs de la DER n’auraient pas dû mettre l’accent sur la rapidité du traitement des dossiers. Les gestionnaires de la DER pourraient confondre rapidité et précipitation. Qui vivra verra. La 2ème raison de l’échec probable de la DER est que tout chômeur porteur de projet n’est pas un entrepreneur potentiel. Avec la DER, le contribuable va encore perdre plusieurs milliards de Francs CFA et le Président Macky Sall sera encore insatisfait.

Le drame du Sénégal est qu’on n’évalue pas nos projets et programmes après leur échec ou succès. L’expérience est finalement sans intérêt pour nos autorités qui ne se fondent sur rien pour pondre leurs projets anti-chômage. Le Président Wade n’avait pas évalué la politique d’emploi des jeunes de son prédécesseur. L’évaluation lui aurait permis de comprendre pourquoi la politique du Président Diouf en matière d’emploi des jeunes avait échoué. Grand économiste et visionnaire hors pair, le Président Wade avait oublié sans doute que tout diplômé n’est pas nécessairement un entrepreneur potentiel. Etre entrepreneur, c’est un talent, une passion et un choix. Le diplôme n’est pas le facteur déterminant dans la création d’une entreprise. C’est cela qui explique l’échec des projets des Présidents Diouf et Wade qui pensaient avec leurs experts que les diplômés universitaires sont tous aptes à créer des entreprises viables. En utilisant la même thérapie que ses prédécesseurs, le Président Macky Sall risque d’échouer à son tour dans son objectif de désamorcer la bombe sociale que représente le chômage des jeunes.
Pour régler le problème du chômage des jeunes au Sénégal, plusieurs pistes existent :
Financer les projets portés par de vrais jeunes ou moins jeunes entrepreneurs. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’avoir des agences ou des délégations budgétivores Les banques ont l’expertise de gérer ce type de soutien aux créateurs d’entreprises ;

Augmenter constamment la production agricole pour alimenter une industrie agroalimentaire dynamique et performance. Cependant, des réformes de notre politique agricole sont nécessaires car l’Etat perd beaucoup d’argent inutilement dans son soutien à l’agriculture et à l’élevage ;
Mener une politique d’industrialisation tous azimuts en soutenant en même temps les industries existantes notamment les moribondes (SONACOS). Il n’est pas acceptable que l’Etat laisse mourir à petit feu les 4 usines de trituration de l’arachide ;
Encourager et soutenir le secteur privé à créer de nouvelles industries avec des facilités diverses ;
Réhabiliter et redynamiser les industries de transformation des produits halieutiques qui sont en train de disparaitre lentement mais sûrement ;
Accorder des réductions d’impôts et/ou de cotisations sociales aux entreprises qui embauchent des jeunes nouvellement diplômés. Beaucoup d’entreprises pourraient être prêtes pour saisir cette opportunité afin de renforcer leur capital en ressources humaines ;
Organiser à l’intention des chômeurs des formations pour mieux maitriser les techniques de recherche d’emploi. Ces formations pourraient permettre de détecter de vrais entrepreneurs potentiels ;

Protéger nos entreprises de tous types comme le font les USA et l’Europe. Tous les pays protègent en réalité leurs entreprises par diverses méthodes. N’importons que ce nous ne produisons pas ;
Créer des centres de formation courte durée pour donner des qualifications aux jeunes recalés de l’enseignement secondaire et universitaires. Ils sont nombreux et ils sont les grands oubliés de l’Etat.
Nos gouvernants doivent savoir définitivement et pour de bon que l’emploi ne se décrète pas. Il se crée dans un environnement où on produit de la richesse et où on consomme. Dans tous les pays, le secteur qui crée le plus de richesse et donc de l’emploi est l’industrie. Le Sénégal doit investir dans l’industrie. La SONACOS doit être réhabilitée pour triturer la totalité de la production d’arachide. L’Etat doit également soutenir les autres huileries du pays. Il doit arrêter l’exportation de l’arachide quiest un mauvais choix économique, un choix d’impuissance et d’incompétence.
Le Sénégal a une industrie laitière très dynamique et innovante mais elle dépend à 100% du lait en poudre importé. Il est temps que le Sénégal se lance dans une vrai politique de production de lait au niveau local pour ravitailler les laiteries du pays. Pour le moment, le Ministère de l’Elevage est le Ministère de la Tabaski. Pour la production laitière, le MEPA est sans ambition et c’est dommage pour les éleveurs et pour le Sénégal. L’Etat doit revoir et repenser sa politique en matière d’élevage. Il y a beaucoup de tintamarres dans ce secteur mais il n’y rien de concret en vérité pour booster l’élevage. C’est vérifiable.
Pour résoudre l’équation du chômage au Sénégal, la volonté politique existe depuis le Président Diouf mais les méthodes utilisées sont toujours les mêmes. Elles sont inadaptées et donc inefficaces. La meilleure thérapie contre le chômage est la mise en place d’une politique audacieuse d’industrialisation du Sénégal. L’industrie est le meilleur moyen de créer des emplois pour notre vaillante jeunesse. Les investissements dans les infrastructures et dans le social sont certes utiles mais ils ne sont pas créateurs d’emplois. Pour désamorcer la bombe sociale que représente le chômage des jeunes, il est temps de privilégier enfin l’investissement dans l’industrie.

Pr Demba Sow

Ecole Supérieure Polytechnique UCAD

2 Commentaires

  1. Un réflexion pointue que nous devons saluer, sur un problème ardu qui mérite de retenir plus que tout autre, une attention soutenue et des propositions concrètes. Il semble qu’on doive organiser mieux le marché de l’emploi au Sénégal afin que tout le monde y ait un accès également que le réseau des personnes influentes. Le marché est opaque et verse dans le favoritisme et le népotisme. Aussi, des jeunes diplômés sans soutien, se découragent et finissent par ne plus chercher du travail.il faudrait soutenir les femmes et leurs insertion dans l’emploi, organiser des stages pour les jeunes. Il faudrait initier les gens à la recherche du travail et leur inculquer des notions de se valoriser face au marché de l’emploi. Une question pertinente qui mérite une attention concrète. Avec Courage et farouche volonté nous, nous y parviendrons

  2. L’analyse économique du marché de l’emploi se définit comme la rencontre de l’offre et de la demande .Il existe autant de marchés de l’emploi que de types de travail Cette construction est d’ordre purement théorique. Une autre donnée et non la moindre est la métaphore du marché : celle des champs de forces. Les activités économiques, marchandes, industrielles et de services sont encastrées dans le social-économico-politique qui entre en interaction étroite. L’état social, les syndicats, les associations et ordres professionnels, religieuses, politiques toutes les forces externes pèsent lourdement sur les marchés de l’emploi. L’accès au travail ne repose donc pas sur l’égalité objective des chances de la part des demandeurs résultant de l’espace d’interaction entre les structures objectives et celles subjectives. Une restructuration du marché de l’emploi transparent s’impose pour réduire les injustices diverses réelles liées à la différentiation sociale des demandeurs. Il y va de notre intérêt micro et macro-économiques et de notre efficience tant individuelle que collective pour une société juste et démocratique

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