Le 21 mars 2013, le président de la République a présidé, à Matam, le sixième Conseil des Ministres délocalisé, après Saint-Louis, Diourbel, Ziguinchor, Kaolack, Louga. Comme lors des précédents, les promesses, le folklore et la forte mobilisation ont été au rendez-vous. Le président Macky Sall a été élu, le 25 mars 2012, à une confortable majorité. C’est à lui que revient la prérogative exclusive de déterminer la politique de la Nation et de nommer un gouvernement pour la mettre en œuvre. C’est également lui qui choisit, en toute souveraineté, les stratégies qu’il juge les plus appropriées pour appliquer son programme. On peut raisonnablement supposer que les conseils de ministres délocalisés s’inscrivent dans ce cadre. Le président de la République est donc dans son bon droit, comme nous sommes dans le nôtre, quand nous nous interrogeons sur la pertinence de ces fameux conseils de ministres.
Leur objectif déclaré c’est, notamment, d’approcher l’administration des administrés, de mieux s’imprégner des réalités locales et des besoins des populations, pour élaborer les projets de développement les concernant. Personnellement, j’ai de sérieux problèmes par rapport à cet objectif. On se rappelle que, dès que ses anciens camarades du Pds (redevenus aujourd’hui ses amis pour nombre d’entre eux) ont réussi leur coup en l’éjectant de son poste de président de l’Assemblée nationale, Macky Sall a définitivement rompu les amarres avec eux et s’est lancé dans la conquête du Sénégal profond. C’est ainsi que, affirment ses proches – et ils ont raison –, de novembre 2008 à la veille du scrutin du 26 février 2012, il a parcouru les quatre coins du pays, dormi avec les populations les plus pauvres, partagé leurs maigres repas et s’est imprégné de leurs besoins.
Présidant le Lancement de l’Acte 3 de la Décentralisation à l’Hôtel King Fahd Palace le mardi 19 mars 2013, le Chef de l’Etat a rappelé avoir visité les coins les plus reculés du pays et situé les urgences du Sénégal en termes de développement à travers la promotion des activités agricoles et pastorales, la prise en charge des besoins en matière d’infrastructures, des actions pour l’accès à l’eau potable, à l’électrification et aux services sociaux de base. Il a identifié les mêmes urgences au niveau des centres urbains où elles se déclinent en lutte contre le chômage, les inondations, l’insécurité et la précarité sous toutes ses formes. C’est sur la base de tous ces constats que son programme « Yoonu Yokkute » a été bâti. Donc, au lendemain de sa brillante élection du 25 mars 2012, il était sensé avoir une conscience claire des besoins les plus pressants du pays qu’il a parcouru de long en large pendant trois ans, ainsi que des solutions envisagées pour les satisfaire. Dans ces conditions, je ne comprends pas la pertinence, l’utilité des conseils de ministres délocalisés.
A supposer même que, malgré le « Yoonu Yokkute », il ait besoin de mieux s’imprégner des réalités locales, d’apprécier correctement les besoins des populations et d’approcher davantage l’administration des administrés, les conseils de ministres délocalisés ne s’imposeraient pas. Dans son discours du mardi 19 mars 2013 à l’Hôtel King Fahd Palace, il a beaucoup insisté sur la promotion de la déconcentration et de la décentralisation. Si celles-ci sont, plus qu’un slogan, une réalité, le président de la République peut bien se passer, pour avoir une photographie des réalités locales et des besoins des populations, de délocaliser le Conseil des Ministres.
Les autorités administratives, en l’occurrence les gouverneurs, les préfets et les sous-préfets sont les délégués du président de la République et les représentants du Gouvernement – donc de tous les ministres – respectivement dans les régions, les départements et les arrondissements. Ils président, respectivement les travaux des Conseils régionaux, départementaux et locaux de développement (Crd, Cdd et Cld) qu’ils réunissent, en principe, au moins une fois par mois. En contact direct avec les populations, ces autorités administratives sont, par leurs attributions, mieux placées que les conseils de ministres délocalisés, pour apprécier les réalités locales et les besoins de leurs administrés.
Pour ne prendre que le dernier exemple, celui de Matam, il suffirait d’un Conseil régional de développement spécial élargi aux élus locaux et nationaux, aux différends techniciens de développement en service dans la Région, et à toutes personnes physiques ou morales susceptibles de contribuer à une meilleure appréciation des réalités et des besoins de la localité. Auparavant, les préfets et les sous-préfets présideraient des Cdd et des Cld également spéciaux, et feraient parvenir les conclusions au Gouverneur. Le document sanctionnant les travaux du Crd spécial serait transmis au Premier ministre par l’intermédiaire du Ministre de l’Intérieur. Ledit document ferait, à son tour, l’objet d’un conseil interministériel, d’un vrai, comme il se tenait avant l’avènement de Me Wade au pouvoir. Il était réuni pour l’examen d’une question ou d’un texte, et était présidé par le Chef de l’Etat (jusqu’en février 1970), puis par le Premier ministre. Seuls les ministres concernés étaient convoqués. La convocation précisait même s’ils devaient se présenter seuls ou accompagnés de collaborateurs. Il convient de signaler également que les conseils interministériels devaient être systématiquement précédés, sauf décision contraire de celui qui les présidait (le Chef de l’Etat ou le Premier Ministre) ou extrême urgence, par une réunion interministérielle groupant les techniciens des départements ministériels concernés et, s’il y a lieu, de la présidence de la République (et /ou de la Primature après février 1970). Cette réunion interministérielle avait notamment pour objet de préparer le travail du Conseil interministériel et de mettre au point les différents documents (rapports, projets de lois ou de décrets, etc) qui devaient être soumis audit Conseil.
L’Instruction générale n° 15 P. R. du 1er mars 1968 sur l’organisation du travail gouvernemental sur laquelle je m’inspire ici, donnait d’autres précisions sur les Conseil interministériels (permanents ou occasionnels), notamment leur calendrier, la date limite de dépôt des documents à examiner, l’autorité chargée de convoquer et de présider la réunion préparatoire, etc.
Je suis loin du Gouvernement, loin de l’entourage du Premier ministre et du président de la République. Je ne suis pas cependant sûr que les conseils interministériels que préside le Premier ministre la veille des conseils de ministres délocalisés se déroulent dans les mêmes conditions que ceux d’avant l’accession de Me Wade au pouvoir.
Pour revenir au Crd spécial de Matam et au document le sanctionnant, il devrait faire l’objet, comme je l’ai indiqué plus haut, d’un Conseil interministériel qui prendrait le temps nécessaire pour produire un rapport circonstancié destiné au président de la République, avec copies à tous les membres du Gouvernement. Un Conseil des Ministres consacré au développement de la Région de Matam, qui n’a vraiment pas besoin d’être délocalisé, serait alors programmé, avec comme document de travail de base le rapport du Conseil interministériel. Il donnerait sûrement, sans tambour ni trompette, de bien meilleurs résultats.
Je ne crois donc pas à la pertinence des conseils ministériels délocalisés et aux conseils interministériels qui les précèdent, et que je serais tenté d’ailleurs de mettre entre guillemets. Je serais surtout curieux de connaître la position des administrateurs civils et principalement de leurs collègues gouverneurs, préfets et sous-préfets sur la question. Ils ne devraient sûrement pas cautionner ces conseils de ministres délocalisés, qui prennent de plus en plus l’allure de shows médiatiques et nous coûtent de l’argent et du temps pour presque rien ou, du moins, pour des résultats qu’on peut obtenir sur place. Or, par les temps qui courent, nous ne devrions nous permettre aucun gaspillage. Ni gaspillage d’argent, ni gaspillage de temps.
En fin de compte, les conseils de Ministres délocalisés sont plus des moments politiciens que des moments de développement. Dans toutes les régions qui les ont abrités, ministres, directeurs de services ou d‘agences nationaux, élus locaux et nationaux, populations, se sont plutôt préoccupés de mobiliser les foules pour l’accueil du président de la République. D’ailleurs, quand on écoute ou lit les comptes rendus de leur déroulement, on y met davantage l’accent sur les fortes mobilisations, les déferlements humains, etc. La Rts se distingue encore malheureusement dans ce genre d’exercice, oubliant parfois ses missions de service public, comme du temps de Senghor, de Diouf et de Wade.
Les conseils de ministres délocalisés ne sont donc pas, de mon humble point de vue, en accord avec les engagements du candidat Macky Sall. Ils ne sont ni sobres, ni efficaces. Ils prennent plutôt, de plus en plus, l’allure d’une balade politicienne, folklorique, déplaçant pratiquement une bonne partie de la République, et nous coûtant un temps précieux et des centaines millions, qui auraient pu être utilisés à bien meilleur escient.
Dakar, le 25 mars 2013
Mody Niang, e-mail : [email protected]
Bien dit mais ne change pas de plume si Macky vous nomme demain car on le sait, l’exercice consiste à tirer sur lui et comme il est peureux, il vous nomme tout de suite et vous vous taisez.