Le village lébou de Ouakam vient d’être secoué par un conflit foncier, le énième du genre entre ses populations et l’homme d’affaires Mbackiou Faye. Le Gouverneur de Dakar a fait la médiation pour aboutir à la conclusion que M. Faye a un titre foncier qui lui donne la propriété légale sur les terres disputées. Un arbitrage qui ne plait pas aux populations qui, regroupés autour de leur Jaraaf, pourraient poursuivre la lutte.
Un conflit foncier de plus. Car, dans toutes les localités du Sénégal, les batailles judiciaires autour de la terre font légion. Et ceci, depuis l’indépendance.
Une situation créée par la dualité des régimes juridiques qui régissent les questions de terre. Le droit coutumier qui est le seul qui intéresse les populations, est battu en brèche par la loi de 1964 qui porte sur le domaine national.
Nombre de Sénégalais, en effet, n’ont pas de titres fonciers ou de titres administratifs leur permettant d’exploiter leurs terrains ou tout simplement d’occuper leurs maisons.
Depuis la nuit des temps, les terres se transmettent de père à fils. Une tradition observée partout au Sénégal, sans distinction d’ethnie.
Du coup, la loi sur le domaine national a bouleversé les habitudes mais surtout les droits de propriété hérités des ancêtres. La loi, en substance, ne reconnait pas le droit de propriété basé sur le système de dévolution traditionnel. Il dit, clairement, que la terre « appartient » à celui qui l’exploite. En fait, il ne lui appartient pas, mais il en a le droit d’usage, donc d’exploitation exclusive. Une loi qui a semé le désordre dans le monde rural, depuis le temps de Senghor. Des paysans ont, en effet, vu leurs terres spoliées par d’autres à qui ils les avaient simplement prêtés.
Il s’y ajoute que les dépositaires de ces terres du fait de leurs pères ou aïeuls, ne peuvent, en principe, ni les vendre, ni les léguer. Une disposition que personne ne respecte. En effet, non seulement les détenteurs vendent les terres, mais ils font de telles opérations avec de hautes personnalités y compris des juristes qui savent pourtant qu’ils ne peuvent pas acquérir ces terres qui appartiennent au domaine national.
En conséquence, ils s’empressent de « légaliser » l’opération en déférant aux formalités d’usage qui seront une délibération, un bail ou un titre foncier.
Et c’est là que naissent les conflits. Si au demeurant, « le vendeur » n’était pas le bon parce que soit la terre ne lui appartenait pas du fait de ses parents, soit il n’était pas le seul héritier, les autres protestent le plus souvent et travaillent à annuler la « vente ».
Il se peut également que l’État qui a la possibilité d’acquérir des droits privés sur ces terres selon des modalités que la loi prévoit, attribut la propriété à un tiers-acquérir au grand dam des héritiers. Ces derniers, dépourvus de leurs biens, ne vont pas se laisser faire, même si, par ailleurs, toutes ces opérations sont légales.
Il existe également des cas de figure ou les protagonistes exhibent divers titres de propriété. Dans ce cas, il faudra l’arbitrage de la Justice pour en déterminer l’ancienneté s’il s’agit des mêmes titres ou le degré d’importance si les titres sont différents. Par exemple, les baux sont plus importants que les simples délibérations administratives des conseils municipaux et les titres fonciers s’imposent aux baux.
Au demeurant, il est important de faire observer que la plupart des familles léboues ont des titres fonciers qui datent de l’époque coloniale.
En tout état de cause, c’est conscient de toutes ces questions que le président Macky Sall, dès son accession à la magistrature suprême, a mis en place une Commission de réforme foncière. Dirigée au départ par Me Doudou Ndoye, elle a atterri entre les mains du Professeur Moustapha Sourang après que l’avocat eût dénoncé un manque de moyens mais surtout de considération. Les travaux de la Commission sont en cours. Nous savons que des propositions révolutionnaires sont faites. Des discussions ont lieu avec les principaux intéressés notamment les acteurs du monde rural.
Il importe de souligner que, quelque soit l’issue des concertations, que l’essentiel est que ceux héritent des terres aient des titres fonciers leur permettant de faire toutes les opérations nécessaires à la détention de ce précieux bien. Ils pourront ainsi les vendre, les hypothéquer ou en faire tout usage leur permettant de les rentabiliser et de les valoriser.
Cela ne veut pas dire que ce n’est pas actuellement possible avec la loi de 1964 qui est toujours en vigueur. Ce sont les détenteurs ou supposés tels qui ne s’approchent pas des services compétents comme des Directions de l’enregistrement et des timbres qui dépendent du ministère des Finances.
Les délibérations, baux, titres fonciers s’acquièrent après le dépôt de demandes qui satisfont à un certain nombre de formalités.Le chemin peut être long (et c’est cela qui décourage), mais cela vaut la peine d’essayer en attendant que Sourang dépose ses conclusions.
rewmi.com
Conflits Permanents, Manifestations De Rue, Procès… La Lancinante Question De La Gestion Des Terres Au Sénégal
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