A peine annoncées à grande pompe, les Concertations nationales sur l’avenir de l’Enseignement supérieur au Sénégal (CNAES), initiées par les nouvelles autorités de l’Etat, présentent des signes évidents de faux départ. Un sentiment général qui fait suite à la dernière sortie du leader du Syndicat autonome des Enseignants du supérieur (SAES), Seydi Ababacar Ndiaye. Sans détours, il a désapprouvé au nom de sa structure la démarche, les Termes de Références et le processus qui a abouti au choix des membres du comité de pilotage de ce nouveau chantier de l’Etat dont l’ambition est de remettre sur les rails l’enseignement supérieur du Sénégal. Un sous secteur qui accuse depuis des années un sérieux coup de discrédit. Les problèmes que pose ainsi le SAES et qui occupent le devant de l’actualité universitaire risque d’aggraver le différend qui oppose les enseignants du supérieur aux autorités de l’Etat. Les étudiants seront encore, à coup sûr, les premiers à en payer les conséquences.
N’est-ce pas inquiétant d’entendre parler d’échec avant même l’entame des concertations nationales sur l’avenir de l’enseignement supérieur sénégalais, un sous secteur dont les énormes difficultés (perturbations et manquements) ont fini de plonger dans un océan d’incertitudes. Venant du Syndicat des Enseignants du supérieur (SAES), l’alerte est sans doute, à prendre très au sérieux. Car quoi qu’on dise, les enseignants constituent la clef de voûte de l’enseignement universitaire. Et le différend qui les oppose aux autorités de l’Etat sur le processus devant aboutir à des pistes de solutions aux problèmes qui minent ce secteur stratégique de la nation peut paraitre à bien des égards compréhensible. A en croire son Secrétaire général, le SAES n’a aucun problème particulier avec les membres qui composent le comité de pilotage. Mieux, lui et son syndicat vouent, disent-ils, beaucoup de respect au comité présidé par leur collègue, le Pr Souleymane Bachir Diagne, dont les qualités intellectuelles et l’engagement patriotique n’échappent à personne.
Pour autant, considèrent les leaders du SAES, le choix porté sur sa personne pour présider le comité de pilotage découle d’une mauvaise inspiration puisqu’il existe bel et bien d’autres Sénégalais qui jouissent du même respect et des mêmes qualités. Des gens qui, contrairement à l’élite sénégalaise de la diaspora, n’ont jamais accepté de monnayer leurs expertises outre Atlantique. Le SAES fait ainsi référence au phénomène de la fuite des cerveaux, une saignée qui a privé les universités sénégalaises durant les deux dernières décennies de plusieurs de ses hauts cadres avant la décision de revalorisation des statuts et traitements des enseignants universitaires se traduisant par une augmentation substantielle de l’indemnité spéciale de recherche et de formation portant sur leur solde indiciaire.
Une indemnité qui sera portée à 75 000F Cfa par semestre avant d’être doublée pour atteindre 150 000F, soit 300 000F par an. D’autres mesures incitatives, telle la prime académique spéciale de 300 000F l’an, ont été également consenties dans la même période à l’issue de batailles épiques ayant opposé les autorités de l’Etat au SAES. Toutes choses qui visaient en fait à mettre un terme aux frustrations de l’élite universitaire. Mais avant cette période, le corps enseignant a vécu des situations difficiles qui sont à l’origine du départ de nombreux universitaires vers l’Amérique du Nord et vers certains pays de la sous région, où les conditions salariales et de recherche étaient de loin meilleures que celles en vigueur dans l’espace universitaire sénégalais. Ce dernier a été longtemps marqué par un manque criard d’infrastructures d’accueils, des effectifs pléthoriques, des labos sous équipés, un encadrement insuffisant, un déficit de documents de recherche de pointe, des salaires et indemnités peu incitatifs… etc.
Face à une telle situation, à coup sûr, il n’y a pas grand-chose à reprocher aux universitaires de la diaspora dans la mesure où les performances dans le travail universitaire se mesurent à l’aune des conditions idéales mises à leurs dispositions. Le seul hic, c’est en fait de vouloir faire table rase de tous les sacrifices consentis par l’expertise nationale qui a accepté volontiers d’endurer les difficultés d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi les profs militants du SAES (plus d’un millier d’adhérents), considèrent-ils toutefois que c’est leur manquer de respect et de considération que de vouloir les ignorer royalement pour confier à d’autres qui depuis quelques décennies, ont rompu les amarres avec les réalités universitaires locales, la réflexion sur des problèmes qui les concernent au premier chef. Certes, l’expérience des Sénégalais de la diaspora n’est pas du tout à négliger. Elle peut être d’un important apport aux concertations nationales pour mieux recadrer les perspectives de l’enseignement supérieur dans un contexte marqué par la mondialisation. Aussi, la meilleure inspiration n’aurait-elle pas été de créer un comité de pilotage de l’expertise universitaire de la diaspora dont la contribution pourrait bien enrichir les concertations ?
Les têtes de pont oubliées
En parcourant la liste des membres qui composent le comité de pilotage des concertations et celle des autres personnes ressources devant participer aux travaux, on ne peut s’empêcher de se demander la place et le rôle dévolus au SAES en tant que principale structure de regroupement professionnel des enseignants du secteur. On ne peut également s’empêcher de s’interroger sur ce que devra être la contribution des médiateurs de l’Université qu’on peut à juste raison, qualifier de mur de lamentation des acteurs de l’espace universitaire? En vérité, certaines têtes de pont de l’Université dont l’expérience pourrait servir grandement à faire avancer les concertations nationales semblent avoir été oubliées. C’est le cas notamment du nouveau et des anciens secrétaires généraux du SAES : Moussa Samb (90-94), Falilou Ndiaye (94-96), Abdou Salam Sall (96-98-2001), Ibra Diène (2001-2004), Ndiassé Diop (2004-2010) et depuis 2010 Seydi Abacar Ndiaye. Mais aussi et surtout de l’ancien et du nouveau médiateur de l’Université Cheikh Anta Diop : les professeurs Boubacar Diop dit Buuba (2002-2010) et Mamadou Ndiaye (depuis 2010). Des acteurs qui capitalisent une expérience absolument intéressante et nécessaire pour faire avancer le processus de la concertation.
Sans compter, en plus des personnels administratifs et techniques des universités, des pans importants de la société civile tels que la Fédération des associations des parents d’élèves et d’étudiants ainsi que les acteurs des médias qui constituent également des témoins privilégiés de la vie universitaire sénégalaise au quotidien.
Tout naturellement, l’expérience des acteurs des concertations de 1994 encore vivants, n’est pas non plus à négliger. Ces concertations avaient été présidées à l’époque par feu le recteur Souleymane Niang en présence, entre autres, des Pr Assane Seck, Aly Diouf (ancien gouverneur), Alassane Ndao ancien doyen de la faculté des Lettres, Libasse Diop, ancien doyen des facultés des Sciences. Même les étudiants y avaient leur représentant en l’occurrence un nommé Abdou Dao de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. C’est dire que même si certaines des personnes citées ne sont plus de ce monde, d’autres par contre, comme les Pr Libasse Diop et Alassane Ndao, sont des personnes ressources incontournables. Tout comme d’ailleurs les anciens de la Coordination des étudiants de Dakar (CED), le syndicat des étudiants qui avait, à cause de ses revendications permanentes, imposé une nouvelle forme de gestion des activités pédagogiques et sociales de l’UCAD : l’augmentation des bourses et aides, nouvelle forme de gestion des restaurants, adoption et application des franchises universitaires, nouveau découpage de l’année, libération du campus social pendant les vacances, etc. Un passé dont il faut tenir compte pour dessiner de meilleures perspectives pour la gestion pédagogique et sociale de l’enseignement supérieur.
Les urgences en marge des préoccupations
A entendre parler des concertations nationales sur l’avenir de l’Enseignement supérieur on a comme l’impression que le fonctionnement présent et futur des institutions universitaires sénégalaises reste totalement suspendu aux rapports devant être produits et rendus publics d’ici fin mars début avril. Ainsi, les examens de l’année 2012, les orientations des nouveaux bacheliers et le démarrage effectif de l’année 2013 sont relégués aux oubliettes. Or à la date du 20 février déjà, le premier semestre de l’année académique 2013 est totalement bouclé, selon le découpage de l’année articulé au système LMD. La Faculté de Médecine est la seule à être en conformité avec ce calendrier. D’ailleurs dans cette faculté les étudiants ont déjà entamé leurs examens du premier semestre. Au même moment, dans les autres facultés et départements, l’heure est encore aux épreuves de rattrapage pour le compte de l’année académique 2011-2012.
5000 bacheliers «non orientables»: le talon d’Achille
Et à ce rythme, les professeurs qui auront entre 2000 et 4000 copies à corriger, ne délibéreront probablement pas avant fin mars. Or il faut impérativement ces résultats pour connaitre avec exactitude le nombre de places disponibles pour pouvoir orienter de nouveaux bacheliers. A ce rythme, il ne sera pas étonnant d’assister à l’orientation de certains bacheliers, comme l’année dernière, juste à quelques heures des épreuves du premier semestre.
S’il est vrai que les autorités de l’enseignement supérieur travaillent d’arrache pied, suite aux instructions fermes du chef de l’Etat, à orienter le maximum de bacheliers dans les facultés et écoles supérieures privées, la question nodale des bacheliers dit « non orientables » à cause de l’âge reste toutefois entière. A en croire des sources proches des services d’orientation de la direction de l’enseignement supérieure, ils étaient estimés la semaine dernière à quelque 4092 bacheliers. Un effectif qui a sensiblement évolué entre temps, si l’on en croit le Pr Mamadou Ndiaye, médiateur de l’Université Cheikh Anta DIOP (UCAD). Le seul encore dans la galaxie à accepter de recevoir leurs dossiers de demandes d’orientation. Selon lui, ils font déjà plus de 5000 à faire des navettes quotidiennes entre son bureau et leurs domiciles.
Compte non tenu de ceux qui sont encore dans les régions. Ces bacheliers en question sont, dit-on, nés entre 1986 et 1988, voire bien avant (83, 84, 85 et…). Or, selon les termes d’un texte adopté en 2004, tout bachelier âgé de 23 ans et plus n’a plus droit à être orienté par souci d’éventuels blocages de son futur recrutement dans la Fonction publique. Une mesure prise depuis bientôt 10 ans mais qui n’avait jamais été appliquée.
Mais le médiateur pense que pour des raisons sociales, on peut explorer quelques pistes de solutions. Il suffira simplement, dit-il, de discuter avec certaines grosses boîtes de la place sur les possibilités d’absorber près de 200 voire au grand maximum 400 bacheliers, parmi les plus âgés qui n’ont aucun intérêt à aller à l’Université
L’expérience a montré que la généralisation des bourses depuis l’avènement de la première alternance politique a fait que tous les bacheliers veulent chaque année aller à l’Université non pas pour des études, mais pour bénéficier d’une bourse, quitte ensuite à mener d’autres activités.
S’entendre sur les préalables pour réussir la concertation
Les travaux de la concertation nationale qui ont démarré sur fond de polémique ne semblent pas encore attirer grand monde. La rencontre régionale organisée jeudi dernier à l’UCAD 2 sur le sujet en a donné la parfaite illustration. La salle réservée à cette rencontre qui concerne tous les segments de la société Sénégalaise n’aura finalement été remplie qu’au tiers de sa capacité et les discussions ont tourné pour l’essentiel autour des questions de procédure plutôt que sur les sujets qui étaient inscrits à l’ordre du jour : le pilotage de l’enseignement supérieur, l’accès à l’enseignement supérieur, le financement de l’enseignement supérieur ; la qualité de l’enseignement supérieur ; les ressources humaines ; l’internalisation ; la recherche et Innovation ; les liens avec le marché du travail et la communauté.
Des thématiques autour desquels vont porter les travaux des concertations mais que le Syndicat de l’enseignement supérieur juge peu pertinents. Selon le leader du SAES des concertations préalables auraient bien aidé à enrichir ces thématiques.
Le Syndicat suggère la nécessité de repenser les TDR en question, à savoir : réviser les missions de l’enseignement supérieur ; revoir ses organes de pilotage ; réfléchir sur ses instruments de gouvernance ; redessiner la carte universitaire en fonction du potentiel économique et social lié à la demande des régions.
Pour le SAES, c’est en agissant sur certains de ces leviers qu’on peut arriver à répondre aux attentes pressantes de la société sénégalaise dont de larges pans commencent à s’interroger sur l’utilité et la pertinence de l’enseignement supérieur pour le pays, cinquante ans après les indépendances.
Le consensus autour de la réflexion à mener sur l’enseignement supérieur passe nécessairement par « l’amélioration de ses missions, la légitimation et la consolidation de ses organes de pilotage et de gestion, le consensus autour de ses Plans stratégiques de développement et l’adoption des normes de qualités partagées et de mécanismes harmonisés de compétitivité du système, dont la réforme des titres et grades conformément aux exigences du LMD ».
C’est de ce consensus que va naître la paix sociale souhaitée mais dont la réalisation nécessite sûrement la bénédiction des acteurs d’un organe comme le Conseil national du dialogue social (CNDS). Tout comme les anciens doyens et recteurs qui détiennent par devers eux, des expériences indispensables à faire aboutir le chantier de la concertation nationale sur l’Enseignement supérieur.