Même si vous êtes bien informés de ce qui s’y passe, vous attendez sans doute de moi que je traite cette semaine de la Côte d’Ivoire. Je vais donc le faire et tenter de répondre à la question que nous nous posons tous quand et comment ce malheureux pays en crise depuis plus de dix ans sortira-t-il enfin de la tourmente ?
Mais auparavant, je voudrais dire un mot de la situation révoltante dans laquelle se débat un autre grand pays africain, l’Égypte. Son régime, qui s’est installé au pouvoir voilà trente ans, vient de nous administrer une nouvelle fois la preuve, à l’occasion d’ “élections” législatives, qu’il était prêt, pour se maintenir en place, à fouler aux pieds les règles de la démocratie et les droits les plus élémentaires de ses « sujets ». Protégé par sa proximité avec les États-Unis, Israël et l’Europe, il peut continuer sur cette voie sans susciter de vrais remous, sans que s’en offusquent ni l’Union européenne, ni l’ONU, ni l’Unesco, sans que protestent haut et fort les grands intellectuels du monde.
Connaissez-vous un autre pouvoir aussi arbitraire bénéficiant d’autant de mansuétude ? Qui peut expliquer ce désintérêt général pour le malheur des Égyptiens ?
Mais, venons-en à la Côte d’Ivoire. Le second tour de l’élection présidentielle, qui opposait Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara, devait être, le 28 novembre, la porte de sortie d’une interminable crise : on allait enfin voir la lumière au bout du tunnel.
Par la volonté d’un seul homme, mais bien placé pour appuyer sur l’interrupteur, le pays se trouve aujourd’hui encore dans une situation de blocage.
On a même l’impression que ce blocage est une régression, voire une rechute. Avec deux Présidents, deux Premiers ministres et deux gouvernements installés à peu de distance les uns des autres, le pays paraît ingouvernable, au bord de l’implosion.
Ce n’est pas du tout mon avis: je crois que la Côte d’Ivoire est plus proche du salut qu’elle n’en donne l’apparence. A condition qu’agissent son nouveau président et son gouvernement.
Mais d’abord, un mot d’explication : pourquoi Laurent Gbagbo a-t-il décidé de ne pas accepter le verdict des urnes?
Le résultat du scrutin créditant Alassane Ouattara de plus de 54 % des suffrages était connu des initiés dès la matinée du lundi 29 novembre. Mais Laurent Gbagbo était sûr qu’il allait gagner et il n’a appris sa défaite que le lendemain dans la soirée, ou peut-être même seulement mercredi, son entourage n’ayant pas osé l’en informer.
Gbagbo est ainsi fait qu’il n’a pas songé une seule seconde à l’accepter. Il a pensé tout de suite à la carte qu’il tenait en réserve : le Conseil constitutionnel nommé et contrôlé par lui.
Très vite, lui et les siens échafaudent leur riposte : d’abord empêcher la Commission Electorale Indépendante de proclamer le résultat provisoire selon lequel Alassane Ouattara a gagné avec une avance de 8 points; ensuite faire entrer en scène le Conseil constitutionnel.
Gbagbo n’était allé aux élections – tardivement – que parce qu’il était persuadé de l’emporter, et n’a jamais imaginé qu’il aurait à affronter Ouattara au second tour : huit sondages successifs de la Sofres, commandés par son parti et payés par lui, l’assuraient que son adversaire serait Henri Konan Bédié… et qu’il le battrait aisément.
Aussi méfiant soit-il, il y a cru, et dans les moments d’euphorie, il s’imaginait même réélu dès le premier tour…
Le 28 novembre n’aura pas été son jour : non seulement il est battu, mais l’écart des voix est tel que la Commission Electorale Indépendante – renouvelée à sa demande quelques mois avant le vote, dotée d’un président explicitement agréé par lui – et l’ONU n’ont ni doute ni hésitation : quelles que soient les réclamations, le nouveau Président élu par la majorité des Ivoiriens est Alassane Ouattara.
Le fait paraîtra incontestable aux Africains et notamment à l’Union africaine, à la Cedeao et à l’Afrique du Sud. Homologué par l’ONU, il est reconnu par les institutions internationales, ainsi que par l’Europe et les États-Unis; la Chine et la Russie elles-mêmes ne le contestent pas.
(Presque) seul contre (presque) tous, Gbagbo se rebelle et entre en résistance : l’élu, c’est lui, soutient-il, et il se hâte de se faire investir par ce Conseil constitutionnel qu’il a requis de l’adouber.
Il nomme un Premier ministre et un gouvernement, donne et se donne l’impression d’être le détenteur légitime du pouvoir. Comme avant le 28 novembre.
Il paraît impavide et l’on dirait même qu’il se délecte de se retrouver dans la condition de rebelle, d’avoir contre lui l’ensemble de la communauté internationale… Mais n’en doutez pas : il est sur un siège éjectable et ne le sait que trop.
Car, le 28 novembre 2010 fera date en Côte d’Ivoire : il marque la naissance d’une nouvelle majorité présidentielle, à la fois légale et légitime, qui ne devrait pas tarder à s’affirmer. Dans les jours qui viennent, elle rassemblera entre ses mains, l’un après l’autre, les principaux attributs du pouvoir : les services de sécurité, les finances, les relations extérieures, la communication.
La communauté internationale la soutient, et vous verrez se rallier à elle, les uns après les autres, les Ivoiriennes et les Ivoiriens détenteurs d’une parcelle d’autorité.
Au moment où la Guinée se dote d’un Président démocratiquement élu, les citoyens ivoiriens veulent – comme tous les Africains- que leur pays s’éloigne du bord du gouffre, sorte de l’incertitude et se remette au travail afin que l’Afrique de l’Ouest retrouve, en une Côte d’Ivoire enfin stabilisée, sa locomotive d’antan.
Avec le couvre-feu, la fermeture des frontières terrestres et le bannissement des médias audiovisuels internationaux, Gbagbo isole la Côte d’Ivoire, désorganise ses échanges extérieurs et l’éloigne du retour espéré par tous à la normalité.
Ce faisant, il ouvre un boulevard au nouveau Président, son Premier ministre et leur gouvernement.
Je n’ai pas de conseil à donner à ces derniers, mais je suis dans mon rôle en leur disant qu’à leur place, 15 jours après le 28 novembre, je considérerais révolu le temps où l’on conjure – en vain – « le frère Laurent Gbagbo» d’accepter le verdict des urnes, où l’on accepte que « le conciliateur» de l’Union africaine, Thabo Mbeki, lui donne publiquement l’accolade, le considère lui aussi comme un frère à même d’écouter les appels à la raison.
Est venu le temps de la fermeté à l’endroit d’un homme à l’ego démesuré qui mène son pays au désastre, et à l’endroit de ceux et celles qu’il a entraînés dans son aventure. On doit leur dire qu’ils encourent des sanctions nationales et internationales. Alassane Ouattara, son Premier ministre, Guillaume Soro, et leur gouvernement ont raison, certes, de vouloir épargner à leur pays un retour à la violence. Mais, ils le savent et le sentent : ils sont en face d’un homme et d’une faction déterminés à leur disputer, aussi longtemps que possible, la légalité du pouvoir.
En avril 1961, dans une situation comparable, fort de sa légitimité, un certain Général De Gaulle avait d’emblée pris l’offensive contre une rébellion similaire et, en peu de jours, l’a réduite.
L’éloquence de son discours et l’efficacité de son action sont stupéfiantes. Lisez :
« Un pouvoir insurrectionnel, coupable d’usurpation, exploite la passion, provoque l’adhésion enflammée d’une partie de la population qu’égarent les craintes et les mythes… Ses auteurs ne voient et ne comprennent la Nation et le monde que déformés à travers leur frénésie.
Ils font montre d’un savoir-faire expéditif et limité ; leur entreprise conduit tout droit au désastre national.
Je demande que tous les moyens, je dis bien tous les moyens, soient employés pour barrer la route à ces hommes, en attendant de les réduire.
J’interdis d’exécuter aucun de leurs ordres. »
Je ne connais pas de plus belle analyse ni de meilleur guide pour l’action : l’insurrection que le Général avait à combattre s’est effondrée comme un château de cartes…
On attend d’Alassane Ouattara et de Guillaume Soro qu’ils empruntent le même chemin. Il les conduira au plus éclatant des succès.
(Source : Jeune Afrique) ..Le Patriote via abidjan.net