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Corne de l’Afrique, 60 ans de famine, ça suffit…

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LEÇONS D’HISTOIRE ET DE GEOPOLITIQUE

60 ans de famine et ce n’est pas fini… Depuis la fin des années 1970 où les jeunes élèves africains entendaient déjà parler de ses misères, de la faim et de la sécheresse, la Corne de l’Afrique n’a pas réellement changé. La génération d’Africains des années 60 a bien grandi, mais après les promesses de la  logique de « villagisation » en Ethiopie, l’opération « Restore Hope » au milieu des années 1990 en Somalie, il semble que les démons de la famine sont plus forts que les hommes. En Ethiopie, au Kenya, dans le Soudan et en Somalie, le compte à rebours a commencé depuis plus de deux mois pour voler au secours de quelque 12 millions de personnes : des enfants, des femmes, des vieilles personnes à qui il ne reste plus que le regard vague et terrible des yeux pour survivre… Ce quatrième numéro de votre rubrique« Leçons d’histoire et de géopolitique », vous plonge dans cet univers vaste et plein de paradoxes de l’est du continent. Une manière de poser un regard plus lucide sur la Somalie et ses voisins.

60 ans de famine, ça suffit. Loin du slogan, pour conjurer le sort d’une partie du continent en proie à des crises alimentaires depuis la fin des années 1950, cette phrase est la résultante d’une volonté affichée par les partenaires au développement, les gouvernements du G20 et certains pays de la corne de l’Afrique pour se sauver d’une prochaine catastrophe humanitaire. Lundi 25 juillet, la ville de Rome s’éveille pour faire face à une journée d’incertitude sonnée par les terribles images venues d’Oslo à la suite de l’attentat tragique qui a frappé la capitale norvégienne la veille, faisant quelque 92 victimes humaines.


Dans une cité historique souvent laissée aux rêveurs et aux croyants, la population ne se doute pas encore qu’une autre terrible nouvelle guette le monde, une autre famine déclarée, il y a quelques jours du côté de la Corne l’Afrique. Et, dans l’une des très grandes salles de conférence de la Fao, se joue cet autre acte de cette journée avec la présence de ministres africains, occidentaux venus prêter leurs voix et les moyens de leur pays pour sauver encore une fois la Somalie et ses voisins proches de leurs démons et du chaos.
Somalie (1), Ethiopie, Soudan, Ouganda, Kenya, on dirait que les effets induits d’un tel problème n’épargneront pas encore tous ces pays de l’Afrique Orientale. La Corne de l’Afrique, c’est comme cela qu’on appelle ce groupe de pays souvent revenus dans l’histoire de la construction du monde, sous la forme d’une plaie infecte qu’aucun infirmier, fut-il le plus expérimenté ne pourrait regarder sans frémir. Convoquée par les Nations Unies à travers son agence qui s’occupe d’alimentation et d’agriculture et le G20 agricole impulsée en ce moment par le France et son président Nicolas Sarkozy,  cette réunion de Rome arrive à un moment particulier dans la vie de ces terroirs. La Somalie est un pays failli comme le disent les économistes.
L’Ethiopie, une vieille terre de famine qui s’en remet depuis quelques années. Le Nord du Kenya, une mare de réfugiés envahie par des gens usés et fatigués venus des voisins terroirs des deux entités précitées et encore du Soudan. Encore frappé dans son cœur au moment où il se remet des soubresauts politiques de 2007, le gouvernement kenyan n’avait pas besoin de cela, a révélé son ministre de l’Agriculture présente à la conférence de mobilisation de Rome.
Où va la Somalie ? Et à quand la prochaine famine après celle-là qui arrive ?  Le cas somalien est assez différent des différentes périodes de famine qui ont eu lieu dans cette partie du monde depuis trois décennies ou plus. En plus de l’absence de pluie pendant deux saisons, qui a entraîné la plus grande sécheresse depuis des décennies, les conditions politiques en Somalie jouent un rôle important dans cette crise. Le pays est victime de luttes pour le pouvoir et de la présence du groupe islamiste Al-Chabaab, qui a interdit l’accès aux organisations d’aide il y a deux ans. Une interdiction qui a cependant été levée récemment.
Plus de dix millions de personnes sont touchées depuis plusieurs mois dans la région de la Corne de l’Afrique par la sécheresse qui, selon les Nations unies, pourrait être la pire connue dans la zone. Djibouti, l’Ethiopie, le Kenya, l’Ouganda sont aussi affectés. Les Américains ont également exhorté l’Erythrée à révéler dans quelle mesure elle souffre de la catastrophe climatique. Mais en Somalie, la situation est encore aggravée par des conflits armés permanents. Et les Somaliens fuient leur pays par milliers à destination de l’Ethiopie et du Kenya voisins. Depuis les vingt dernières années, la Somalie est embourbée dans une « guerre civile » tout en étant victime d’un processus de déstabilisation économique affectant le secteur rural et urbain.
Le pays fait maintenant face à une famine généralisée. Les Nations Unies présentes sur le terrain annoncent que des dizaines de milliers de personnes sont décédées de malnutrition dans les derniers mois. Des images effacées des grands écrans réapparaissent aujourd’hui. Tout comme le visage hagard de femmes portant à bout de bras, des enfants victimes dont le seul tort est d’être né dans un pays pauvre sacrifié à l’appétit du pouvoir de ces hommes. Des gens qui tuent au nom du pouvoir politique. Pour rien. Nous sommes en Afrique.
Pourquoi toute une région est au bord du chaos
Globalement, on estime à quelque 17,5 millions le nombre de personnes nécessitant aujourd’hui une aide alimentaire en Afrique de l’est, soit 13% de plus que les mois de mai-juin. A l’heure actuelle, le taux de malnutrition aiguë est souvent inférieur au seuil de 15% fixé par l’Oms et il a atteint les chiffres inquiétants de 37 et 33% respectivement dans les camps de réfugiés de Dadaab au Kenya et de Dolo Addo en Ethiopie.
En Somalie, dans les régions du Bakool et du Bas Chébéli, la malnutrition, déclare la Fao, aiguë ne touche pas moins de la moitié de la population et le taux de mortalité dépasse six personnes sur 10 000 par jour. Et avec les changements climatiques, il est probable que des sécheresses de grande ampleur se produiront plus souvent dans les années à venir et frapperont des territoires plus vastes. Un tour d’horizon pays par pays de la sous-région montre une situation presque similaire dans la région de la corne de l’Afrique.
Dans l’Erythrée, en raison de sa situation dans la corne de l’Afrique, ce pays séparé de l’Ethiopie, est exposée à des conditions climatiques extrêmes, notamment des épisodes récurrents de sécheresse prolongée et des inondations exceptionnelles. Le système mondial d’information et d’alerte rapide sur l’alimentation et l’agriculture de la Fao basé sur l’imagerie satellitaire indique que les pluies de la saison Azmera (de mars à mai) sont arrivées avec quatre semaines de retard perturbant le cycle des principales cultures (sorgho, millet, maïs etc.)
L’exemple de l’Ethiopie en un autre. Et, en raison du phénomène La Nina (3) de 2011, la situation en matière de sécurité alimentaire s’est détériorée dans le sud et le sud-est du pays ainsi que dans les régions qui sont dépendantes des pluies (belg et sougum). En conséquence, le rendement des cultures à cycle court a été médiocre et le cheptel, selon les rapports de la Fao, s’est affaibli réduisant la disponibilité alimentaire. Le Kenya un peu mieux loti, n’est pas aussi à l’abri. On estime ainsi dans ce pays que 2,4 millions de personnes dans les zones pastorales et agropastorales du nord et du nord est ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins essentiels en nourriture et en eau.
A coté du Kenya, la Somalie est un pays dans le rouge. On estime à quelque 3,2 millions de somaliens actuellement en situation d’insécurité alimentaire en raison des mauvais récoltes et des faibles niveaux de production prévus pour les récoltes du mois d’aout 2011. C’est ainsi que deux régions du sud du pays ont été déclarées régions touchées par la famine. La plupart de ces habitants ont perdu leurs moyens de subsistance (récoltes, bétail etc.) du fait de la sécheresse dans la corne de l’Afrique. Djibouti, le Soudan et l’Ouganda complètent la liste.  C’est ainsi qu’au Soudan, le Grand Darfour se caractérise par une situation d’insécurité alimentaire, transitoire ou chronique qui a fortement perturbé les moyens d’existence de la population. Et dans le Soudan oriental et les zones de transition, le conflit dans l’Abiyei et dans le sud Kordofan, a provoqué le déplacement de plus de 150.000 personnes.
FOCUS SUR…

La Somalie,  Une géographie compliquée
Pays le plus touché par les famines depuis plusieurs dizaines d’années, la Somalie est l’État le plus oriental de l’Afrique. Son relief consiste principalement en plaines et hauts plateaux. Au nord, la chaîne du Karkaar longe le golfe d’Aden. Les températures sont élevées toute l’année excepté en altitude, au nord. Les précipitations sont peu abondantes et le climat est semi-désertique ou désertique dans la plus grande partie du pays. La majorité de la population est nomade et vit de l’élevage de troupeaux. Le sud-est reçoit davantage de précipitations et ses deux fleuves, le Jubba et le Shabele, lui fournissent une irrigation suffisante à la pratique de l’agriculture. Des géologues ont suggéré que la Somalie pourrait abriter des gisements de minéraux exploitables mais aucune prospection d’importance n’a été entreprise à ce jour. La côte, longue de plus de 3 000 km, a permis de développer le commerce avec le Moyen-Orient et le reste de l’Afrique de l’est.
Il s’agit d’un des pays les plus pauvres et les plus instables au monde. Depuis 2008, il est classé pays le plus défaillant au monde. Avec une superficie de 637.657 km2, la Somalie est le 42 ème pays le plus vaste au monde par la superficie. Entourée par le golfe d’Aden, l’océan Indien, Djibouti, l’Éthiopie et le Kenya, la Somalie possède 3 025 km de côtes et 2 366 km de frontière terrestre dont plus de la moitié avec l’Éthiopie. Le sud de la Somalie est traversé par ses deux seuls fleuves permanents, le Jubba et le Shabele, qui prennent leur source dans les hauts plateaux éthiopiens. L’altitude y est beaucoup plus basse, 180 mètres en moyenne.
Le Jubba se jette dans l’océan Indien à Kismaayo. Le tracé du Shabele a probablement changé depuis la préhistoire. Alors qu’il longe actuellement la côte après Balcad, on pense que son embouchure se trouvait auparavant vers Merca. Au-delà de Mogadiscio, le Shabele n’est plus permanent et forme des zones marécageuses ou sèches avant de se perdre dans les sables à l’est de Jilib, près du Jubba. Pendant les pluies, le Shabele remplit à nouveau son lit et peut même traverser le Jubba loin au sud. La région est propice à l’agriculture grâce à des pluies relativement abondantes et des terres de bonne qualité. Elle abrite la majorité de la population sédentaire.
Après le Tsunami de 2004…

Un pays livré aux catastrophes
Certaines zones de Somalie, bien qu’éloignées de 4 500 km de l’épicentre, furent dévastées par le tsunami du 26 décembre 2004. Quelques villages sur la côte de l’océan Indien furent détruits par le tsunami et environ 110 personnes (essentiellement des pêcheurs) furent tuées. L’année pluviométrique somalienne est rythmée par quatre saisons, deux saisons sèches (jiilaal et hagaa) et deux saisons des pluies (gu et day). La saison gu dure d’avril à juin et couvre le désert de végétation après quatre mois de sécheresse. Gu est suivie par la saison sèche Hagaa de juillet à septembre, puis par les pluies de day en octobre et novembre. La saison sèche de jiilaal (décembre à mars) est la plus dure pour les pasteurs et leurs troupeaux.
Excepté au sud et dans certains microclimats de la côte nord, les précipitations annuelles ne dépassent pas 500 mm, et le nord ne reçoit que 50 à 150 mm de pluie. Les précipitations prennent la forme d’averses ou de pluies locales torrentielles et sont très irrégulières dans l’espace et le temps. La Somalie est divisée en 18 régions administratives (somali : gobolka, au pluriel gobollada qui sont regroupées en six États, par ordre d’importance :

Le Somaliland (capitale : Hargeisa)
Le Puntland (capitale : Garoowe)
Le Maakhir (capitale : Badhan)
Le Galmudug (capitale : Galcayo)
Le pays comptait environ 7 millions d’habitants en 2000. Les estimations sont difficiles en raison du nombre important de nomades et de réfugiés qui tentent de fuir la famine et les guerres interclaniques. Depuis le début des années 1990, la guerre civile entrave le développement économique du pays.

Cette économie repose sur l’agriculture et en complément sur l’exploitation des mines de sel. Le pétrole est convoité par de grandes compagnies qui négocient avec les gouvernements en place. Cette économie est assistée par l’aide internationale et les rentrées de devises de la diaspora, rentrées évaluées à plus de 60% du PIB en 2007.
Une économie en faillite
Un des pays les plus pauvres et les moins développés du monde, la Somalie dispose de peu de ressources et subit régulièrement des sécheresses. De plus, une bonne partie de l’économie a été saccagée par la guerre civile depuis 1991. L’agriculture est le secteur le plus important, avec l’élevage d’animaux de ferme comptant pour environ 40% du PIB et environ 65% des revenus de l’exportation. Les nomades et semi-nomades, dont la subsistance dépend des animaux de ferme, représentent une grande partie de la population.
Les principales exportations de la Somalie sont les animaux de ferme, les peaux, le charbon et les bananes, alors que les principales importations sont le sucre, le sorgho, le maïs, le poisson et le qat (ou khat) (drogue douce). Le faible secteur industriel de la Somalie, basé sur le traitement des produits agricoles, a fait l’objet d’importants pillages et de ventes de ferraille. Malgré l’anarchie apparente, le secteur du service de la Somalie a réussi à survivre et à progresser. Les sociétés de télécommunications fournissent des services de téléphonie sans fil dans la plupart des grandes villes.
En 2001, la Somalie était classée dernière sur la liste des pays par indice de développement humain.

Pour vos dons cliquer Ici11,5 millions de personnes sont menacées.
NOTES
1-La Somalie, en forme longue la République de Somalie, en somali Soomaaliya et Jamhuuriyadda Soomaaliya, en arabe a?-s?m?l  et Jumh?riyyat a?-??m?l, est un pays situé à l’extrémité orientale de la Corne de l’Afrique.

2- Terre de paradoxe. Alors que plusieurs milliers de personnes souffrent actuellement de la famine dans la corne de l’Afrique, le gouvernement éthiopien a décidé de céder 245 000 hectares de terres agricoles à des compagnies étrangères pour y pratiquer une agriculture d’exportation.

3- La Niña est un phénomène climatique ayant pour origine une anomalie thermique des eaux équatoriales de surface (premières dizaines de mètres) de l’océan Pacifique centre et est caractérisée par une température anormalement basse de ces eaux. La Niña (la petite fille en espagnol) tire son nom d’une comparaison avec El Niño (le petit garçon en espagnol en référence à l’enfant Jésus) dont les conséquences maritimes et climatiques sont globalement l’inverse de celles de La Niña. La fréquence de La Niña est différente de celle d’El Niño et les deux événements ne semblent pas nécessairement induits l’un par l’autre (seuls un tiers des cas de proximité dans le temps entre El Niño et La Niña semblent montrer une corrélation)[1]

4- L’Autorité intergouvernementale sur le développement ou Intergovernmental Authority on Development (Igad) est un groupement régional associant sept pays est-africains : Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Somalie, Soudan et Ouganda. Le groupement a été créé en 1986 par les chefs d’État et de gouvernement des États membres sous le nom d’Autorité Intergouvernementale sur la sécheresse et le développement (IGADD) en réponse aux nombreuses catastrophes climatiques (fortes sécheresses récurrentes et autres catastrophes naturelles) qui ont causé des famines, dégradé l’environnement et engendré une dépression économique dans la région de l’Afrique de l’Est entre 1974 et 1984.

5 -Le Fonds international de développement agricole (FIDA) est une institution spécialisée du système des Nations unies. Il a été fondé en décembre 1977 dans le sillage de la Conférence mondiale de l’alimentation réunie à Rome en 1974. Son siège est à Rome.

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