1°) Maintenant que la question de la Casamance échappe à la cage diplomatique sénégalaise arrêtons le déni :
Dans une tribune publiée en ligne par Dakar Actu le 05 de ce mois, comme à l’accoutumée, face aux grandes questions d’intérêt national, Monsieur Sène nous a livré une contribution dont les grands axes sont : enjeux géostratégiques de l’Occident au Sahel – déstabilisation du Sénégal via la Casamance – risques ou fabrication factice du salafisme au Sénégal.
En s’appuyant sur les récents affrontements entre les Jambars et Attika dans les zones de Badiana, Biti Biti, le leader du PIT en coalition avec le régime actuel, en déduit que les Occidentaux mettraient en pratique un plan de déstabilisation du Sénégal via le conflit en Casamance. L’allusion de la théorie du complot contre le Sénégal atteint même un certain agenda caché des USA sur la localité géostratégique d’Elinkine, en Basse Casamance.
Selon lui, la Casamance, de par sa position géostratégique lui conférant une ouverture vers l’Atlantique, objet de contrôle militaire et marchand pour les puissances occidentales, souffrirait d’un conflit dont les calculs dépasseraient même la Casamance et ses élites.
Les élites de la Casamance appartenant à la machine de guerre Mfdc le savent. Par conséquent, l’éminence grise du PIT ne nous apprend pas grand-chose. De même qu’elles savent que l’une des lois de l’impérialisme occidental consistant en une articulation entre les visées marchandes et les dispositifs militaires, s’applique encore dans le monde.
D’où le grand intérêt de l’Occident sur Elinkin et l’ile de Karaban depuis les invasions esclavagistes portugaises jusqu’aux obsessions marchandes de le Grande Bretagne. Monsieur Sène omet d’ajouter dans son brillant point de vue, que l’un des corolaires de la résistance de nos ancêtres, c’est justement la visée géostratégique des occidentaux sur nos belles fenêtres ouvrant sur l’Atlantique.
Cette résistance traduit une intelligence politique de nos ancêtres, dont les actuels nationalistes ont hérité et qui explique le continuum historique dans la lutte actuelle du MFDC. Nous nous sommes glissés dans le sillage qu’ils ont tracé.
Mais, entre visée géostratégique de l’Occident sur Elinkine et projet de déstabilisation l’amalgame est vite fait. Si ce souci des occidentaux persiste, il doit faire l’objet de traitement, de réponse non pas de la part du Sénégal, mais les fils et filles de la Casamance en lutte pour l’édification d’un Etat-nation.
Que l’éminence grise du PIT soit rassurée : notre nationalisme ancestral inspirera toute attitude souveraine de la Casamance libre sur son territoire. Extrapoler vers l’entité Sénégal lui a permis de grossir l’amalgame analytique mixant le regain de tension et de violence, l’affaire des salafistes sénégalais arrêtés et les visées sur Elinkin. Aucune cohérence ne se dégage de cet amalgame, si ce n’est de cacher encore une fois de plus au monde le conflit en Casamance. Et surtout de convaincre les décideurs sénégalais de mettre la pression sur les leaders exilés du MFDC, via leurs amis occidentaux. De toutes les façons, nous y sommes habitués.
Au fait qu’est ce qui est éludé en filigrane par cette contribution de Monsieur Sène ? Les USA sont la seule puissance de nos jours qui s’implique de façon claire, courageuse et pragmatique dans le dossier casamançais. Au point où le Président Obama, lors de sa visite, avait évoqué la question (mais le passage de son discours où il évoquait la question de la Casamance fut censurée par la RTS comme d’habitude, mais c’est sans compter sur la vigilance des casamançais de la diaspora qui avaient regardé sur les chaines américaines ce morceau de discours)
J’ajouterai que ce sont les USA qui finançaient les futiles et pauvres discussions de l’Amiral Sarr avec les émissaires d’un de nos frères prétendant seul être le Zorro de la Casamance, à Rome. Fort de leur sens de la bonne gouvernance, au regard du manque de résultats dans les discussions de Rome, Sant Egidio n’a plus de financement les américains n’ayant pas vu de résultats et s’embourbe dans des agissements mafieux, en inquiétant honteusement par sa complicité avec les services de renseignements italiens, un paisible et pacifique frère religieux dont je tairai le nom.
Seuls les USA qui ont eu la gentillesse et le sens de la diplomatie, l’intelligence de la réalité conflictuelle en Casamance, ont rendu visite à l’aile civile et politique au siège du Mfdc à Mangokouro. Je pensais que Monsieur Sene allait percevoir, avec son amalgame d’analyse géostratégique, dans cette implication des USA, la vigilance préventive des américains sur le territoire casamançais, au sujet de la déferlante salafiste ou narcotique.
Les élites exilées de la Casamance ont longtemps entrepris un travail d’information critique par rapport, et contre la longue et vieille propagande du Sénégal, auprès de toutes chancelleries occidentales. Ce qui se passe actuellement comme implication des USA dans le conflit, est à mettre au compte de ces discrets efforts du Mfdc exilé.
Elinkin ou ONG américaines à expulser de la Casamance, soutien à la résolution de la question de la Casamance, là n’est pas la question. Au contraire la réflexion doit s’appesantir sur les méthodes américaines, les obstacles propres et internes au MFDC et au blocage psycho politique des élites gouvernantes sénégalaises, en vue de procéder à l’analyse adéquate. Car,
2°) La préoccupation des casamançais, c’est l’ouverture d’un vrai processus de négociations politiques.
Une analyse dont l’enjeu qui préoccupe aujourd’hui tout le monde, c’est l’ouverture d’un vrai processus de négociations politiques en terrain neutre, avec un Mfdc dont l’équipe experte et légitime sortirait des assises inter ou intra Mfdc, et enfin l’acceptation de la triple problématique historico juridique- politico économique et socio culturelle que le Mfdc exprime à des oreilles sourdes et arrogantes des élites sénégalaises.
Or, les USA y travaillent, et nous espérons que le bout du tunnel diplomatique au sujet de la Casamance sera atteint.
Quant à la France, (la puissance transactrice du territoire casamançais avec le Portugal, la puissance dominatrice et génitrice de l’indépendance factice et inachevée du Sénégal, Co responsable de la confusion historique entre la Casamance et le Sénégal, motif politique de l’alliance entre le MFDC et le BDS avant le référendum de 1958 dont le principe n’a jamais été remis en cause, mais plutôt matérialisé dans la syncrétique et ou hybride indépendance du Sénégal) elle avait brillé, par sa fuite en avant, face aux pacifistes courriers de Diamacoun dans les années 1979 et 1980 : elle reste paralysée par sa culture politique jacobinisme qui est très insensible aux indépendantismes (vous remarquerez que face aux irrédentismes dans le monde, là où l’Angleterre se retire sans s’entêter dans la guerre, la France finit toujours par la violence) méditons là-dessus.
La France n’abrite pas Nkrumah Sané pour le soutenir dans son combat, ni l’Allemagne avec Apakena, ni la Suisse avec Ousmane Tamba. Au nom des droits de l’homme, ces pays ont l’obligation, et cela est la preuve de la persécution contre des casamançais, de nous protéger, de nous informer de vos intentions criminelles de nous tuer ou de nous extrader ou encore de nous kidnapper : sous tous les régimes qui se sont succédés au Sénégal vous l’avez tenté, loin des projecteurs.
Ce qui est commun à tous ces leaders, c’est la persécution dont ils ont été et demeurent victimes, leur condition d’exilés nostalgiques de leur pays des rizières. La France fut aussi responsable du débile et malhonnête plagiat de Jacques Charpy, qui n’a fait que nous relire Christian Roche auteur de « Conquêtes et Résistances en Casamance », pour prétendre disqualifier notre droit à l’indépendance.
Ce que Diamacoun demandait, était pourtant simple : un arbitrage et non un témoignage. Du coup, tel fut sa demande tel reste notre désir vis-à-vis de la France. Y compris en déclassifiant les archives classées secret défense, pour que la vérité sur la Casamance éclate, sous les yeux des futurs négociateurs, quand finalement le Sénégal arrêtera sa diversion pour accepter comme l’a fait le Mali, de faire face aux élites de la Casamance en lutte.
Car, face à la polémique ou querelles historiographiques au sujet de la Casamance durant la colonisation, entre les élites sénégalaises et nous, il est nécessaire et éthiquement utile d’ouvrir les archives coloniales, en procédant à leur problématisation et leur discussion pour que le chapitre historique soit scientifiquement traité.
Voilà Monsieur Sène, ce que nous devons tous demander à la France. Cette demande, en tant que vous être homme de gauche, sensible en principe aux luttes des peuples, devrait même vous permettre de revisiter en théorie comme en pratique, le processus confus et opaque selon lequel votre cher Sénégal a obtenu comme un cadeau, son indépendance.
3°) Le salafisme imparable : changement de schéma d’analyse et érection de rempart :
Pour le sujet du Salafisme, l’ancien réflexe revient : le Sénégal est un pays de paix ; la paix qui nous fait vivre grâce aux investissements des occidentaux, car la seule source d’exportation est votre démocratie. Ce reflexe vous a même entrainé à laisser filer un terroriste mauritanien du Nord du Sénégal en Guinée Bissau du temps où Abdoulaye Baldé fut ministre de la défense, en bon casamanqué. En le laissant filer vers la Guinée Bissau, le Sénégal et Baldé l’avait tenté, cherchait à nous salir aux yeux des Occidentaux qui pouvait confondre Mfdc et terrorisme.
Monsieur Sène comment comprenez-vous les visites périodiques aux chefs confrériques sénégalais par les ambassadeurs français et américains ? Comment expliquez-vous l’injonction faite par la France à son pré carré pour aller soutenir « l’animal » Serval qui pisse 50 fois pour délimiter son territoire ? (c’est cela le sens de Serval) Comment expliquez-vous les tentatives des confréries sénégalaises proches des Haussa dans la recherche de solution au conflit sévissant dans les Etats du Nord Nigeria appliquant depuis plus d’une décennie la Charia ?
Je croyais que vous alliez vous féliciter du secours des occidentaux face à la déferlante encore vivace du Salafisme dans le Sahel et reconnaitre par là même, (et c’est le cas) que les armées francophones, n’ayant jamais fait de guerre de libération à part certaines comme le Cameroun, leurs armées sont celles de la paix pas de la guerre), les salafistes ne pouvaient qu’avec quelques pick-up traverser le Nord puis le centre du Mali.
L’histoire ne se répète certes pas mais comme l’a dit Nietzsche, elle bégaie. A titre d’illustration de ce bégayement, après voir barré militairement la route aux salafistes en majorité magrébins, elle déploie actuellement son dispositif culturel en s’appuyant sur le Maroc pour former des imams, en vue de restaurer dans le Sahel l’islam Malékite voire soufi.
Elle repart chez son allié Marocain pour réinjecter du soufisme. Et face à ce double dispositif militaro culturel, les salafistes qui aiment les symboles mettent en place Al Mourabitou, du nom de l’ancien mouvement islamique qui a introduit l’islam chez les négros africains de cette bande sahélo saharienne. Il y a des siècles, ce sont justement les Almourabitoun qui furent stoppés dans le Sahel par le déploiement impérialiste français. Qu’est-ce qu’elle se répète !
Il est vrai que le Sahel représente aux yeux des occidentaux la zone tampon entre le Maghreb tendant sentimentalement plus vers l’Occident, la réserve en toutes sortes de ressources minérales et fossiles, le point d’équilibre et de déséquilibre climatique, la réserve de l’alternative énergétique consistant en l’énergie renouvelable dont l’Allemagne est championne, etc. Toute puissance, manifesterait naturellement un fort gout pour le contrôle de ces ressources et des flux migratoires.
On retrouve les mêmes visées d’antan. Il est certes intéressant de les dénoncer, mais cela devient fatiguant sans une autre approche : au-delà de la souveraineté politique qui manque, le secret de la libération de l’Afrique réside dans ce qui fait justement la puissance de l’Occident : à savoir la maitrise de la science et de la technique en vue de la maitrise de la matière, l’indépendance monétaire ( et votre pays en a tant besoin), la création de richesses par le travail, la transformation infrastructurelle dans le domaine industriel, puis de connecter le secteur primaire à la machine de production.
Pour nous autres africains, tant que les paysans constituant plus de 70% de la force productive ne sont pas salariés, ne disposent pas de mécanismes financiers ni d’équipement agricoles, ne sont pas valorisés, aucun départ décisif en direction du développement ne pourrait s’amorcer.
Mais il y a un problème de recentrage factuel et analytique de ce qu’est le Salafisme en Afrique à dominante musulmane. Au Nord Mali, c’est certes les Occidentaux qui ont décapité le régime de Kadhafi de manière inconséquente, dans les printemps arabes ce sont certes les Occidentaux qui ont encouragé les insurrections citoyennes, mais dont les logiques bénéficiaires devaient être les historiques opposants islamistes.
Mais la présence salafistes pour le Nord Mali fut le résultat de la pression militaire du Général Lamari sur le GSPC qui a trouvé une arrière base dont le premier objectif fut de reconstituer des forces contre Alger. C’est aussi lié aux accointances arabo islamiques entre ATT et son grand financier Kadhafi. Tombouctou Gao ont été pendant longtemps le principal lieu d’une économie parallèle, du laxisme envers l’affairisme arabo islamiste.
Il y’avait dans le Nord Mali un mélange entre l’affairisme touarego libyen, le laxisme d’ATT au nom de la paix, touarego islamiste et l’islamisme venu de la Mauritanie et de l’Algérie. Sur place, des années auparavant, le Wahhabisme venu d’Arabie saoudite avait élu domicile dans les associations dans les écoles coraniques, etc. Le tout couronné par le mouvement Daawa, encore actif dans presque tous les pays du Sahel. Daawa est le versant africain du prosélytisme pakistanais et afghan sur les régions d’Afrique à majorité ou forte présence musulmane.
Iyad Ag Ali et les salafiste dirigés par Amadou Koufa le peulh salafiste du centre du Mali qui attaque et Bamako et sa partie Sud, appartiennent idéologiquement au mouvement Daawa. J’espère que les africains ne feront encore pas de déni sur la naissance du négro salafisme. Ce ne sont plus les arabes ou les magrébins qui introduisent ce nouvel islam dans le Sahel, mais les autochtones de cette région.
Ce phénomène du wahhâbisme, on le rencontre aussi bien au Sénégal qu’au Niger, au Tchad qu’au Nord Nigeria, et de plus en plus dans les zones d’équilibre démographico religieux comme la Cote d’ivoire, le Burkina. Là justement le prosélytisme prend tout son sens et sa vigueur, parce que simplement les monothéismes abrahamiques ont toujours été dans des relations de conquêtes dans le monde. Il faut répandre la bonne parole an historique, dogmatique et holistique.
4°) Le salafisme versus l’islam soufi ou des Tarika, vieux syncrétisme allié de la France :
Aujourd’hui, dans le Sahel musulman, on n’a affaire pas seulement aux délires et infamies de Abubakar Shekau, aux bêtises du Mujao devenu dans son alliance avec Moctar Bel Moctar El Mourabitin, qui saccage l’art et la culture. Ce, au nom du monothéisme judéo islamique contre l’image. Pour les monothéistes notamment judéo islamiques, l’image et ou la représentation sont des risques de la fin de l’abstraction du divin. On a aussi certes affaire à des décapitations et massacres selon (et on ne le dit pas assez) le droit de la guerre version salafiste).
On assiste certes à des archaïsmes qui se nourrissent pourtant de la modernité (Georges Balandier serait content de voir ça, car il définit la modernité de façon originale, en mélangeant passé et présent dans une dynamique de crises).
Certes les salafistes sont, par là même, techno mondialisés. Ils recourent aux moyens sophistiqués de communication et en regroupant comme le fait l’EI en Syrie et en Irak, certains ingénieurs et techniciens, ils planifient des moyens militaires de destruction massive.
Mais je pense qu’il s’agit d’un nouvel Islam. Celui qui s’oppose aux confréries et aux Cheikh, qui s’oppose aux familles maraboutiques, bref au soufisme. Lequel soufisme a quelque chose à avoir, par exemple, avec l’islam Malékite (allié de la France dans la domination des noirs, y compris en Casamance, où la Tidiania des chérifs fut un allié de l’économie arachidière extravertie à laquelle Alin Sitoe Diatta voulait opposer l’économie vivrière de la souveraineté) ainsi qu’avec l’administration endo-coloniale.
Il est fortement politisé, imprégné des grands enjeux géostratégiques du proche Orient, inscrit dans « la guerre des religions », car les monothéismes comme formes politiques n’ont jamais cessé et ne cesseront jamais d’être en guerre. Du moins tant que la lutte pour la vérité absolue ne prendra pas fin.
Ce nouvel Islam est pourtant très « républicain » sur un seul point, à savoir la fin des féodalités soufies par exemple ou Malékite ou même monarchistes des Sauoud. Derrière la lutte contre les féodalismes politico religieux ou soufis, le salafisme s’oppose, en vérité, à des conservatismes.
Pour le cas du Sénégal, le modèle islamo wolof dont parle l’historien Mamadou Diouf est une sorte de collision entre le conservatisme confrérique et les élites dites modernes et laïques dans l’exercice du pouvoir non formel ou de l’implantation de l’Etat. Dans ce système les casamançais sont exclus de fait. Du coup, dans l’aventure nationale, dans le vivre-ensemble les paradigmes politico culturels ne correspondant pas à leurs traditions et leur égalitarisme politique, ils rêvent d’un autre Etat-nation.
Le salafisme notamment du Nord Nigeria s’oppose à un système de verrouillage des mécanismes de redistribution des ressources, du jeu politique caractérisé par une espèce « d’inceste » car pour garder le pouvoir et contrôler la circulation des ressources au Nord Nigeria les familles des Sultans des sénateurs, des gouverneurs etc. se marient entre eux, constituent des forces de conservation, des puissances de corruption, etc.
Si elles ont été formées à l’école occidentale pour agir ainsi, alors, Boko Haram comme expression, comme une sorte de slogan haussa (signifiant l’école occidentale est u péché), a tout son sens. De même, au commencement et fondamentalement, ce fut une bataille théorique interne à l’islam lui-même ; entre des tenants du salafisme qui veut dire les originels, les fidèles à la Sunna de Mohamed et donc du purisme islamique (Mohamed Yusuf et Cheikh Jafar). La principale cible idéologique du salafisme au Nord Nigeria, c’est le Bidda. Or bien des pratiques des Tarika sont effectivement des Bidda, y compris le Maouloud pour ne citer que ça. Ikamatoul Sunna wa Izalatoul Bidda. Là est tout l’antagonisme entre le nouvel Islam et celui auquel les noirs musulmans sont jusqu’ici habitués.
Au Mali, la matérialisation de la rupture fut la destruction des mausolées, où furent enterrées les figures de l’islam soufi ou des tarika dans le Sahel ou encore Malékite. Au Sénégal, vu les réactions récurrentes sans même écouter les salafistes qu’on arrête, on sait qu’il s’agit d’une remise en cause des tenants de l’islam des tarika, notamment celui qui idolâtre les marabouts. Je parie qu’il y aura sous peu un affrontement idéologique entre les branches des familles maraboutiques aspirant au pouvoir central (Modou Kara et Mouchtarchidine ou encore le petit fils d’Abdoulaye Niasse, etc.) et les salafistes minoritaires, mais agissants et attrayants, connectés à une sorte d’internationale salafiste.
Au Sénégal où on se targue de stabilité reposant sur l’alliance entre système confrérique et les élites étatiques, il y a pourtant quelques faits troublants : l’Etat du Sénégal, de par ses courbettes et génuflexions dans les résidences de leurs marabouts, vise les électorats majoritaires et puissants, verrouillant ainsi les jeux de distribution et de contrôle des pouvoirs – les marabouts ont reproduit le système de nobles et d’esclaves qu’on trouve en société wolof (car le marabout l’est à vie, pendant que le Talibé le reste aussi à vie, dans les confrérie nul ne peut sauf le Marabout donner la leçon, donner la directive, et assujettir les Talibé)
– la centralité du savoir et de l’ordre sont sous le contrôle du marabout qui, par son Ndiguel, fait pivoter le discours religieux autour de lui et sa centralité se renforce
– l’Etat n’a aucun pouvoir fiscal sur les Adiya versés sous forme d’impôts traditionnels d’une féodalité figée ; lui-même en verse aux marabouts. Quel scandale ! Pire, tous les flux financiers dans les capitales confrériques échappent à l’Etat Sénégalais. Un digne fils de Casamance ne peut pas, déjà structurellement parlant, supporter un tel système.
Face à l’opposition du Prophète Mouhamed aux formes de féodalités conservatrices en Arabie, à la suppression des instances interprétatives dans la connaissance religieuse, les soufis ou les Tarika sont des producteurs de Bidda, qui en fait, les arrangent dans leur pouvoir symbolique, dans leurs alliances d’intérêts matériels avec les politiques. Comment ne pas avoir donc des motifs de nouvelles luttes politico religieuses dans les sociétés musulmanes du Sahel ?
De même, par la guerre qu’ils mènent et par le purisme idéologique et théologique, les premiers ennemis des salafistes sont les musulmans eux-mêmes. Car, la question de fond tient à la polysémie du Texte prêtant à une floraison d’interprétations ; et par conséquent, aux plages de « dérives et délires » qui se déroulent sous nos yeux. C’est aussi quelle codification des interprétations faut-il mettre en place dans une opération mondiale de critique et de modernisation interne de l’Islam ? Quand je parle de critique, c’est au sens de travail intellectuels de débats ouverts, etc.
5°) Le vaste projet culturel et politique de l’Afrique noire :
C’est une gigantesque tache culturelle et civilisationnelle dont les systèmes éducatifs ont la charge, mais aussi et surtout les philosophes et les artistes, en ce qu’ils sont inventeurs de concepts et de modes de vie (la définition admirable que Gilles Deleuze donne de l’activité philosophique). C’est l’un des défis du Sahel dans les années à venir. La lutte contre le salafisme ne sera pas militaire, mais culturelle et politique.
Sinon, les confréries dont vous vous targuez seront balayées. Si le salafisme est porteur de nouvelle « modernité » politique, ne serait-ce pas tant mieux ? Là j’en appelle au débat qui dépasse nos querelles entre casamançais et Sénégalais. Il faut surtout éviter la réponse sécuritaire face au salafisme, erreur commise par le Nigeria dans le massacre des disciples de Mohamed Yusuf, alors qu’il était possible d’engager contre lui la bataille théorique qui pouvait pourtant trouver sa place dans la Charia déjà existante dans bien des Etats du Nord Nigeria. Avant de liquider Cheikh Jafar son maitre alors qu’il priait dans une mosquée à Kano, Mohamed Yusuf avait engagé la bataille théorique et théologique, avant que les forces de sécurité, par ignorance de la tradition « des sectes » au Nord Nigeria ont brutalement mis fin à sa petite république islamique. Elle s’est réveillée de ses cendres en devenant monstrueux.
Par ailleurs, il est fréquent, dans les milieux intellectuels musulmans, d’entendre dire que ce nouvel islam, Salafiste serait une dénaturation ou un sabotage du vrai. Je crois que la question n’est pas tant de savoir quel est le bon ou mauvais islam, le vrai ou le faux, mais quelle est la fonctionnalité politique, culturelle de l’islam à un moment donné de l’histoire. Selon certaines circonstances, des types de rapports politico religieux entre les peuples, il arrive qu’un des monothéismes joue telle ou telle fonction. Parfois elle peut même être à la fois libératrice, obscurantisme, critique et subversive, bref productrice de modernité. C’est dans le mouvement que réside le nouveau. Mais le nouveau ne s’épure pas des archaïsmes.
J’ai parfois l’impression que, en dépit de ma répugnance face aux actes infâmes et abjects, ne serait-ce que dans la méthode de lutte, le nouvel islam incarné par le Salafisme ou le wahhabisme pacifiste ressemble à bien des égards (et ce serait bien d’envisager, à titre analytique la comparaison) au processus de naissance de la Réforme dans l’histoire du Christianisme. La centralité de Rome et du Pape contre l’individuation du rapport à l’Absolu, la sauvegarde des instances interprétatives hiérarchisées contre leur polymorphie dans le protestantisme, etc.
En tout cas, en Casamance, nous avons toujours développé des modes de vie, des systèmes de tolérance et la conservation des modèles animistes moins conquérants et moins arrogants, pour que cela suffise à bâtir un rempart au Salafisme. C’est dans les systèmes religieux traditionnels qu’on trouve par exemple, l’écologie avant la lettre à travers le concept de bois sacré ; c’est dans ces systèmes que l’on trouve la parité homme femme, signe de modernité, avant la lettre ; c’est dans ces systèmes que l’on trouve les valeurs ethniques sures pour la bonne gouvernance, que l’on trouve le sens aigu de la justice et le secret du développement, à savoir le culte du travail. Il y existe bien d’autres valeurs qui méritent d’être revisiter.
6°) La Casamance de demain pourrait jouer le premier rôle :
Revisiter les systèmes religieux dits traditionnels aiderait à trouver les outils et les ressources, les doctrines et les schémas culturels et politiques pour résister à l’arrogance salafiste. Kwame Nkrumah ne proposait-il pas dans son livre « le Consciencisme », de faire des religions traditionnelles africaines des mécanismes de filtrage des apports religieux venus de l’Orient et de l’Occident ? La perte des civilisations, la domination politique commencent toujours lorsque votre Dieu est défait. C’est peut-être ce qui est arrivé à l’Afrique noire. A quand son aggiornamento spirituel d’abord ?
Nous ne souffrons pas (le Mfdc et ses élites y veillent) de conservatisme confrérique, ni de féodalisme religieux, ni de prosélytisme religieux, source de guerre et de conflit. Mais du modèle confrérico wolof, de l’étouffement politique de notre peuple dans sa lutte pour recouvrer son droit à l’autodétermination.
Nous souffrons des manœuvres diplomatiques du Sénégal auprès des puissances pointées du doigt par votre contribution, afin que celles-ci ne s’engagent pas à fond dans la résolution du problème casamançais. Notre lutte n’est pas une guerre par procuration que nous menons pour la France ni pour les USA ni pour le salafisme mondialisé.
Nos analyses géostratégiques en rapport avec la lutte, nous les faisons et les appliquons en fonction du seul intérêt de notre peuple ; nos alliances sont établies dans le seul but du succès de notre lutte. Celle-ci générera un nouveau modèle politique et économique original dans la sous-région, que bien des frères africains envieront. Ce serait là le génie du Mfdc, s’il sort un peu du militaire pour plus de politique.
Dr. Ahmed Apakena Diémé, Consultant indépendant, Directeur de SASCOM
(Sahel Stratégie Communication), membre du Cercle des Intellectuels et Universitaires du Mfdc. Allemagne