’’J’ai des ministres vertueux, je me trompe peut-être parce que je ne comprends pas comment un ministre peut s’enrichir. Peut-être je suis un naïf, c’est possible », a déclaré hier, le président de la République pince sans rire à l’ouverture d’un forum régional de mise en œuvre de la Convention des Nations unies contre la corruption et le renforcement des capacités des institutions nationales de lutte contre la corruption en Afrique de l’Ouest. L’hilarité qu’une telle déclaration n’a certainement pas manqué de susciter au sein de l’assistance passée, on ne peut cependant que s’accorder avec lui sur « l’impossibilité » d’une telle situation au regard des dispositifs institutionnels, structurels, corps de contrôle et l’importante réglementation qui charpentent et encadrent la gouvernance au Sénégal.
C’est ainsi qu’en plus des structures classiques : contrôle financier, Inspection générale d’Etat, Inspection générale des finances (Igf), les Inspections générales des affaires administratives et financières (Iaff), celles qui sont dépendantes de l’Igf, les Inspections des affaires financières (Iafs), l’Administration et l’Etat se sont enrichis depuis 2000 de nouvelles structures de contrôles et d’audit qui s’ajoutent à toute la panoplie déjà existante. On peut citer parmi ces corps de contrôle et de vérification, l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) qui est une autorité administrative indépendante, dotée de l’autonomie financière et de gestion. Elle a pour mission d’assurer la régulation du système de passation des marchés publics et des conventions de délégation de services publics. (…) D’exécuter entre autres des enquêtes, de mettre en œuvre des procédures d’audits indépendants, de sanctionner les irrégularités constatées (…) Ou la Commission nationale de lutte contre la corruption et la concussion (Cnlcc), créée par la loi n° 2003-35 du 24 novembre 2003. Une structure qui a son siège à Dakar à la rue Félix Faure et qui est composée de personnes issues de l’administration, de la société civile, du secteur privé et des organisations socioprofessionnelles. Elle est saisie par réclamation faite par lettre adressée à son président, le magistrat en retraite Abdoul Aziz Bâ. On peut aussi mentionner la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) qui traque le blanchiment d’argent. Il en reste certainement.
Par conséquent, si l’on s’en tient à cet important dispositif, on dira à la suite du président Wade, qu’il n’y a rien de plus vertueux que le Sénégal, son gouvernement, son administration et ses membres, du plus petit agent au ministre de la République en passant par les Directeurs de sociétés publiques ou parapubliques, d’Agences autonomes etc. Que personne ne peut s’y enrichir illicitement. Le hic, parce qu’il y a un hic plus gros que le fémur, il faut se convaincre que de hauts responsables, directeurs, ministres, gestionnaires et autres cadres de la République ont trouvé les moyens de contourner l’agencement institutionnel et réglementaire et de se passer de son ordonnance pour accumuler frauduleusement au nez et à la barbe des pauvres contribuables pressurés. Les villas qui poussent comme des champignons le long de la corniche et des quartiers chics de la capitale.
Les immeubles qui s’élèvent et les biens ostensiblement étalés sur la place publique ainsi que les bolides derniers cris achetés à coups de millions de Fcfa et qui sont les propriétés des hauts d’en haut comme diraient nos amis Ivoiriens ne sont pas le fruit d’une économie qui peine jusqu’ici à atteindre une croissance à deux chiffres et qui se cherche moteur. Mais bien d’une corruption et concussion à grande échelle que le mouvement citoyen et la presse dénoncent à tout va. Les scandales que révèle la presse à longueur de colonnes ne sont pas nés dans l’imagination débridée de journalistes en mal de sensationnel. Ils sont bien réels et rythment la gouvernance du pays avec plus d’ostentation aujourd’hui qu’hier. Les détournements de processus impunis ou les interactions entre une ou plusieurs personnes dans le dessein manifeste d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou d’acquérir une rétribution en échange d’une certaine bienveillance auxquelles nous assistons impuissants ont conduit à l’enrichissement personnel, sans cause et subit de plusieurs membres de l’establishment. Ils ne relèvent point d’accusations infondées, mais de simples constats que les Sénégalais font à longueur de journée.
Sur un autre registre, n’est-ce pas le président de la République lui-même qui a démonté hier pour son auditoire les mécanismes de la petite corruption de ses agents de la circulation ? Pourquoi n’admet-il pas que de hauts cadres et hauts responsables peuvent eux aussi être coupables, même si eux semblent disposer d’une meilleure protection et peuvent en toute impunité continuer leur pratique ? Il nous paraît également de fausse querelle que de chercher à pointer un doigt accusateur sur les autres pays qui sont développés et qui s’adonneraient à la corruption mieux que nous. Même si la corruption sous toutes les latitudes constitue la principale menace qui plane sur la bonne gouvernance, le développement économique durable, le processus démocratique et la loyauté des pratiques commerciales, il n’en demeure pas moins que dans nos pays pauvres, sa pratique est simplement criminelle. Elle plombe l’émergence et hypothèque le devenir de toute une nation. Il est heureux cependant, que dans la lutte contre la corruption, les systèmes des Nations unies aient développé une approche multidisciplinaire dans des domaines comme les transactions commerciales internationales à travers multiples conventions qui en répriment la pratique. Et même si, rares sont ceux qui ont conscience que la corruption peut coûter cher aux coupables, il existe aujourd’hui des initiatives transnationales qui aident à châtier les crimes économiques et financiers aussi horribles que les crimes de sang.
sudonline.sn