Le large sourire affiché ne laisse pas entrevoir le drame vécu par cet homme qui a investi plus de deux milliards dans le domaine de l’huile végétale raffinée. Teint noir, costume noir assorti d’une chemise carrelée, Alassane Diouf traverse une « situation délicate et pénible » depuis plus de deux mois. Pour l’instant, c’est le statu quo même s’il espère juste triompher dans l’adversité après la fermeture de son entreprise le 7 Février 2010. Comme Bara Tall, un grand éclopé de la « politique de destruction massive de l’Alternance », le Président-directeur général de West Africa Commodities serait-il sacrifié sous l’autel des intérêts personnels ? « C’est vraiment criminel. J’attends l’arbitrage de l’UEMOA, mais logiquement sa décision devrait nous être favorable », craque M. Diouf. La décision est tombée depuis le 24 avril, mais elle n’est pas encore officielle.
En attendant, l’avenir reste incertain pour plus de 250 personnes présentement en chômage depuis la fermeture de l’entreprise en février 2010. Sur le levier de commande de l’aire de stockage est accroché un simple papier sur lequel on peut lire : « je soussigné Monsieur Mbaye, commissaire aux EE (Enquêtes économiques) déclare avoir mis sous scellé le levier de commande des vannes pour la Wafcom. » Cette note laconique d’un agent de la Douane envoyé par le ministère du Commerce est en train de mettre « en péril l’avenir » d’une entreprise qui emploie 250 personnes. Une véritable tragédie en perspectives. « C’est un monsieur Mbaye de la division de la Qualité et de la consommation de la direction du Commerce intérieur accompagné de trois de ses collègues qui est venu sceller nos vannes de production arbitrairement sans nous avertir et sans avancer un quelconque motif. Ils ne nous ont remis aucun document justifiant cette mesure et ils n’ont fixé aucun délai pour lever cette mesure », s’écœure Mamadou Ngom. Silhouette trapue, voix caverneuse, le Directeur administratif et financier de Wafcom reste toujours interloqué et abasourdi par cette mesure « qui a pris au dépourvu. Le levier de commande des vannes est bien scellé, il n’y a donc aucune possibilité de produire une quelconque activité. Tout est à l’arrêt. Personne ne s’attendait à une telle décision parce que nous étions en train de faire correctement notre travail. » L’ambitieux investissement, qui a doté l’entreprise d’une aire de stockage, d’un hangar de conditionnement, avec des équipements qui garantissent « d’excellentes conditions » stockage, de transfert, de conditionnement, de transport et de manutention, permet à Wafcom d’avoir une capacité de production journalière de 651 tonnes. A l’intérieur du hangar où sont entassés des centaines de fûts qui matérialisent l’interdiction de commercialiser qui frappe l’entreprise.
Pour l’instant, la cour de l’entreprise s’est transformée en un vaste garage où sont immobilisées des citernes préposées à la circulation des produits qu’elle commercialise comme du double concentré de tomate et du riz brisé importé ainsi que celui provenant de la vallée du fleuve Sénégal. Il ne lui reste d’ailleurs que ces camions qu’elle loue pour transporter certains produits au Mali et en Mauritanie. En cette matinée ensoleillée, l’air de la zone industrielle est embaumé par la brise marine qui s’échappe de la grande bleue ceinturant le West Africa Commodities plongé dans son ambiance sinistre et silencieuse. Un vigile, à califourchon sur une chaise en fer et sirotant paisiblement son thé, régente les rares entrées des visiteurs pénétrant par la Route des hydrocarbures. Cette Société anonyme créée le 24 avril 2002, est spécialisée dans l’importation et la commercialisation de produits agroalimentaires dont la principale activité depuis 2006 est le stockage, le conditionnement et la commercialisation d’huile végétale raffinée. « Aujourd’hui, c’est le calme. Il n y a que le personnel administratif qui est présent pour évacuer les affaires courantes. Nous espérons que la situation va revenir à la norme », prie Alassane Diouf. Peut-être que l’espoir et la foi lui permettront de surmonter cette éprouve. Pourtant, la fermeture de West Africa Commodities est l’aboutissement d’un long harcèlement politico-judiciaire sous de fortes mesures de protectionnisme de l’Etat qui multiplie les subterfuges et les décisions contrairement « aux lois de l’UEMOA » qui prônent le libre-échange dans son espace.
LA LONGUE TRAQUE
Depuis 2006, la principale activité de WAF Commodities réside dans le stockage, le conditionnement et la commercialisation d’huile végétale raffinée, « ce qui a généré des emplois supplémentaires et de la valeur ajoutée ». Une période qui a coïncidé curieusement avec le début des déboires de Wafcom perçu par la Suneor comme un concurrent qu’il faut contenir par « tous les moyens. » Il y a alors une panoplie de pressions fiscales et politiques qui ont été permanentes pour préserver la Suneor d’Abbas Jaber dans un espace communautaire en construction. La venue le 28 janvier 2010 d’un tanker de 2000 tonnes fait déborder le vase. « On m’a dit que le tanker ne va pas décharger au Port. Après, les autorités me donnent les autorisations de commercialiser. Le ministre du Commerce (Amadou Niang) me demande de vendre en inondant discrètement le marché », révèle le patron de Wafcom. L’espoir, qui tenait sur un simple fil, se transforme en un véritable cauchemar pour cet homme. Alassane Diouf : « Le ministre m’appelle pour me dire d’arrêter de vendre parce que des instructions lui ont été données de la présidence de la République. Il me dit, « vends ça en Mauritanie, en Gambie ou ailleurs. Mais pas au Sénégal. » Ces conseils étaient prémonitoires et seront d’actes concrets avec la fermeture de West Africa Commodities quelques semaines plus tard. « C’est criminel. Il ne me reste qu’un seul espoir : que l’UEMOA me donne raison en ordonnant la réouverture de l’entreprise », espère-t-il. Au Sénégal, il n y a plus d’espoirs. Car, toutes les tentatives entreprises par le patron de Wafcom, dont l’unique faute est la commercialisation de l’huile de palme dans un marché qui se rétrécit pour la Suneor, sont restées vaines. La saisine de la présidence de la République, de la Primature et du ministère du Commerce n’a pas permis de lever cette mesure draconienne agréée par l’Etat du Sénégal. « Le Président Wade a demandé aux Sénégalais d’investir dans leur pays pour créer des emplois et de la plus value. C’est ce que j’ai fait en lui envoyant trois correspondances pour aribitrage. Mais, on ne m’a jamais répondu », dixit l’homme d’affaires.
Aujourd’hui, il est traqué par ses créanciers qui l’ont aidé à porter sur les fonts baptismaux cette entreprise en lui rappelant ses obligations comme le paiement d’un moratoire de 50 millions de FCFA par mois en vue du remboursement d’une créance arrêtée à 591.885.972. Comment une entreprise qui ne fonctionne plus peut-elle faire face à de telles obligations ? Elle est restée deux mois (janvier et février 2010) sans payer ses dettes avant de trouver un compromis. « Heureusement. Sinon, j’allais me retrouver dans la rue parce que j’ai hypothéqué ma maison pour faire un prêt », révèle-t-il. Pour l’instant, il est loin du compte.
INTERDICTION D’IMPORTATION DE L’HUILE DE PALME
« C’est la Suneor qui a alerté l’Etat »
Les responsables de la Suneor n’ont jamais caché leur hostilité à la commercialisation de l’huile de palme qu’ils ont toujours discréditée en la qualifiant « d’huile des pauvres » qui n’est bonne que « pour les voitures ». En Novembre 2009 lors d’un dîner-débat organisé par l’Unacois sur la problématique de l’huile, le secrétaire général de la Suneor, Mbaye Dièye, soutenait sans équivoques que « c’est bien la Suneor qui a alerté l’autorité parce l’huile de palme est de très mauvaise qualité dans l’intérêt du peuple sénégalais. C’est l’Etat souverain qui a pris des dispositions au regard du problème de santé publique que pose l’huile de palme. Mais, le décret n’interdit pas les importations d’huile de palme. Il fixe les conditions d’importations de toutes les huiles, pas seulement l’huile de palme ». Ces propos permettent de lever certains équivoques notamment les mesures de protectionnisme que l’Etat multiplie pour essayer de protéger la Suneor. Mbaye Dièye poursuit sans ambages : « nous sommes la première huilerie en Afrique, nous sommes un géant et nous pouvons écraser les petits. Si l’Etat décidait d’abandonner l’arachide pour l’huile de palme, demain, nous importerons des milliers de tonnes d’huile et nous allons inonder le marché. Mais, si cela arrivait, il y aura 4 millions de personnes vivant de l’arachide qui ne vont pas se nourrir et cela va créer une explosion sociale ».
Pour l’instant, les importateurs de cette huile sont traqués par l’Etat qui serait en connivence avec la Suneor. La Gazette durant cette enquête a saisi les responsables de la Suneor en leur envoyant un questionnaire pour avoir leur version. Jusque-là sans réactions.
Bocar SAKHO